Mounia Meddour : «Papicha retranscrit la symbolique et le danger de l’Algérie des années 90»

Mounia Meddour ©Tanguy Colon

INTERVIEW – Il a été l’une des belles sensations du dernier Festival de Cannes et sera le candidat de l’Algérie aux Oscars. Alors que Papicha s’apprête à prendre ses quartiers sur les écrans français ce mercredi, rencontre avec sa réalisatrice Mounia Meddour.

Comment est née l’idée de Papicha ?
Tout est parti d’une histoire personnelle. Je suis originaire d’Algérie, où j’ai vécu une grosse partie de ma vie, dont ma scolarité. À partir de là, j’ai construit la dramaturgie du scénario, en respectant les détails du contexte de l’époque, qui reste une période noire où 200 000 personnes ont trouvé la mort. Il y a eu plusieurs cheminements pendant l’écriture. D’abord la base que je connais, en ayant moi-même fait de la couture pendant ma jeunesse. Puis la base économique, puisque l’héroïne est issue d’un milieu populaire mais ambitionne d’organiser un défilé de mode. Il y avait aussi cette envie de montrer la symbolique forte à travers le haïk, ce voile qui se trouve dans toutes les armoires des Algériennes. C’est un tissu qu’elles recyclent et qui marque, pour moi, le passage de la tradition à la modernité, qui permet d’embellir le corps des femmes à une époque où l’on voulait le couvrir. Il y a aussi un rapport à la couleur et la luminosité, car le voile est blanc tandis que le hijab traditionnel est plus sombre. D’une manière générale, il n’y a pas d’autocensure, j’ai été libre de tourner le film que j’avais en tête. 

Quels ont été vos choix de mise en scène ?
Cette histoire je l’avais, mais je ne me voyais pas la retranscrire sous la forme du documentaire. Malgré ma formation journalistique, il me fallait maîtriser la mise en scène et la direction d’acteurs. Le tournage s’est déroulé sur cinq semaines mais il y a eu beaucoup de travail, en amont, avec mon chef-opérateur Léo Lefèvre. Ensuite, au fond de moi, j’imaginais un film poétique, immersif, organique. Il fallait donc une mise en scène qui fasse ressortir cette pulsion de vie, en filmant caméra à l’épaule avec beaucoup de plans serrés pour être à la hauteur de l’héroïne, Nedjma, et découvrir le monde via son regard. J’ai aussi privilégié un montage très abrupt pour faire ressortir le danger et l’urgence, qui correspondent à la réalité de l’époque. Le côté inachevé de chaque séquence est volontaire.

Papicha suit Nedjma, jeune algéroise qui rêve de devenir styliste. ©Jour2fête

De nombreuses séquences témoignent d’une vraie alchimie entre l’image et la musique. Comment avez-vous travaillé ces plans ?
Ça s’est fait de façon très complémentaire. Les musiques utilisées étaient celles que nous écoutions à l’époque en Algérie. Au moment de l’écriture, je savais donc que cette musicalité allait avoir une part importante. La musique est pour moi comme un personnage du film, au même titre que le noyau de jeunes femmes et la ville d’Alger. Cette musique apporte la légèreté, l’espoir, mais aussi la contestation, via un mélange entre titres américains, algérois et classiques comme Vivaldi.

Peu d’images concernant la période à laquelle se déroule le film sont visibles aujourd’hui en Algérie. C’était important pour vous de parler de ces années noires aux nouvelles générations ?
Papicha vient surtout d’un sentiment égoïste de vouloir transmettre cette histoire que j’ai vécue à travers une fiction, et non sous la forme documentaire qui peut avoir quelques limites. Ce qui m’intéresse dans le cinéma, ce n’est pas tant l’information que d’embarquer dans une aventure pour suivre l’émancipation d’une héroïne et son combat pour réussir un rêve. Mon prochain film [Houria, NDLR] reste dans cette thématique, mais les choses évoluent très rapidement en Algérie, obligeant à de longues sessions de réécriture. C’est donc délicat de travailler sur des sujets dans un pays où la politique est en mouvement.  

Pourquoi ce titre, Papicha ?
C’est un terme algérois qui signifie lolita, donc un peu jeune femme jolie, coquette, assez rusée, à l’image de Nedjma. Il date des années 1990 et c’est une forme d’argot. Mais dans la rue, les jeunes filles sont encore aujourd’hui appelées ainsi.


L’intégralité de l’interview est à retrouver dans Boxoffice Pro n°375.

Mounia Meddour ©Tanguy Colon