34es Rencontres de L’Arp : une chronologie vertueuse et plusieurs modèles d’indépendance

Débat “Indépendance, diversité, chronologie : un modèle d’avenir” du 7 novembre, introduit par Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom © Susy Lagrange / L'Arp

La vertueuse chronologie des médias française, comme les multiples facettes de l’indépendance ou encore l’enjeu européen étaient au centre des débats des Rencontres cinématographiques de L’Arp, qui se sont déroulées du 6 au 8 novembre 2024, à Touquet-Paris-Plage.

En France, la régulation a permis l’indépendance et la diversité, piliers d’un modèle… « sur lequel il faudra continuer à veiller », a souligné le président de l’Arcom – qui quittera ses fonctions dans quelques semaines. Roch-Olivier Maistre rappelle que le financement de notre cinéma repose encore principalement sur les éditeurs traditionnels, notamment France TV et Canal+, même si le décret Smad de 2021 fait contribuer les plateformes. Or « ces acteurs extra-européens capteront bientôt les deux tiers des recettes publicitaires ». Face à « ce climat d’hyper concurrence », et à une « concentration qui crée une dépendance pour la production », on a « besoin de plus de régulation », et ce au niveau européen, alors que la directive SMA est remise en discussion.

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La dernière révision avait abouti en France à la chronologie des médias de 2022, qui est à la « base de notre système vertueux, et pourtant régulièrement attaquée », selon le président de L’Arp Pierre Jolivet. La chrono, qui doit être renégociée pour 2025, résulte d’un accord interprofessionnel, l’État ayant le pouvoir de l’étendre aux non-signataires, rappelle Vincent Villette, directeur juridique du CNC, pour « qu’elle réponde aux objectifs d’intérêt général, principalement la protection de la salle et le financement des œuvres ». Elle permet d’additionner les acteurs et les financements, et pour un producteur comme Éric Altmayer (Mandarin), « c’est la base même de l’indépendance : on travaille sur un projet en imaginant ses différents cycles de vie, puis on vend les exclusivités successives et cumulables. C’est cette possibilité d’alterner des financements différents selon les opérateurs qui nous permet de garder la maîtrise du projet. Quand on travaille directement pour un unitaire Netflix, on n’est plus du tout dans la même notion d’indépendance : on cède l’intégralité des droits à la plateforme pour une durée illimitée, en contrepartie d’une marge, car il n’y aura pas de recettes. Cette chronologie est unique et je me réjouis que l’on ait réussi à y faire entrer les plateformes américaines, qui sont a priori totalement opposées à ce système. » Pour Carole Scotta, fondatrice de Haut et Court et de The Creatives, « la chronologie est aussi une table de dialogue unique, pour un bien commun que sont les œuvres, et pour qu’elles soient le mieux diffusées ».

Pourtant, Nathalie Sonnac, professeure à l’Université Paris Panthéon-Assas, souligne à son tour que la manne financière de nos différents groupes de TV [357 M€ pour les films de cinéma contre 58,5 M€ des plateformes en 2022] est menacée. « Le décret Smad me semble insuffisant car il prélève un pourcentage du chiffre d’affaires des chaînes. Or celui du service public comme des chaînes commerciales va fondre comme neige au soleil ; ce calibrage devrait changer si on veut que le système dure pour les dix ans à venir. »

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De la définition de l’indépendance

En parallèle, la concentration des médias et des structures de production – un groupe comme Mediawan regroupe 85 sociétés – interroge la notion d’indépendance comme son avenir. « Le cinéma indépendant américain, très inventif et irrévérencieux il y a 25 ans, a lentement disparu quand les producteurs ont été absorbés par de grands groupes », déplore Pierre Jolivet, soulignant qu’en France, des filiales à capital majoritairement américain sont considérées comme européennes. Au niveau du CNC, l’indépendance se définit par rapport au lien capitalistique entre le diffuseur et le producteur, et de la part des droits laissée au producteur, explique Vincent Villette. Mais on entend que seules les plus petites structures seraient indépendantes, par opposition aux grands groupes. « Dès lors, faut-il appréhender la notion d’indépendance par rapport au volume d’activité d’un producteur ? À une activité verticale s’il fait aussi de la distribution et de l’exploitation ? À ses détenteurs capitalistiques ? », interroge le directeur juridique du CNC.

Nathalie Sonnac propose de distinguer “producteur indépendant”, soit – pour résumer ! – sans aucun actionnaire qui contrôle l’éditeur de services et dont la société est indépendante capitalistiquement de l’éditeur, et “producteur autonome”, qui n’appartiendrait à aucun groupe audiovisuel ni regroupement de producteurs, en recalibrant leurs obligations en fonction de ces “définitions”. « Sans empêcher certains acteurs indépendants de devenir plus gros, ce qui est une chance pour être sur la scène internationale. »

Mais d’autres modèles existent, comme Logical Pictures, co-fondé par Frédéric Fiore. Un écosystème qui regroupe huit sociétés et un fonds, avec plusieurs activités : financement de films, distribution – avec le rachat de The Jokers –, une boîte de ventes internationales – Pulsar –, et production de films, séries, documentaires et pubs. « Notre collectif fonctionne très bien, c’est une réponse capitalistique pour mutualiser la prise de risque propre à notre activité de prototype. » Autre exemple avec The Creatives, fédération de dix sociétés de production indépendantes internationales, « créée y a cinq ans pour anticiper la concentration du marché, entre producteurs qui se connaissaient et se faisaient confiance. Une coopération horizontale, pour des passerelles créatives », explique Carole Scotta, pour qui « “indépendant” ne signifie pas être tout petit et isolé ». Haut et Court, qu’elle a fondé il y a 30 ans pour produire et distribuer des films, s’est diversifié en production télé, puis en rachetant des salles et en montant une filiale de documentaires. 

Carole Scotta (Haut et Court, The Creatives), intervenante du débat sur l’indépendance et la diversité © Susy Lagrange / L’Arp

Se diversifier, et toujours pour la diversité. En intégrant aussi « des partenaires comme Canal+ et Ciné+OCS, avec la clause de 17 % réservés à des films de moins de 4 millions, France Télévisions, avec l’accord signé en mai dernier qui garantit 60 films, mais aussi des distributeurs et des exploitants qui considèrent que la diversité fait partie de leur modèle », détaille Edouard Mauriat (Mille et Une Productions), président cinéma du Spi. Autre pilier fondamental : l’intermittence, sans lequel, pour Frédéric Fiore, « il n’y aurait pas d’exception française. Notre diversité est un laboratoire de R&D : même les streamers sont excités à l’idée de travailler avec de jeunes réalisateurs. » Car on sait qu’il n’y a pas de formule, ajoute Eric Altmayer : « Un p’tit truc en plus est exactement le type de comédie populaire dont on disait que le public n’avait plus envie. »  

Encore faut-il une exploitation salle régulée, ajoute Carole Scotta, qui est aussi co-présidente du Dire. « Aujourd’hui, dans un marché tendu avec énormément de sorties chaque mercredi, on assiste à une dérégulation assez inquiétante. Le Bloc pointe notamment les visas exceptionnels ou la prolifération d’avant-premières qui prennent des séances à des sorties récentes. »  

L’enjeu européen

Cette régulation, « plus que jamais indispensable » selon le président par intérim du CNC, est un combat qui « doit être porté au niveau européen ». Et spécialement cette année, avec un nouveau Parlement et une Commission renouvelée. Pour Olivier Henrard, « il sera crucial de préserver la possibilité pour les États membres d’assujettir les acteurs qui visent leur territoire à des obligations de financement de la création ». En France, près d’un milliard d’euros ont été investis par les Smad étrangers, ce qui est aussi dans leur intérêt, puisque des films ainsi préfinancés – comme L’Amour ouf et Monsieur Aznavour – sont des succès. Mais le cadre doit être ajusté pour préserver la diversité culturelle, et c’est dans ce but que le CNC a missionné le conseiller d’État Fabien Raynaud pour son rapport sur les équilibres du cinéma face à l’essor des plateformes [voir ci-contre]. L’idée est de rehausser le quota de diffusion d’œuvres européennes et d’interroger le modèle de production exécutive, qui « implique un contrôle étendu des commanditaires sur les œuvres (…) et place nos sociétés européennes dans une situation de dépendance économique à long terme ».  

La nouvelle Commission européenne devra aussi « faire davantage pour accompagner le secteur face au développement de l’IA générative », et enfin, préserver l’exclusivité territoriale – notamment grâce au géoblocage – tout en favorisant la circulation des œuvres. Sur tous ces sujets, Olivier Henrard se réjouit de la collaboration avec l’association des EFAD (European Film Agency Directors), soit la réunion des “CNC” européens. 

Pourtant, selon le président des EFAD Chris Marcich, le combat n’est pas gagné : « Avec nos interlocuteurs à la Commission, nous avons le sentiment que la diversité culturelle n’est plus un objectif fondamental, mais que les objectifs sont plutôt commerciaux. » Les cinéastes de L’Arp Nicolas Bary et Radu Mihaileanu rappellent en effet que le cinéma et l’audiovisuel ont été transférés de la Commission culture à celle du Marché intérieur et du Numérique (DG Connect), « assimilés à une industrie comme une autre et donc sortis de l’Exception culturelle » – inventée par L’Arp, et pour rappel adoptée par l’Europe en 1994, pour sortir la culture des règles du marché. Le traité de Lisbonne prévoit ainsi que l’UE, qui a la compétence exclusive dans les domaines douaniers et commerciaux, ne peut outrepasser celle des États membres dans celui de la culture, où elle agit « en soutien et coordination », notamment à travers des directives. 

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Directives qui n’en sont pas moins « les pivots de la régulation », souligne Juliette Prissard, déléguée générale d’Eurocinéma : SMA, droit d’auteur, géoblocage, aides MEDIA, sont les lignes qui maintiennent une harmonisation. Mais si « on reste uni dans la diversité » à 27, il faut aussi s’interroger sur ce que l’on voudra défendre au sein d’un parlement, « où 50 % des députés français sont au Rassemblement national. On va demander à conserver nos pleines compétences sur notre politique nationale… mais laquelle ? ». 

La députée européenne Emma Rafowicz confirme que « la culture est une zone d’affrontement idéologique », et « avec le retour de Trump, les rapports politiques entre l’Europe et les États-Unis vont être tendus, ajoute Chris Marcich. Cela va avoir des conséquences pour notre secteur. » Il s’agit donc de « solidariser la filière à travers l’Europe », appuie la cinéaste Marine Francen, co-présidente de la SRF, sachant « qu’il faut absolument préserver la prééminence du national en matière culturelle », selon Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions.

Le 26 septembre dernier au moment du Festival de Venise, les cinéastes européens ont demandé à Ursula von der Leyen le retour du cinéma et de l’audiovisuel dans une Commission culture forte. Une demande réaffirmée par les membres de L’Arp à l’issue de ces Rencontres… et au-delà : « Si les institutions européennes négligent leur devoir de diversité culturelle, inscrit dans les textes, et tentent d’outrepasser leur compétence concernant la culture, définie lors du Traité de Lisbonne, nous serons à l’offensive et ce, avec l’ensemble des citoyens. » 

Débat “Indépendance, diversité, chronologie : un modèle d’avenir” du 7 novembre, introduit par Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom © Susy Lagrange / L'Arp

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