Trois distributeurs et producteurs indépendants évaluent les nouveaux défis du secteur

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Ce week-end, des personnalités incontournables de la production et distribution française indépendante ont échangé dans les colonnes de Libération, notamment sur le piratage, la chronologie des médias et la responsabilité des salles dans la défense des œuvres. Extraits de l’interview de Carole Scotta (Haut et Court), Jean Labadie (Le Pacte) et Saïd Ben Saïd (SBS Production).

Consommation éclair et diversité

Parmi les sujets abordés, Jean Labadie a rappelé et loué la diversité du cinéma français : « Il faut constater qu’on est peut-être le seul pays qui résiste. En Inde, aux Etats-Unis, il y a un cinéma national très puissant, à l’exclusion du reste, en Chine aussi, où le cinéma national partage avec le seul cinéma américain. Quel autre territoire fait 500 000 entrées avec Lunchbox, fait marcher Kore-eda à 900 000 entrées ? » Une diversité qui ne l’empêche pas de déplorer la disparition de plus en plus rapide des films des écrans, puisque « les gens veulent consommer tous à peu près le même produit, dans le même temps ». Le constat est partagé par Saïd Ben Saïd : « Sur les quelque 200 films français produits et sortis en salles, ceux qui dépassent véritablement les deux semaines d’exploitation, on peut presque les compter sur les doigts des deux mains. » Toutefois, Carole Scotta a nuancé en évoquant « des microdistributions de films qui s’adressent à des publics très segmentés et qui, sans qu’on les voie passer, vont faire 100 000 entrées et susciter des débats, des rencontres. Je crois que c’est propre à la France, à sa densité de salles exceptionnelle, et il faut continuer à faire des films qui répondent à ça, et qui ont une place à trouver à côté des blockbusters ».

Lutte contre le piratage

« Le vrai problème, c’est 15 millions de personnes qui piratent tous les jours », a alerté Jean Labadie. Le dirigeant du Pacte a rappelé la spécificité du modèle français où « le producteur met des fonds propres et s’appuie sur des préventes [aux diffuseurs], mais ce système fonctionne parce qu’il y a encore des distributeurs assez puissants et capables de mettre des minima garantis pour que les films se fassent ». Dans le même temps, les difficultés rencontrées par certains acteurs, à l’image de Mars Films, découlent de la disparition d’une partie des recettes : « Quand [une société] avançait un million d’euros pour acheter les droits de distribution d’un film qui allait se faire, elle pouvait compter sur 300 000 ou 500 000 euros de préventes DVD. » Pour le distributeur, « c’est ce qui nous manque : sur le front de la lutte contre le piratage, qui était une annonce solennelle d’Emmanuel Macron il y a deux ans, pour l’instant il n’y a rien ». De quoi lui faire redouter la disparition d’une « grosse partie des distributeurs qui font le renouvellement du cinéma français ».

Remise en cause de la chronologie des médias

Le débat avait déjà été rouvert par Dominique Boutonnat, président du CNC, aux Rencontres de l’ARP. Pour la fondatrice de Haut et Court, « bien sûr que si toutes les œuvres étaient disponibles tout le temps et de manière fluide, il y aurait moins de piratage, mais la question est toujours celle du bénéfice-risque ». Elle a assuré qu’il y a « des films qui n’ont pas de recettes possibles ou très peu dans l’actuelle chronologie des médias, et il y aurait un sens à leur laisser la possibilité d’accéder à d’autres types de ventes, possiblement les plateformes ». De son côté, Saïd Ben Saïd milite pour une révision totale de la chronologie impliquant une remise à plat « des obligations de tous les diffuseurs. On ne va pas donner à Netflix la possibilité de bénéficier d’une fenêtre de quinze jours avant la sortie en salles, comme ce qu’ils font ailleurs, s’il n’y a pas d’obligations d’investissement importantes en contrepartie. »

La responsabilité des salles

La suite de l’interview a conduit les protagonistes à évoquer le rôle des cinémas dans la défense des films. Ainsi, Carole Scotta a relevé que « quand un exploitant est motivé et fait le boulot, comme par hasard, il y a plus d’entrées que dans une ville de même taille [où ce boulot n’est pas fait] ». Jean Labadie a, pour sa part, émis l’idée du versement du fonds de soutien nécessaire au financement des salles en fonction de l’action de l’exploitant. Une fois l’amortissement des salles terminé, il pourrait ainsi « être distribué un peu plus généreusement aux gens qui prouvent qu’ils font un travail particulier et un peu moins à ceux qui tiennent des garages à confiseries. Un exploitant qui fait un boulot de dingue mérite bien plus de fonds de soutien qu’un exploitant majoritaire qui ne fait rien ». Pour le distributeur, « l’offre est nombreuse, mais si elle est mal amenée, c’est des spectateurs de perdus ». Saïd Ben Saïd, quant à lui, a présenté sa vision très précise : « Le problème, c’est qu’en France, le rapport de forces penche nettement du côté des exploitants. Et ce n’est pas demain la veille qu’on les obligera à faire ceci ou cela. »

L’intégralité de l’interview est à retrouver sur le site de Libération.

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