INTERVIEW – À la veille de la transposition de la directive SMA et du décret qui l’accompagne, quelle sera la chronologie des médias et son impact sur le cinéma français ? Spécialiste des questions juridiques pour le cinéma et l’audiovisuel, Marc Le Roy apporte son éclairage.
Selon vous, quelle est l’urgence à réformer la chronologie des médias ?
On a toujours eu cette impression qu’il y avait urgence à réformer cette chronologie, et ce, même avant l’apparition des services de SVOD, car elle apparaissait trop ancrée dans le passé. Dès le jour où elle a été modifiée, en novembre 2018, sa révision était à nouveau sur la table. Beaucoup de professionnels ont considéré que c’était une occasion manquée d’intégrer davantage les plateformes dans notre système de financement et de sortir un peu de la logique « Canal+ est l’argentier du cinéma ». On est aujourd’hui face à cette faiblesse, mais l’urgence de la situation a permis de déboucher sur un accord européen qui va permettre aux pays d’imposer aux leaders SVOD, installés sur d’autres territoires, de participer à l’écosystème audiovisuel et cinématographique. C’est un miracle que ce soit arrivé et c’est pour cela qu’il faut revoir la chronologie des médias : ces nouveaux financeurs devront être mis sur un pied d’égalité avec les partenaires historiques, notamment au niveau des fenêtres de diffusion. Les discussions vont tourner autour de ça, même si un accord mettra du temps à intervenir car chacun veut défendre ses intérêts.
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D’où l’amendement déposé par l’Assemblée nationale qui permettrait au gouvernement, en attendant un accord entre professionnels, d’établir par décret, de façon temporaire, la durée des fenêtres de diffusion ?
Si l’État avait voulu une vraie avancée, il aurait fait voter un amendement gouvernemental visant à passer outre la négociation professionnelle et fixer unilatéralement la nouvelle chronologie, après une série de discussions avec les acteurs. Mais cela aurait été quand même un sacré putsch. Là, le gouvernement laisse du temps à la filière pour s’entendre, tout en montrant sa ligne de conduite : à plusieurs reprises, Jean Castex a précisé que forcer les plateformes de SVOD à investir dans la création nécessitait de leur accorder de nouvelles fenêtres. Et l’amendement actuel est clair et résulte de l’effet de la puissance publique. Ce n’est plus l’action concertée mais l’action décidée : faute d’accord, le gouvernement tranchera, il y aura des déçus. Mais s’il fait de belles avancées, il mettra la pression sur les professionnels.
La nouvelle chronologie doit-elle selon-vous réduire la fenêtre de la salle ?
Le délai actuel est de quatre mois, mais aujourd’hui un film reste très rarement aussi longtemps en salles. Cette fenêtre a surtout une vocation psychologique. Si elle est réduite, les spectateurs auront peut-être moins envie de débourser une dizaine d’euros dans un ticket de cinéma alors qu’ils pourront le voir en VOD quelques semaines plus tard pour un prix moindre et tranquillement chez eux. Actuellement, ce délai motive les gens qui n’ont sans doute pas envie d’attendre huit à quinze mois avant de voir une œuvre à la télévision ou en SVOD et vont donc la découvrir en salles. C’est sur ce point que les quatre mois de délai sont importants. Il pourrait par contre être possible de développer les dérogations actuelles pour les petits films, exploités sur quelques semaines avant d’être disponibles sur d’autres supports. Des ayant-droits ou distributeurs pourraient ainsi capitaliser sur le marketing salle pour accompagner la sortie en VOD et en édition physique.
Quid dans ce cas de l’impact de l’évolution des fenêtres de diffusion des plateformes ?
Il faudra peut-être tôt ou tard acter le fait que la vidéo physique et la VOD à l’acte sont en perdition et n’ont donc plus l’exclusivité de la fenêtre des quatre mois après la sortie salles. Les chaînes payantes comme Canal+ auraient désormais la possibilité de diffuser des films pendant cette période, laissant leur ancien créneau aux services de SVOD. Mais la vraie question est surtout de savoir si Netflix et consorts sont si attachés que ça à la diffusion d’œuvres qui sortent en salles. Je ne suis pas sûr que ce soit avec ça qu’ils attirent des abonnés. Netflix n’est pas loin d’être utilisé par un foyer sur deux en France et ce, avec des délais de diffusion des films peu avantageux dans l’actuelle chronologie. J’ai plutôt le sentiment qu’ils utilisent ça comme un levier de négociation. Le vrai point d’achoppement sera sur les films co-financés par les plateformes pour lesquels il faudra trouver un compromis. Selon leur degré d’investissements, les plateformes pourront bénéficier d’une exclusivité de première diffusion qui échappe aux chaînes gratuites et serait équivalente à Canal+ ou Orange. Pour d’autres, Netflix, Amazon, Disney & co devront accepter de n’avoir qu’une fenêtre de diffusion avant que l’œuvre ne soit retirée du catalogue pour être proposée sur une chaîne gratuite.
En juillet aux États-Unis, Universal et AMC ont signé un accord permettant au circuit d’exploiter les films du studio pendant 17 jours avant qu’ils ne soient disponibles en premium VOD. Un tel accord peut-il avoir lieu en France ?
Aux États-Unis, la chronologie est contractuelle et permet donc aux studios de signer des accords avec des salles, ce qui n’est pour l’instant pas possible en France . Mais peut-être qu’un jour la chronologie ne sera plus globale : les textes actuels indiquent qu’elle est fixée par voie contractuelle sauf s’il y a un accord, et incitent à ce dernier. Il suffirait de modifier les textes pour enlever la nécessité d’un accord professionnel, pour que la VOD et la télévision soient gérées par les ayant-droit. Si on a un jour un gouvernement plus libéral qui veut supprimer notre logique « corporatiste », il peut décider de casser la régulation de la chronologie.
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