Promenade dans Déserts, avec Faouzi Bensaïdi : « Je respecte l’intelligence et la capacité d’imagination des spectateurs »

© Dulac / © Boxoffice Pro

Le cinéaste, metteur en scène de théâtre et comédien revient avec un cinquième long métrage onirico-réaliste, entre poésie visuelle et réalités complexes de la société marocaine contemporaine. Boxoffice Pro Maghreb a eu l’occasion de le rencontrer dans le cadre de sa tournée en France où, après sa présentation à la Quinzaine des Cinéastes en mai dernier, Déserts sort ce mercredi 20 septembre, accompagné par Dulac Distribution. 

Deux agents de recouvrement de crédit arpentent des villages lointains du grand sud marocain… Pourquoi avoir choisi ce décor si particulier ?

Depuis longtemps, ces splendides paysages m’inspiraient, avec leurs allures de décor de western. Ils sont restés dans un coin de ma tête, et quand j’ai voulu conter le monde d’aujourd’hui – le capitalisme, la surconsommation, le surendettement… –, il se sont naturellement glissés dans les interstices du film, et transformé mes personnages en chasseurs de tête. 

Forcément, ces paysages prennent une dimension particulière après le tragique tremblement de terre qui a touché la région…

C’est une grande tristesse. Nous avons tourné fin 2021, pas loin des lieux du tremblement de terre. Je sais que beaucoup de beauté a disparu, dont de vieux villages éco-construits à l’ancienne, avec des matériaux naturels et des savoirs millénaires qui, j’espère, ne disparaîtront pas pour toujours.

Un western poétique, tour à tour comique, social, noir… N’avez-vous pas peur de quelque peu perdre vos spectateurs ?

Nous vivons à une époque où la production d’images est totalement formatée, où la culture du récit consiste à avoir tout compris au bout de 10 minutes, avec un rappel des enjeux au bout de 50 minutes. Je respecte l’intelligence et la capacité d’imagination des spectateurs. Alors oui, j’ai fait un film qui divague, mais dont l’esthétique et la narration sont justement des prises de positions politiques. Enfin, je sais aussi que je vais certainement raper pour pouvoir financer mes prochains films [rires].

Vous est-il encore difficile de trouver des financements pour vos projets ?

Ce n’est jamais facile. Pour Mille mois, mon premier long en 2003 [distribué en France sous bannière mk2 Films, ndlr.], j’avais eu 80 000 euros du Centre cinématographique marocain [CCM] et peiné à trouver le reste du financement ailleurs. Aujourd’hui, soit près de 20 ans plus tard, Déserts a bénéficié d’un soutien de 430 000 euros de la part du CCM, sans compter le préachat télé – dans le cadre des obligations de financement des chaînes marocaines, inspirées du modèle français – qui représentait 100 000 à 150 000 euros. C’est vous dire la prise de conscience de l’État de l’importance de ses aides au cinéma. Le projet de Déserts est donc arrivé sur le marché international des coproductions avec de solides bases ; il ne nous restait plus “que” 500 000 € à trouver pour boucler le budget, ce que l’on a fait auprès de la France, de la Belgique, de l’Allemagne et du Danemark.

Déserts sort ce 20 septembre dans les salles françaises. Quid de la sortie marocaine ? Revêtira-t-elle un enjeu différent pour vous ?

Nous n’avons pas encore de date, mais elle sera fixée d’ici la fin de l’année. Mais si la sortie marocaine suscite toujours une émotion particulière, car partagée avec toute l’équipe, j’espère que mes films s’adressent aux publics de tous les pays !

En tant que cinéaste “local”, comment vivez-vous le fait que le Maroc soit une grande terre d’accueil de tournages étrangers ?

Au-delà de la stimulation économique qu’elles constituent pour le pays, les productions internationales représentent un grand apport pour le cinéma marocain. J’ai eu la chance de tourner avec des techniciens formidables, qui ont été formés sur ces tournages, auprès des plus grands. Nous y gagnons en talents comme en performances techniques. 

Les étrangers, en l’occurrence les Français, sont aussi très présents dans l’exploitation marocaine…

Et je suis très content qu’après avoir perdu tant de salles, ces investissements étrangers nous permettent de retrouver des cinémas au Maroc. Reste à voir comment on pourrait, à l’avenir, y assurer la visibilité de l’art et essai.

Alors, pour finir, votre prochain projet ?

J’ai le grand plaisir d’être accueilli en résidence d’écriture à la Casa de Velázquez à Madrid, où je pourrai développer un projet qui me tient très à cœur, sur la guerre d’Espagne.

© Dulac / © Boxoffice Pro