Le nouveau souffle du cinéma maghrébin dans les salles françaises

Le Bleu du caftan de Maryam Touzani. © Ad Vitam

DOSSIER : LE MAGHREB À CANNES [3/3]

Avant que le cru 2023 des sélections maghrébines à Cannes ne débarque sur les écrans dès cet été, retour sur la sortie des précédents films de la région avec les distributeurs français qui en ont le plus distribué ces dernières années : Ad Vitam et Jour2Fête.

« C’est formidable ce qui se passe autour du Bleu du caftan », se réjouit Grégory Gajos, directeur des ventes chez Ad Vitam. Et pour cause : après l’avoir lancé sur quelque 130 copies le 22 mars dernier, la société de distribution a doublé la combinaison au vu de l’engouement autour du film, pour atteindre un pic de 284 copies en 3e semaine. Le deuxième long métrage de Maryam Touzani cumule ainsi quelque 200 000 entrées au box-office, soit plus du double de ce qu’avait enregistré Adam, sorti en février 2020, déjà chez Ad Vitam. Avec une note spectateurs sur AlloCiné de 4,3 sur 5, « le bouche-à-oreille est excellent et nous permet de préparer la sortie de nos prochains films marocains, à commencer par celui de Kamal Lazraq », Les Meutes, le thriller casaoui présenté à Un Certain Regard. « C’est un film de genre, sombre, avec des personnages qui perdent en partie leur humanité. Il ne ressemble pas aux films maghrébins que nous sommes habitués à voir en France. »

Prévu sur une centaine de copies dès le 12 juillet, Ad Vitam espère « la révélation d’un grand cinéaste », un de plus dans la liste des auteurs internationaux, plus précisément africains, que la société accompagne. Parmi eux, les Marocains Nabil Ayouch, Maryam Touzani mais aussi Sofia Alaoui – dont le premier long, Animalia, récompensé à Sundance, sortira d’ici l’an prochain –, l’Algérien Karim Moussaoui, en préparation de son prochain film après En attendant les hirondelles (62 000 entrées en 2017), la Sénégalaise Mati Diop (67 000 spectateurs pour Atlantique en 2019) et le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun (9 000 billets pour Lingui, les liens sacrés en 2021). « Le Maghreb et l’ensemble de l’Afrique ont des cinématographies émergentes auxquelles il est d’autant plus important de donner une place sur les écrans que leurs publics s’avèrent de plus en plus jeunes, lucides et sensibles aux considérations politiques qui les entourent », analyse le distributeur. « Il faut également noter que le public “communautaire” existe bien pour ces films mais n’en est pas le seul. Avide d’un regard mature sur son pays d’origine, il est souvent le catalyseur d’un bon bouche-à-oreille. »

Les Meutes de Kamal Lazraq. © Ad Vitam

C’est notamment ce qu’a ressenti Jour2Fête à la sortie de Papicha en 2019 qui, avec plus de 250 000 entrées, est aujourd’hui le deuxième plus gros succès du distributeur. « Lorsqu’un événement se crée autour de ces films, les communautés concernées se rendent avec engouement au cinéma », assurent Sarah Chazelle et Étienne Ollagnier, codirigeants de la société, « et ce fut d’autant plus le cas pour Papicha que sa présentation à Cannes et sa sortie coïncidaient avec les manifestations du Hirak en Algérie. Ce fut très puissant. »

À lire aussi ⎪ LE MAGHREB À CANNES [1/3] : Brève histoire du cinéma maghrébin sur la Croisette

Plus récemment, une ferveur similaire se fait ressentir autour d’un autre titre algérien qu’accompagne Jour2Fête, passé par Venise : La Dernière Reine, épopée historique d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri autour de la reine Zaphira dans l’Alger du XVIe siècle, devrait dépasser les 60 000 spectateurs malgré une première hésitation des programmateurs de salles. « Il n’est pas facile de classer La Dernière Reine dans une typologie de films précise, tant il ne ressemble à aucun autre venu d’Algérie. Sans évoquer ni la guerre, ni les années noires, il reste naturellement un film d’auteur, historique et en costume, éminemment féministe, qui plonge dans une période jamais portée à l’écran, mais qui reste un film grand public et accessible. » Sa sortie le 19 avril dernier, deux jours avant la fin du mois de ramadan, a permis de le placer comme l’événement des festivités de l’Aïd et de profiter d’un excellent bouche-à-oreille – en témoigne sa note spectateurs de 4,2 sur AlloCiné –, à tel point que sa distribution est passée de 61 copies en 1e semaine à une centaine en 4e.

La Dernière Reine d’Adila Bendimerad et Damien Ounouri. © Jour2Fête

Après Sous les figues en décembre (33 000 entrées), puis Ashkal en janvier (24 000), Jour2Fête prépare donc la sortie de son troisième film tunisien en à peine huit mois, Les Filles d’Olfa, pour le 5 juillet prochain, dernier jour de la Fête du Cinéma. « Une date que nous aimons bien et qui s’est avérée judicieuse par le passé », expliquent les distributeurs, qui s’attendent entre-temps à « une présentation retentissante » au Palais des festivals le vendredi 19 mai. « Le film est si singulier qu’il peut se targuer de compter parmi les rares documentaires à avoir intégré la compétition » – un événement qui permettra de définitivement installer la réalisatrice dans la liste des cinéastes qui comptent, plus seulement en Tunisie et au Maghreb, mais dans le monde.

À lire aussi⎪ LE MAGHREB À CANNES [2/3] : Enjeux de production du cinéma maghrébin, ou comment financer une nouvelle vague

Le Bleu du caftan de Maryam Touzani. © Ad Vitam