Benjamin Reyntjes : “Ce serait une grande erreur de croire que toutes les cinématographies africaines s’expriment de la même manière

Le troisième anniversaire de Pathé BC Afrique, co-fondée par la maison Pathé et les producteurs Wassim Beji (WY Productions) et Jean-François Camilleri (Echo Studio) coïncide avec le cap des 2 millions d’entrées réalisées sur 17 pays d’Afrique francophone. Bilan et perspectives avec son directeur général, Benjamin Reyntjes.

Trois ans après sa création, où en est Pathé BC Afrique dans son accompagnement des marchés cinématographiques africains ?

Sur les 2 millions de billets que nos films ont écoulés depuis octobre 2020, un million l’ont été sur l’année 2023. Cela témoigne à la fois de la grande vitalité des marchés africains et de notre capacité à adapter nos plans de sortie aux spécificités de chaque territoire, nécessaire au vu de la grande diversité de notre line-up, composé de blockbusters américains, de cinéma français et de productions locales. Nous jonglons entre distribuer des films porteurs et porter des films locaux plus fragiles.

Les marchés africains reposent quasi exclusivement sur le cinéma américain et, de manière épisodique, sur des surperformances de productions nationales, en particulier au Maroc, en Tunisie, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Le paysage de la production africaine est d’une très grande richesse ; les succès, moins nombreux. 

Sur les trois années d’exercice de Pathé BC Afrique, nous avons accompagné la réouverture des salles dans un marché sinistré par la crise sanitaire, su nous imposer comme un distributeur de taille, multiplié les partenariats avec les exploitants et d’autres distributeurs sur le continent, et accompagné des films et des auteurs dès l’étape de leur production. 

Justement, vous accompagnez depuis ses débuts le premier long métrage de Ramata Toulaye-Sy, Banel & Adama, en compétition à Marrakech. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le film et comment se passe sa sortie ?

De manière générale, l’investissement en amont dans les productions locales représente un très grand risque dans ce marché. Les minimums garantis que nous apportons sont en réalité plus symboliques qu’autre chose ; ils permettent surtout aux producteurs de prétendre à d’autres guichets de financement. Nous optons davantage pour un avancement des frais d’édition et de communication des films.

Nous avons décidé d’accompagner Banel & Adama pour plusieurs raisons : d’abord, parce que nous croyons en le cinéma et la proposition de Ramata Toulaye-Sy, depuis son court métrage Astel, présenté au Fespaco, à Ouagadougou, en 2021. Nous savions que son premier long présenterait des qualités esthétiques indéniables – d’où ses sélections à Cannes et Marrakech.

Mais la réalité du marché sénégalais, où Banel & Adama a naturellement enregistré la grande majorité de ses 5 000 entrées sur l’Afrique subsaharienne depuis sa sortie le 6 octobre, est qu’il n’est pas encore assez mûr pour de telles propositions cinématographiques, car son public est trop jeune. Banel & Adama est probablement trop en avance sur son marché : d’un point de vue de distributeur, il aurait été parfait dans cinq ans, quand l’exploitation sénégalaise sera plus mature. Malgré tout, nous avons accompagné le film parce que nous pensons justement qu’il en relève de la responsabilité des distributeurs de participer à l’élargissement des publics. Les propositions comme Banel & Adama permettent de recruter de nouveaux spectateurs, justement dans un marché ultra-dominé par les blockbusters américains.

Le film sort au Maghreb le 6 décembre prochain, cette fois dans des marchés plus costauds, avec des salles de cinéma aux lignes éditoriales plus définies. Donc logiquement, nous nous adresserons en particulier aux cinémas art et essai, comme Cinémadart à Tunis. À mesure que se développent les marchés et qu’ouvrent de nouvelles salles, il faudra adapter nos plans de sortie, en fonction des lignes éditoriales de chacune.

Aux Ateliers de l’Atlas, vous portez le projet de Meryam Joobeur, Motherhood, présenté dans la section “Films en tournage ou en postproduction”. Comment appréhendez-vous sa sortie ?

À quelques différences de taille près, notre approche de Motherhood est sensiblement similaire à celle de Banel & Adama : un véritable coup de cœur pour une auteure et son projet, qui s’inscrit également dans la continuité d’un court métrage très remarqué [Brotherhood de Meryam Joobeur faisait partie des cinq nommés pour l’Oscar du meilleur court métrage en 2020, ndlr.].

Motherhood de Meryam Joobeur © Pathé BC Afrique

En revanche, de son volume de production à sa sensibilité plus cinéphile, le marché tunisien est beaucoup plus à même de recevoir des propositions “auteur”. Nous pouvons espérer 50 000 entrées sur la seule Tunisie pour Motherhood ; et avec davantage de certitudes quant au retour sur investissement, le minimum garanti était nettement supérieur.

Nous nous posons désormais la question de la capacité du film à sortir de ses frontières, dans un contexte où les cinémas africains – et même maghrébins – voyagent très mal d’un pays à l’autre, au sein d’une même région géographique. Ce serait une grande erreur de croire que toutes les cinématographies africaines s’expriment de la même manière ; dans la même logique, nous pourrions décider de ne sortir le film qu’en Tunisie, par exemple.

Enfin, le troisième film que vous présentez au cours de cette 20e édition du festival est le très attendu Moi, capitaine, de Matteo Garrone. Comment sortir un titre aussi empreint d’actualité sur le continent ?

Encore une fois, c’est un film qui participe à notre responsabilité de nous adresser à un public toujours plus large. C’est une prouesse esthétique comme narrative, que nous devons accompagner à travers tout un travail de sensibilisation, au Sénégal en particulier, où le récit commence. Nous comptons nous rapprocher des ONG et des associations, organiser des séances spéciales au sein d’institutions, voire mettre en place des projections itinérantes en dehors de Dakar.

En l’occurrence, notre principal comparable est Tirailleurs de Mathieu Vadepied, qui avait franchi le cap des 30 000 entrées l’an dernier. Mais encore une fois, il est difficile de véritablement se projeter sur la carrière du film au vu de la constante mutation du parc de salles, au Sénégal comme ailleurs. Et même s’ils ne sont pas les premiers publics destinataires du film, les ouvertures prochaines des Pathé Casablanca et Abidjan, au Maroc et en Côte d’Ivoire, pourront également lui donner de la respiration.

Moi, capitaine de Matteo Garrone © Pathé