Dans une tribune publiée dans Le Monde ce matin, Delphine Ernotte (France Télévisions), Gilles Pélisson (TF1) et Nicolas de Tavernost (M6) mettent en garde contre le « diktat interprétatif » des plateformes internationales et en appellent à la solidarité des acteurs de la filière, notamment des salles, pour garantir l’étanchéité de leur fenêtre.
« Les télévisions gratuites ont toujours été au rendez-vous [du] soutien au cinéma français, à sa diffusion, et à sa diversité », notent les dirigeants des chaînes gratuites en rappelant leurs 144 millions d’euros d’investissement dans 126 films, « qui n’auraient sinon pas pu voir le jour ». Ils estiment que le nouvel accord sur la chronologie des médias signé début 2022, outre l’avancement de la fenêtre de Canal+, « a favorisé les plates-formes payantes américaines comme Netflix, Amazon Prime Video ou Disney + en les plaçant avant les télévisions gratuites », et ceci, malgré « l’apport supplémentaire, très modeste que ces services consentent – de l’ordre de 50 millions d’euros par an, soit moins de la moitié de celui des télévisions gratuites » .
Pressions et revirements
Mais là où le bât blesse le plus, c’est la “résistance Disney”. Pour rappel, le studio américain – qui n’a pas signé la nouvelle chronologie –, a annulé la sortie dans les salles françaises de son film d’animation de Noël à venir, Avalonia, l’étrange voyage, afin de faire pression sur une rapide revoyure de la chronologie. Actuellement, l’indécision qu’il affiche autour de la sortie cinéma de Black Panther : Wakanda Forever le 9 novembre prochain n’est pas totalement étrangère au rendez-vous donné par le CNC à l’ensemble des parties prenantes ce 4 octobre pour la reprise des discussions. Or, selon Delphine Ernotte, Gilles Pélisson et Nicolas de Tavernost, Disney réinterprète la chronologie « à sa guise afin de supprimer l’exclusivité d’exploitation des télévisions gratuites et ainsi conforter sa stratégie d’exclusivité pour son propre service par abonnement ». Les dirigeants télé regrettent au passage que Netflix, qui a pourtant signé la nouvelle chronologie de janvier 2022, profite de ce « vent de contestation américain pour faire volte-face et le remettre en cause dans une solidarité de circonstance ».
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Garder ses marques
L’obstruction de Disney présente, de fait, le risque de diviser les autres parties prenantes, les salles de cinéma ayant déjà déclaré ne pas pouvoir être les victimes collatérales de « déséquilibres » concernant les fenêtres TV et SVOD. « Les exploitants des salles de cinéma rappellent qu’ils ont besoin des films étrangers pour maintenir leur activité, tout comme les télévisions gratuites qui, elles, financent le cinéma et l’exposent au plus grand nombre sans contrainte de pouvoir d’achat. Qui faut-il mettre en porte-à-faux alors ? », interrogent les dirigeants télé. « Les exploitants de nos territoires ? Les télévisions nationales ? Ou les puissants studios américains ? Dans le monde de l’exception culturelle, ce sont évidemment les acteurs français et européens qui doivent être soutenus et il serait incompréhensible que les entreprises américaines obtiennent gain de cause des pouvoirs publics, a fortiori par chantage. »
Les télévisions gratuites demandent donc la préservation, sans ambiguïté d’interprétation, de l’étanchéité de leur fenêtre au cours de laquelle elles ont l’exclusivité de la diffusion des films, qui doivent alors être retirés des catalogues SVOD. « Si d’aventure l’exclusivité des chaînes en clair n’était pas garantie, celles-ci devront étudier toutes les mesures pour se préserver », préviennent les signataires en demandant aux pouvoirs publics de ne pas céder au « diktat interprétatif » des plateformes payantes internationales. « Il y va de la survie du cinéma français que les chaînes en clair financent et sont les seules à proposer au public gratuitement : souhaite-t-on que l’accès au cinéma en France soit réservé à des services payants ? »
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