Tout au long du mois dernier, d’Est en Ouest en passant par la région lyonnaise, la Bretagne et la Savoie, les syndicats ou groupements d’exploitants se sont réunis pour faire le bilan de l’année. Dans un contexte général dissolu qui n’apaise pas les inquiétudes propres au secteur, mais néanmoins éclairé par la récente embellie de la fréquentation.
Article paru dans le Boxoffice Pro du 10 juillet 2024.
« Les sujets sur lesquels nous travaillons depuis deux ans vont partir à la poubelle », constatait Richard Patry le 25 juin à Ferney-Voltaire, lors de l’AG du Syndicat des Pays de Savoie comme lors des précédentes. C’était avant le résultat des législatives, mais déjà dans un climat d’incertitude politique, où ce qui concerne la filière cinéma est en suspens, de la proposition de loi du Sénat “visant à conforter la filière cinématographique” en passant par l’avenir de l’audiovisuel public – qui affectera la production de films. Pour l’exploitation, les discussions autour de l’éducation aux images ou de la transition écologique avec les ministères concernés devront donc être reprises à zéro. Et si la réforme art et essai, elle, est actée, les interrogations demeurent au sujet du CNC, qui, pour l’heure, attend la nomination d’un nouveau président, mais aussi le rapport de l’inspection générale des finances sur l’institution.
Face à cet avenir brumeux, reste une certitude pour le président de la FNCF : « Quand les films sont là, le public répond massivement. » Et si les assemblées générales ont eu lieu avant la Fête du Cinéma, l’opération, qui a débuté un jour d’élection et de match de foot de l’Euro, a montré combien le taux de participation du public reste élevé. Certes, la fréquentation de ces années post-Covid ne reprend pas au même rythme selon la taille des exploitations, mais partout, la question de l’offre de films est au cœur des préoccupations. Avec elle, le nombre de copies et de séances, mais aussi, ce qui est plus rarement interrogé, celle du nombre de cinémas, dans un parc toujours en expansion. Autant de sujets qui ont été abordés le mois dernier au sein de la profession, qui, au-delà de notre modèle de redistribution, doit plus que jamais compter sur elle-même pour trouver des solutions.
Fréquentation : grosse disparité entre petite et grande exploitation
Reste que pour ça, il faut pouvoir s’appuyer sur ses propres ressources. Les cinémas français peuvent se réjouir collectivement de la remontée des entrées, avec « deux films coup sur coup qui cassent la baraque » et un mois de juin qui a atteint des sommets, avec près de 13,2 millions d’entrées, soit +16 % par rapport à la moyenne 2017-19. « Et sur l’année glissante, nous sommes en progression de plus de 2 %, ce que l’on n’aurait jamais imaginé », souligne le président de la FNCF, au vu des premiers mois de 2024. Mais sur ces trois dernières années, on sait que la reprise n’est pas la même pour tous : « Les petites exploitations et beaucoup de salles art et essai ont quasiment retrouvé leur niveau d’avant-crise, les moyennes ont moins bien repris que les petites et les grandes beaucoup moins bien », résume le président de la FNCF, sachant que la petite et la moyenne ont largement modernisé leurs établissements.
Selon les chiffres présentés par le syndicat des Cinémas de l’Ouest à Plestin-les-Grèves, et constatés dans toutes les régions, les cinémas de la grande exploitation accusent encore un retard de leur fréquentation de -34 % par rapport aux années d’avant-crise, quand ceux de la petite sont à -4 %. « La grande exploitation traverse une crise comme elle n’en a jamais vécue, qui pourrait avoir des conséquences sur toute la filière », alerte Richard Patry, rappelant que « notre système repose sur un modèle de mutualisation que nous devons conserver à tout prix ».
1er janvier-25 juin 2024 | Evol/2023 | Evol/moy. 2017-2019 |
Petite exploitation | 2 % | -4 % |
Moyenne exploitation | -5 % | -14 % |
Grande exploitation | -17 % | -34 % |
Art et essai | 3 % | -4 % |
Les disparités sont difficiles à analyser quand il s’agit des films : Un p’tit truc en plus a largement fédéré les spectateurs, mais « ils viennent moins dans les multiplexes de périphérie que dans les cinémas de centre-ville, et moins dans l’Est que dans l’Ouest de la France ». Et bien sûr, avant l’arrivée de Vice-versa 2, le manque de films américains a particulièrement affaibli les gros établissements… qui espèrent une révision du taux de retour de leur fonds de soutien, qui n’a pas été réévalué depuis douze ans. Une commission planche sur le sujet à la Fédération.
Du côté de la petite exploitation, l’accès au film a été facilité par le nombre croissant de copies en circulation, mais c’est aussi ce qui conduit « à des absurdités dans les conditions imposées », comme rapporté par Sandrine Gueynard lors de l’AG du Slec, faisant allusion au nombre de séances. Aujourd’hui, presque la moitié des séances génère moins de dix entrées, y compris sur les blockbusters, et la situation financière des petites salles reste très tendue. Un groupe s’est constitué à la FNCF pour travailler sur la “Diffusion des films en salles”, et rendra ses conclusions lors du Congrès.
De façon générale, « les collègues de la grande exploitation paient un lourd tribut au changement d’habitudes des spectateurs en termes d’entrées », reconnaît Christophe Maffi, président du Syndicat lyonnais, « mais les établissements de toute taille perdent en chiffre d’affaires ». Toutes les trésoreries sont affectées par le remboursement des PGE, le coût de l’énergie et les charges de fonctionnement, ce qui fait tirer la sonnette d’alarme à Thierry Tabaraud, entendu dans l’Est : « Aujourd’hui notre modèle économique est fragilisé : nous ne générons pas de marge et ne pouvons investir pour le futur. »
Transition écologique en général et laser en particulier
Un futur qui passe forcément par la transition écologique des cinémas. S’ils ont réussi à économiser globalement 20 % d’énergie, tous les sujets environnementaux doivent être pris en compte. Les exploitants savent notamment qu’il faut investir dans des projecteurs laser ou dans le retrofit… ce qui est difficile avec des comptes d’exploitation dégradés depuis 2020. Si, malgré les démarches et demandes portées par la FNCF, il ne faut rien attendre du côté de Bercy, certaines Régions ont en revanche accompagné les salles, comme celle du Grand Est, qui a financé jusqu’à 80 % des investissements dans le laser. C’est donc auprès d’elles qu’il est conseillé de se mobiliser, en attendant de savoir si la commission d’aide sélective du CNC sera « bienveillante » sur ce qui relève de l’écologie en général.

Bien sûr, les salles mènent une action à titre individuel ou au sein de réseaux, parmi lesquels Cinéo est particulièrement actif. Le groupement de cinémas indépendants privés a remporté un appel à projets dans le cadre de “France 2030 Alternatives vertes pour la culture”, qui permettra de calculer avec précision les bilans carbone des salles, puis de planifier et déployer des actions en conséquence. La présidente de Cinéo, Marie-Christine Desandré, est aussi à la tête de la commission Écologie de la FNCF, qui présentera lors du prochain Congrès de Deauville un plan d’action pour les salles, élaboré en s’appuyant sur le questionnaire lancé par la fédération, auquel plus de 70 % des cinémas ont répondu.
Sauver les dispositifs nationaux d’éducation au cinéma.
L’éducation au cinéma est toujours une grande source d’inquiétude depuis les mesures prises par l’Éducation nationale à l’automne dernier – sur le remplacement et la formation des enseignants – qui affectent les dispositifs nationaux Collège et Lycéens et apprentis au cinéma. Si elles ne touchent pas encore toutes les académies, ces mesures sont à l’œuvre dans celles de Nice et de Normandie, cette dernière accusant une baisse de 80 % de participation à Collège au cinéma. « Une véritable hécatombe » selon le président de la FNCF, qui ajoute que l’an dernier, la formation organisée en Seine-Maritime en octobre avait rassemblé 97 enseignants, et seulement 2 cette année. « Or ces formations sont cruciales pour les dispositifs », souligne de son côté le président du Slec, déplorant « la perte de notre socle commun, au bénéfice des séances à la carte, et ce dans le meilleur cas ». Car au-delà des mesures de l’Éducation nationale, beaucoup de collectivités – et certains professeurs – se désengagent des dispositifs au profit du pass Culture. Le département de la Loire va être le premier de la région Auvergne-Rhône-Alpes à financer les séances “Collège au cinéma” par la part collective de l’appli. Or rien ne garantit que le pass Culture sera pérennisé.

Au niveau national, la participation aux dispositifs scolaires a baissé de 30 % en moyenne. Depuis janvier, les représentants de la FNCF rencontrent les directeurs des différents cabinets ministériels pour tenter de trouver des solutions. « Nous avions réussi des avancées très importantes avec l’actuelle ministre de la Culture », indique Richard Patry, félicitant le travail d’Aurélie Delage, qui préside la commission Éducation de la fédération. Parmi les propositions : permettre plus de choix aux enseignants que les trois films proposés par dispositif ; organiser au moins une formation dans l’année en salle et les autres en ligne, ou encore faire accompagner les classes par des médiateurs (ou d’autres adultes), pour limiter le nombre d’enseignants qui sortent de leur établissement. Lors de l’assemblée générale de Cinéo, le président de la FNCF a insisté pour que les salles s’emparent du sujet des médiateurs, sachant que le CNC accompagne désormais mieux les régions pour la création de postes. Du côté des exploitants, certains proposent de s’appuyer davantage sur les coordinations locales, d’autres de faire appel à des mécènes privés… ne sachant pas ce qui viendra des ministères de tutelle, avec le changement de gouvernement.
Afficher notre unité
Pour l’heure, la réforme art et essai, qui a été détaillée lors des différentes assemblées de juin, suscite encore des commentaires mais de façon générale satisfait la fédération. En effet, elle permet d’être plus sélectif sans pour autant exclure des salles du classement. « D’après les simulations, les cinémas qui font le plus d’art et essai vont voir leur subvention augmenter, mais aucune catégorie de salle ne paiera pour l’autre, car l’enveloppe générale est augmentée » souligne à ce titre Richard Patry. Un point d’importance pour le président de la Fédération nationale, qui veille à parler au nom de toutes les salles de cinéma, sur tous les sujets… et aujourd’hui plus que jamais. « Quel que soit le ou la ministre de la Culture que nous aurons demain, nous devons afficher notre unité : c’est notre force ».
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