Nour & Arizona, sur les chemins de traverse du patrimoine

El Topo d'Alejandro Jodorowsky & Saravah de Pierre Barouh. © Nour Films et Arizona Distribution

Le 10 juillet, Arizona a pour la première fois sorti un film de patrimoine. Quatre mois plus tard, Nour Films a distribué une rétrospective consacrée à Alejandro Jodorowsky. Deux expérimentations différentes, mais qui répondent à des intentions concordantes. 

Article paru dans le Boxoffice Pro du 23 octobre 2024.

Dans un écosystème où le patrimoine est souvent l’affaire de quelques distributeurs bien identifiés, d’autres s’y attellent de manière plus sporadique, voire l’investissent pour la première fois. Arizona fait partie de ces sociétés indépendantes qui ont sauté le pas avec l’acquisition des droits de diffusion de Saravah ; un documentaire mélodique, réalisé en 1969 par le regretté musicien Pierre Barouh, sur la samba et la culture carioca, dans un Brésil placé sous le joug de la dictature militaire. « Nous voulions distribuer un film de patrimoine, sans savoir par quel bout commencer. Finalement, nous nous sommes dit qu’il fallait débuter avec un film très singulier et hors cadre », narre Bénédicte Thomas, fondatrice et dirigeante d’Arizona Distribution. Hors cadre sont les bons mots au regard du parcours du film sur le sol français, qui n’avait connu que des projections sauvages, jusqu’à sa restauration par le label de musique créé par Pierre Barouh, intitulé… Saravah. « Un ami producteur m’en a parlé au moment où je développais l’idée de faire du patrimoine, alors que je n’avais pas vraiment identifié l’œuvre. Nous nous sommes rapprochés du label et avons très vite décidé de partir ensemble avec cette version, à la fois propre, sous-titrée et facilement exploitable. » Une perle rare et méconnue qui correspondait aux désirs du distributeur, lui qui ne se sentait pas « légitime à s’attaquer à de grands auteurs ». 

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Nour Films a justement réinvesti ce terrain avec une rétrospective de six films d’Alejandro Jodorowsky, presque dix ans après sa dernière distribution d’un film de patrimoine : « Nous avons sorti Bad Boy Bubby de Rolf De Heer (1993) en 2015…  deux jours avant les attentats du Bataclan, relate Patrick Sibourd, fondateur et gérant de la société de distribution. Malgré le contexte, le film a tout de même réalisé 10 000 entrées, ce qui est bien pour un film de reprise. » Résolument orientée vers des premières œuvres et des longs métrages aux visions singulières, la ligne éditoriale de Nour évolue au gré des appétences de l’équipe, particulièrement attirée par l’œuvre de “Jodo”. « Je l’ai rencontré en 2015, quand nous avons acquis les droits de Jodorowsky’s Dune de Frank Pavich. Il a accepté de participer à la promotion du film […] et le lien que nous avons tissé s’est renforcé. » Dès lors, Patrick Sibourd travaille régulièrement avec le cinéaste franco-chilien et décide d’honorer ses œuvres cinématographiques en acquérant les droits de ses films à partir de 2020 ; une entreprise complexe, car « il a fallu retrouver un certain nombre d’ayants droit et reconstituer une chaîne qui s’était un peu perdue au cours des années ». Au terme de ce travail de longue haleine, Nour arbore cinq films, à savoir Fando Y Lis (1968), El Topo (1970) et La Montagne sacrée (1973) en versions remasterisées 4K, ainsi que Tusk (1980) et Le Voleur d’arc en ciel (1990) dans des versions Director’s cut inédites : « Pour ces deux derniers, Jodorowsky n’avait pas eu le final cut ; il a donc décidé de les remonter pour nos ressorties », éclaire Patrick Sibourd. Seul Santa Sangre (1989) est distribué par Wild Bunch, qui s’est associé à la rétrospective.

Pour la nouvelle et l’ancienne génération

Entre un documentaire invisible pendant des années et la rétrospective d’un auteur éminent, les approches de distribution demeurent sensiblement les mêmes. D’abord sur le volet communicationnel, avec la nécessité d’investir la presse, spécialisée comme traditionnelle : « Positif va consacrer un numéro de six pages à la rétrospective et un épisode de Le Cercle, avec Jodorowsky comme invité, a été enregistré », détaille le dirigeant de Nour. Arizona a tablé sur un partenariat avec Que tal Paris ?, média dédié à l’actualité culturelle espagnole et latino-américaine, et Fip, qui a notamment donné une carte blanche à Maïa Barouh, la fille du réalisateur ; une événementialisation à laquelle les deux distributeurs sont rodés : « Sortir un film, c’est sortir un film. Donc il faut acheter des bandes-annonces sur les plateformes dédiées, créer des affiches et travailler les réseaux sociaux, sur lesquels Jodorowsky est très présent et beaucoup suivi », explique Patrick Sibourd. Le soutien de l’ADRC a également été de taille pour les deux distributeurs, à plus forte raison pour Saravah, proposé dans le cadre de Play It Again !. 

La Montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky. © Nour

Au-delà de l’aspect promotionnel, un film de patrimoine se programme-t-il comme un autre ? « On ne s’attendait pas à obtenir aussi peu de séances ; c’est la vraie différence de programmation par rapport à des films inédits », répond Bénédicte Thomas, qui a proposé le documentaire sur une trentaine de copies, « une petite combinaison, mais déjà bien pour du patrimoine ». Sur son premier jour, Saravah a séduit 470 spectateurs, auxquels s‘ajoutent 1 126 entrées des avant-premières. Plusieurs de ces séances ont été agrémentées de discussions avec Benjamin Barouh, le fils du musicien-cinéaste, mais également d’apéros musicaux ou d’une roda de samba, comme à La Baleine à Marseille. « Dans une économie qui est quatre fois inférieure à celle d’une distribution classique, nous avons dû fonctionner autrement. Finalement, nous avons eu la chance du débutant, puisque le film a réalisé de bons scores, avec 15 000 entrées au total. »

Les premières séances consacrées à la rétrospective Jodorowsky, qui se sont tenues le 9 octobre à Paris au mk2 Beaubourg, Reflet Médicis et Pathé Fauvettes, ont compilé 260 entrées ; 2 289 avec les avant-premières. Peu à peu, les œuvres du réalisateur, qui accompagne régulièrement ces séances, rejoindront de nombreuses salles dans le reste de la France (Omnia de Rouen, Utopia de Bordeaux, Templiers à Montélimar…), avec l’intention de « travailler la rétrospective pendant au moins deux ans, pour que ses films puissent être découverts par une nouvelle génération, et être revus par les plus anciennes ». Pour l’heure, le réalisateur a fait l’objet d’un hommage appuyé à l’occasion du dernier Festival Lumière, avec une masterclass autour de son livre, Voyage essentiel – Trilogie autobiographique, et la projection de trois de ses films. À l’aune de leurs récentes expériences respectives, les deux distributeurs sont déjà partants pour réitérer l’aventure du patrimoine, soit pour retracer un parcours filmographique, soit pour remettre au goût du jour des œuvres qui n’ont, finalement, pas tant pris la poussière.

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El Topo d'Alejandro Jodorowsky & Saravah de Pierre Barouh. © Nour Films et Arizona Distribution

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