Pendant la durée du confinement, Comscore et Le Film français convient leurs abonnés à des tables rondes hebdomadaires destinées à « maintenir le lien entre les professionnels », mais aussi à réfléchir « à l’évolution du secteur post-Covid-19 ». Le premier rendez-vous, organisé ce vendredi 27 mars, a évoqué les défis de la réouverture des salles.
Intervenants : Christine Beauchemin-Flot (directrice, le Sélect à Antony – co-présidente du SCARE), Jocelyn Bouyssy (directeur général, CGR Cinémas), Etienne Ollagnier (président directeur général, Jour2fête – co-président du SDI), Julien Marcel (CEO, The Boxoffice Company), Olivier Snanoudj (senior vice president distribution cinéma, Warner Bros France – président du SFAC), Eric Marti (general manager, Comscore France). Modérateur : Laurent Cotillon (directeur exécutif, Film français)
Après les mesures de distanciation, de limitation des jauges, de suspension d’activité dans certains départements… la fermeture intégrale des salles, samedi 14 mars, a été vécue avec la même violence par tous les professionnels. À l’urgence de la protection et de l’adaptation succède le temps de la réflexion et de la préparation de « l’après ». Comment faire exister les films qui étaient à l’affiche ? Quand ressortir les suivants ? Et surtout, comment faire revenir le public dans les salles ?
Les projections du directeur de Comscore Eric Marti, mises en perspective avec les chiffres de 2019, sont formelles : la fermeture des salles devrait coûter, sur les seuls mois de mars et avril, 32 millions d’entrées à la fréquentation française. Une perte critique qui fait suite à un début 2020 déjà morose, en recul d’environ 20 %.
Aux États-Unis, dont la quasi totalité des cinémas sont aussi désormais fermés, la situation est encore plus tendue. Comme l’a rappelé Julien Marcel, CEO de The Boxoffice Company, depuis Los Angeles, « le niveau de concentration et d’endettement du secteur y est tel que même les plus grands circuits, comme AMC et Cineworld, se posent la question de leur viabilité économique et sont aussi menacés que la petite exploitation ». Et si l’adoption ce 25 mars par le Sénat d’un stimulus package aide conséquente – dont un fonds de garantie pour les cinémas, parmi d’autres structures – a de quoi rassurer dans un pays « dur en business », la santé des salles américaines préoccupe l’ensemble de l’exploitation mondiale. Comme le rappelle Olivier Snanoudj, senior vice president distribution cinéma de Warner Bros France, « le péréclitement de l’exploitation américaine aurait un impact sur la manière de distribuer les films à travers le monde ». Le Tenet de Christopher Nolan (voir le récent appel du cinéaste à soutenir les salles) est toujours daté au 22 juillet chez le distributeur. « Nolan termine le film, mais personne ne peut être sûr du calendrier de sortie », précise Olivier Snanoudj. « Il est probable que le timing de réouverture des cinémas en France, aux États-Unis et dans le reste du monde ne soit pas le même. Sans compter les problématiques techniques, de doublage, de sous-titrage, de post-production… Ce pourquoi nous avons récemment décalé Scooby ! et Universal, la suite des Minions, en production en France. »
Mais outre les blockbusters, tous les films ont besoin de temps pour « travailler leur sortie », comme le rappelle Etienne Ollagnier de Jour2fête (et co-président du SDI). « Deux ou trois semaines peuvent suffire à réactiver les films qui étaient à l’affiche au 14 mars », estime le distributeur de Un fils, sorti le 11 mars. « Les autres nécessitent un travail très en amont, l’organisation de tournées… sans quoi ils ne feront rien, surtout dans un marché complexe. C’est pourquoi en art et essai, nous réfléchissons à des sorties au plus tôt en fin d’été. Nous avons besoin de réflexion collective et de compromis sur le calendrier, tous les films prévus ne pourront pas sortir sur 2020. »
La remise en place de l’offre de films est aussi à considérer au regard du mode de déconfinement et des conditions de réouverture des salles. Seront-ils nationaux, graduels, soumis à des restrictions ? Face à toutes ces incertitudes, le calendrier va donc se recomposer petit à petit. « On s’efforcera de ramener des films nouveaux dans les salles le plus vite possible », s’engage Olivier Snanoudj, par ailleurs président du Syndicat franco-américain de la cinématographie (SFAC).
Si les films restent la composante essentielle de l’équation, côté salles, les idées ne manquent pas pour redonner l’envie aux spectateurs de venir dans les cinémas. « Nous nous efforçons de garder le lien avec notre public sur les réseaux sociaux, de leur faire gagner des choses, les faire participer à des sondages, des classements, des vidéos à partager plus tard en salles… », détaille le directeur général de CGR Cinémas, Jocelyn Bouyssy. Le dirigeant reste toutefois prudent : « Il y aura une période de transition où les gens n’oseront peut-être pas sortir. Il nous faut les orienter pour qu’il ne se détournent pas des cinémas. » Pour la réouverture de ses salles, le circuit envisage en outre une grosse opération tarifaire. À la tête du cinéma municipal Le Sélect d’Antony, et par ailleurs co-présidente du SCARE, Christine Beauchemin-Flot souligne pour sa part le besoin d’accompagnement de certains cinémas dans leur communication et l’importance du public âgé qui n’est pas forcément familier des réseaux sociaux. Consciente aussi de la possible appréhension du public, notamment vis-à-vis de l’hygiène et de l’idée de sortir d’un confinement pour un confinement en salle, la directrice du Sélect envisage la réouverture comme « un grand moment de fête, lors de laquelle nous allons reprogrammer les films qui n’ont pas eu l’exploitation qu’ils méritaient, tout en organisant des moments de retrouvailles humaines et festives avec nos spectateurs. » Cette crise, Christine Beauchemin-Flot préfère d’ailleurs la voir comme l’opportunité d’une réflexion collective et d’un dialogue avec les distributeurs « qui parfois peut être compliqué et tendu. Ne ratons pas cette occasion de nous fédérer, d’être solidaires et collectifs. » Même vœu de la part de Julien Marcel, qui de l’autre côté de l’Atlantique, en appelle à la solidarité de l’ensemble de la filière, fournisseurs compris. « Nous sommes tous, chacun à notre niveau de la chaîne, en train de lutter pour notre survie. Et chacun, à son niveau, est responsable du maillon suivant. » Et à Jocelyn Bouyssy de conclure sur l’échéance inconnue qui nécessite de « s’adapter au quotidien, et de prendre des décisions non pas bassement mercantiles, mais dans l’intérêt commun du film, de la salle et de la santé. »
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