Rencontre avec Rafael Maestro, président de la branche petite exploitation

Rafael Maestro, réunion de la petite exploitation au Congrès FNCF 2020

CONGRÈS FNCF | Avant les réunions par commissions de branche qui auront lieu demain à Deauville, Rafael Maestro évoque les enjeux communs au secteur et les spécificités de la petite exploitation. 

À la sortie d’un bel été pour les salles de cinéma, quel bilan intermédiaire tirez-vous de l’année 2023 pour votre branche ?

Les derniers chiffres du baromètre de la FNCF font apparaître pour la petite exploitation une baisse de 7 % par rapport à 2019. Ce résultat est effectivement encourageant au vu de l’évolution globale. La fréquentation des deux derniers mois est également à la hausse pour l’ensemble des cinémas.  La bonne tenue de la petite exploitation pendant cette période post-covid peut s’expliquer sans doute par la proximité des cinémas et de leur public, ce qui contribue à retisser plus facilement les liens avec la salle, et l’abondance de films de la diversité a favorisé les salles art et essai et de la petite exploitation qui traditionnellement assurent leur diffusion. 

Quels changements et réorganisations la crise énergétique et l’inflation ont-elles provoquées dans les économies des établissements de votre branche ?

Les enjeux actuels liés à l’énergie sont primordiaux ; nous devons inciter nos collègues à adhérer au mieux à la Charte de la FNCF relative à la sobriété. Les enjeux d’achat de contrat d’énergie via des groupements d’exploitants me semblent également une très bonne solution. De nombreuses initiatives ont vu rapidement le jour, portées par des associations territoriales et des syndicats. Ces sujets font appel à l’intelligence collective, à l’échange d’informations. C’est tout l’enjeu du moment : sortir de son modèle d’organisation pour définir un projet cohérent à la pérennité de son modèle économique.

Avez-vous des inquiétudes concernant la grève à Hollywood et ses impacts sur le calendrier des sorties ?

Nous pouvons et devons déjà être inquiets pour l’avenir du statut des professionnels qui ont enclenché cette grève. Entre la brutalité d’un certain nombre de diffuseurs, notamment les plateformes, et l’arrivée de l’intelligence artificielle, nous devons être solidaires d’une filière, celle de l’Économie créative, qui doit faire valoir ses droits spécifiques. Évidemment, l’impact sur le calendrier des sorties risque d’être important et durable pour tous les cinémas et, nous le savons tous, l’exploitation a besoin d’une offre riche, variée et surtout constante et soutenue. Cette grève est en train de bouleverser tout le calendrier des sorties, à une période où les effets de la crise pandémique s’estompaient. À terme, c’est évidemment le montant de la TSA qui risque de pénaliser les nécessaires investissements en termes de création et de diffusion. 

Avez-vous observé des évolutions dans l’accès aux films ce dernier semestre ?

Nous subissons des phénomènes qui ne sont pas nouveaux mais qui tendent à se renforcer. Hormis sur une courte période de reprise post-covid, la fin des contributions numériques n’a pas donné lieu à une augmentation massive des plans de sortie et nous devons toujours faire face à des quotas dont la pertinence est souvent discutable. Les avancées sont plus à trouver dans les élargissements des plans de sortie en troisième et quatrième semaines, qui rentrent dans les habitudes. L’accès aux films de la diversité est globalement fluide, les distributeurs répondent généralement à la demande dès lors qu’elle est motivée. Sur l’art et essai dit « porteur », l’accès est plus variable et la pression sur les séances peut être importante, avec parfois des demandes disproportionnées, comparables à des blockbusters. 

À lire aussi | Rencontre avec Cédric Aubry, président de la moyenne exploitation

C’est sur les films « grand public » que la situation est tendue et le « sur-mesure » le plus difficile, voire impossible à obtenir. Nous faisons les frais de la concurrence entre distributeurs : pour eux, la question est moins de savoir si l’exposition proposée est en rapport avec la zone de chalandise que d’obtenir autant ou plus de séances que ce qu’a obtenu un autre distributeur ! Avec parfois des comparaisons entre films et périodes qui n’ont rien à voir ; cela amène à proposer des séances inutiles pour faire nombre.  L’égalité et l’équité, ce n’est pas tout à fait la même chose. 
Le discours des distributeurs US et des français « intégrés » s’est rigidifié ces derniers mois avec le retour de l’offre et des spectateurs. Il devient urgent de créer un espace de discussion pour travailler avec nos partenaires distributeurs sur une approche plus qualitative de l’exposition des films et leur promotion sur le territoire.

Qu’attendez-vous de la relance des engagements de programmation ? 

L’objet historique des engagements de programmation est d’assurer la diversité de l’offre cinématographique et la plus large diffusion des œuvres. Les cinémas de la petite exploitation n’y sont pas soumis directement compte tenu de la part de marché qu’ils représentent, mais uniquement collectivement quand ils font partie d’une entente. La diversité de l’offre dans la petite exploitation n’est plus à démontrer et le classement art et essai est l’outil incitatif suffisant et efficace pour la garantir, d’autant plus s’il est renforcé. 

Par ailleurs, avec la fin des contributions numériques, il n’y a théoriquement plus de « vase communicant » sur les plans de sortie et de contraintes économiques pour les distributeurs sur les élargissements ultérieurs. Le sujet est de permettre à la distribution indépendante de continuer à faire exister ses films dans les villes qui « font » le marché. A notre niveau, ce que l’on peut en attendre, c’est de soutenir l’existence d’une offre diversifiée dont nous avons besoin et dont nous ne pouvons assurer seuls l’économie.

À lire aussi | Rencontre avec René Kraus, président de la branche grande exploitation

Comment les cinémas de votre branche anticipent-ils la nouvelle réforme de l’art et essai ?

Si la réforme prévue concerne le classement art et essai, l’enjeu est celui de la reconnaissance du travail de diffusion accompli par les cinémas en faveur des films les plus fragiles. C’est aussi la prise en compte de la dimension territoriale de ce travail. Ce classement se traduit par l’accès à l’enveloppe dévolue par le CNC : avec 18 M€, stable depuis plusieurs années, c’est un effort considérable du Centre. 
Observons les résultats de la dernière commission de classement : sur 1281 salles classées, les 10 % qui réalisent le travail le plus exigeant ont perçu 40 % (soit 7 M€) de l’enveloppe art et essai ; la moyenne du soutien est donc de 55 000€. Ces salles ont accueilli 8 M de spectateurs pour les films recommandés. De fait, 11 M€ ont été répartis entre les 1153 autres salles classées (la moyenne du soutien se monte à 9 540€) où les films recommandés ont été vus par 10 M de spectateurs. Ces données montrent que la précédente réforme a abouti à un équilibre pertinent, qui, tout en valorisant le travail des cinémas à la programmation la plus exigeante, reconnaît la qualité de diffusion en profondeur de l’ensemble des autres salles classées. Est-il besoin de revenir sur ce subtil résultat ? 
Comme l’a évoqué l’AFCAE lors de ses dernières rencontres cannoises, l’enjeu du classement art et essai est donc de maintenir l’équilibre entre les salles qui effectuent le travail le plus exigeant sur les films recommandés et les cinémas dont le rôle social d’accès à ces œuvres sur l’ensemble du territoire est avéré, notamment par le remarquable travail d’animation dont ils font preuve. En résumé, il ne faudrait pas sacrifier cet équilibre au nom d’un élitisme culturel.

Rafael Maestro, réunion de la petite exploitation au Congrès FNCF 2020

Les News