Le très convoité cinéma d’animation japonais [1/2]

Le japanime enflamme les salles et crée l’événement, atout pour faire revenir les jeunes, mais aussi les plus nostalgiques. Aujourd’hui, de nombreux distributeurs s’intéressent à ce qui était autrefois un cinéma de niche. Tour d’horizon en deux parties, des plus indépendants aux plus grosses franchises. 

Deuxième plus gros consommateur d’animes et de mangas au monde, la France réunit une véritable communauté d’otakus, en atteste notamment le pass Culture où les mangas trustent le premier poste de dépense. Un engouement palpable depuis plusieurs années au cinéma, à l’image des Enfants Loups (Eurozoom) de Mamoru Hosoda avec plus de 400 000 entrées en 2012 et qui semble s’accélérer depuis la réouverture de mai 2021, à travers les succès notables de films plus mainstream tels que Jujutsu Kaisen 0 (529 828 tickets en mars 2022) ou encore Demon Slayer (727 889 entrées en 2021), véritable événement au moment de la reprise des salles. Cette tendance “japanime” pose la question de la distribution de ces œuvres : première partie avec Eurozoom, Wild Bunch et Art House. 

Des débuts avec Eurozoom malgré un marché peu désiré 

Pionnière en la matière et révélatrice des talents Hosoda-Shinkai, la société créée par Amel Lacombe distribue de l’animation japonaise depuis 2005, de manière régulière et avec une exigence de plusieurs séances par jour. Une conviction défendue très tôt malgré le manque d’appétit des salles « Au début c’était totalement nouveau et nous avions du mal à convaincre les salles et les médias, le changement s’est fait petit à petit, avec des films d’animation divers, de la franchise à l’art et essai », raconte la distributrice. « Pendant très longtemps nous étions seuls sur ce créneau, puis la sortie de Your Name en 2016 a été un véritable phénomène planétaire qui a poussé certains distributeurs à creuser la question. Le deuxième élément a été le succès de Demon Slayer, distribué par CGR Events et Crunchyroll (plateforme spécialisée dans l’animation japonaise), juste au moment de la réouverture des salles et qui a érigé deux types de films performants : le cinéma d’auteur et la franchise. »

Your Name de Makoto Shinkai ©Eurozoom

Mais Amel Lacombe, forte d’une expérience dans le domaine, évoque aussi les conséquences de cet intérêt grandissant. « Les MG (minimum garanti) pour acquérir les films étaient très faibles auparavant puis ils ont augmenté d’année en année, c’est pourquoi nous n’avons pas réussi à avoir le second film de Makoto Shinkai, Les Enfants du temps (sorti par Bac Films). Cependant, nous distribuons son prochain en collaboration avec Crunchyroll, première plateforme d’animes au monde. » Par ailleurs, « l’offre d’animation japonaise est assez vaste et il y a assez d’auteurs pour ne pas s’engouffrer dans des demandes de MG disproportionnées ». Le 24 août, Eurozoom ressortira Memories de Koji Morimoto, Tensai Okamura et Katsuhiro Ôtomo, cinéaste qu’Amel Lacombe a déjà distribué, au moment de la ressortie d’Akira en août 2020 (plus de 80 000 entrées). 

L’ère Hosoda-Ghibli sous Wild Bunch

Avec une équipe passionnée de cinéma d’animation japonais, ce n’était qu’une question de temps avant que la société de Vincent Maraval se positionne sur ce créneau. Une volonté concrétisée en 2018 par la sortie de Miraï, ma petite sœur de Mamoru Hosoda, « c’est un auteur très apprécié chez nous et nous avons eu la possibilité de nouer un accord avec All Anime avec qui nous nous sommes très bien entendus. Nous en sommes très fiers puisque le film a réalisé plus de 240 000 entrées », relate Thomas Legal, directeur des ventes. « Hosoda est très accessible. Il est venu en France deux fois et considère ce territoire comme accordant une place importante aux auteurs d’animation japonais. De notre côté, l’idée était de l’intégrer dans la catégorie des grands cinéastes d’animation comme Hayao Miyazaki. »

Miraï, ma petite sœur de Mamoru Hosoda ©Wild Bunch

Depuis 2020, c’est un autre chapitre qui s’est ouvert pour le distributeur indépendant avec l’acquisition des titres des studios Ghibli, autrefois appartenant à Disney et dont on connaît les succès tels que Le Voyage de Chihiro (2002) avec plus de 1,4 million d’entrées ou encore Princesse Mononoké, sorti en 2000 qui cumule 688 663 billets. « L’acquisition s’est réalisée grâce à Wild Bunch International qui détenait les droits de vente sur les films Ghibli. Nos liens nous ont permis, à l’approche de l’échéance, de récupérer les droits sur la France », narre le directeur des ventes. « C’est un catalogue assez fabuleux et très vivant, nous ne pensions pas qu’il allait nous provoquer un tel surcroît d’activité. Aujourd’hui, six films du catalogue Ghibli sont dans les dispositifs scolaires et nous recevons aussi des demandes permanentes de programmation de ces titres familiaux et intemporels, particulièrement en été. »

Outre sa ligne auteuriste, la société s’est essayée aux franchises, notamment en 2018 avec Dragon Ball Super : Broly (2019), aujourd’hui à plus de 574 000 entrées. « C’était intéressant car il y a un côté événementiel assez agréable. De plus, le cinéma d’animation japonais n’est pas porté par des studios mondiaux, à l’inverse des films américains, ce qui nous permet d’y avoir accès en tant que distributeur indépendant. » Ce qui pourrait changer, selon Thomas Legal, car « ces films fonctionnent en salle et ont de belles carrières ».

Art House, fervent défenseur du cinéma nippon d’auteur

Créée en 2018 par Eric Le Bot, la société spécialisée dans la culture japonaise sortira De l’autre côté du ciel le 17 août. Le film d’animation sera déployé en VO et en VF sur 400 copies, ce qui représente la plus grosse sortie en salle du distributeur. Une œuvre qui, comme les précédentes – Art House ayant sorti Wonderland, le royaume sans pluie en 2019, Silent voice et Je veux manger ton pancréas en 2018 – a été travaillée en profondeur, notamment en collaboration avec Hanabi, média communautaire consacré à la culture japonaise en France créé en 2018 par Eric Le Bot. « Nous avons acquis De l’autre côté du ciel en 2020, dans la foulée de sa sortie au Japon, puis travaillé conjointement avec l’éditeur du livre à l’origine du film. Nous nous sommes également rapprochés de l’univers manga, notamment pour travailler les communautés », explique Julie Tardit, directrice de la distribution chez Art House.

De l’autre côté du ciel de Yusuke Hirota ©Art House

« Nous avons même poussé le partenariat avec Hanabi un peu plus loin en participant conjointement à la Japan Expo 2022 avec un stand qui était en grande partie consacré au film, afin de pouvoir toucher un public fan qui connaissait potentiellement déjà le livre. Nous avions aussi des activités ludiques sur l’observation du ciel pour les enfants ainsi que le guide du petit chasseur d’étoiles qui leur permettait de découvrir les constellations. » L’événement a en effet été l’occasion pour plusieurs distributeurs de mettre en avant leurs sorties animes, relançant la question de la présence d’une multitude d’acteurs sur ce marché : « plus de distributeurs s’y intéressent et ce n’est pas une mauvaise chose car cela s’inscrit dans une logique globale d’un intérêt croissant du public français pour l’animation. Les succès de certains animes vont dans ce sens et alimentent la diversité du cinéma aujourd’hui proposé en France », conclut Julie Tardit.

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