Du Nord à l’Ouest, le secteur de l’exploitation scrute la réforme et pense l’avenir

L'Omnia de Rouen a accueilli plus d'une centaine d'exploitants pour le 76e Congrès de la chambre syndicale des cinémas de Normandie. © Boxoffice Pro / David Weichert

Le Pathé Valenciennes et l’Omnia de Rouen ont respectivement accueilli les assemblées générales des cinémas du Nord-Pas-de-Calais et de Normandie, mardi 16 et jeudi 18 avril. L’occasion pour les chambres syndicales de revenir sur ces derniers mois, d’évoquer les enjeux inhérents à la filière et d’échanger avec le CNC sur les contours de la réforme art et essai, toujours en cours d’élaboration. 

La saison des assemblées générales s’est poursuivie avec celles du Nord et de Normandie, où sujets régionaux et nationaux se sont succédé devant un parterre d’exploitants, venus en nombre. Inévitablement, la période dépressive en matière de fréquentation des salles a été abordée par différents acteurs de l’exploitation, qui ont tenu à relativiser le sentiment d’urgence qui gagne la profession : « Le premier trimestre de 2023 était très fort, ce qui accentue la baisse de cette année, a rappelé Marc-Olivier Sebbag, délégué général à la FNCF, alors que les cinémas français ont cumulé 43,74 millions d’entrées du 1er janvier à la fin du mois de mars, soit 10 % de moins par rapport à la même période l’an dernier. La grève à Hollywood est en cause, mais nous retrouverons un rythme de sorties plus classiques à partir du mois de juin. » Le Nord, davantage tributaire des blockbusters américains, aura été un peu plus touché par ces mouvements sociaux, dont les effets se sont répercutés sur les chiffres du Printemps du Cinéma, comme sur l’ensemble du territoire. La Fédération compte bien sur une Fête du Cinéma proche des chiffres de 2023.

À Rouen, la pression inflationniste, inhérente au contexte géopolitique, a également été citée comme préoccupation majeure pour les futurs investissements du secteur, notamment en matière de renouvellement des équipements. Toutefois, c’est surtout vers la tant attendue réforme art et essai que les regards étaient tournés, alors que les discussions entre le CNC et les différentes filières battent toujours leur plein. À l’approche du Festival de Cannes, où seront présentées les grandes lignes directrices, le Centre a profité de ces deux assemblées pour détailler davantage les contours du projet, toujours en chantier, et donc empreint de confidentialité. 

Vers une sélectivité plus proche du terrain

Pascal Maubec, adjoint au chef du service de l’exploitation au CNC, a reconvoqué les ambitions qui guident cette réforme, à savoir « la simplification et l’assouplissement des dispositifs de régulation et de soutien », notamment sur les engagements de programmation. « On tente également de préserver deux fondamentaux : le soutien à la prise de risque éditoriale des exploitants et l’accompagnement de l’aménagement culturel du territoire », a-t-il rappelé, en prenant appui sur les préconisations du rapport Lasserre. L’une d’elles suggérait un système de pondération des films au sein du classement ; point le plus sensible sur lequel des débats sont toujours en cours. « Une de nos revendications est qu’un tel système n’aboutisse pas à un déclassement de salles et ne remette en cause le classement initial, a ainsi rappelé la FNCF, par la voix de son président, Richard Patry. Au contraire, notre souhait est que plus de salles puissent obtenir le classement, même sans subvention. »

Les membres de la chambre syndicale de Normandie ont détaillé le rapport financier et moral de l’exercice 2023 et des premiers mois de 2024. © Boxoffice Pro / David Weichert

L’adaptation majeure évoquée par le CNC serait de remplacer l’actuel barème qui fonctionne par paliers vers un « système de notation plus linéaire », afin de limiter les effets de seuil. Pour le CNC, cela nécessite de se rapprocher de la réalité du terrain et d’augmenter la part de sélectivité dans l’examen des dossiers, qui représente aujourd’hui 20 %. Le Centre œuvre ainsi à simplifier les calculs, les rendre plus transparents et « redonner du poids » aux commissions régionales, qui pourraient voir leur nombre augmenter de cinq à huit : « Nous sommes attachés au fait de leur laisser plus de temps dans l’examen des dossiers », a soutenu Pascal Maubec. Ces aménagements permettront d’octroyer un « classement symbolique », à certaines salles qui ne sont pas éligibles aujourd‘hui, prenant ainsi en compte des situations particulières sur leurs territoires.

Enfin, le CNC souhaite conserver les critères d’éligibilité des trois labels existants et en créer deux autres. L’un autour du travail à destination des 15-25 ans, dans la continuité du fonds jeunes cinéphiles ; l’autre pour soutenir et récompenser davantage la diffusion de courts-métrages ; l’enveloppe actuelle globale dédiée s’élevant à 65 000 €. Quant à la question de l’écrêtement de l’enveloppe art et essai générale, Marc-Olivier Sebbag rappelle qu’ « une bonne politique publique doit s’accompagner des moyens financiers, on espère que ce sera le cas cette année… ». 

Les dispositifs d’éducation à l’image en danger 

La question de l’éducation à l’image s’est révélée particulièrement épineuse à l’assemblée générale de Normandie, une des seules régions à avoir appliqué à la lettre les directives du Pacte enseignant – soit les obligations de remplacement et de formation des enseignants en dehors du temps scolaire – avec la Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Moins de 40 % des inscrits participent réellement à la formation, et sur ce pourcentage, certains n’adhèrent même pas au dispositif », s’est alarmé Richard Patry, notamment inquiet pour Collège au cinéma. L’agence Normandie Images, qui coordonne ces opérations avec un ensemble de partenaires – à l’instar du Café des Images –, s’inquiète également de cette « hémorragie », d’autant plus à cette période de l’année où les comités de pilotage ont lieu : « Toutes les parties prenantes, associations comme organisations professionnelles, se sont mobilisées en écrivant des pétitions et des courriers au ministère de l’Éducation nationale, confie Denis Darroy, le directeur de l’agence. Nous sommes préoccupés, car il s’agit là de dispositifs qui attirent les jeunes vers les cinémas et construisent leur cinéphilie. » Plusieurs suggestions ont été avancées pour juguler l’hémorragie, telles que les formations en distanciel ou l’attribution de davantage de pouvoirs aux enseignants quant aux films proposés, alors que des discussions ont pris place entre la Fédération et les cabinets des ministres de la Culture et de l’Education nationale

Le défi de l’éco-responsabilité

Dans les Hauts-de-France, Pauline Jeumont, directrice générale de l’Acap – le pôle image régional – porte un projet déposé auprès du deuxième volet de France 2030, Alternatives Vertes 2. En développement et attente de financement, l’initiative se penche sur la mobilité des spectateurs des cinémas, principal poste de consommation carbone du secteur de l’exploitation : « Nous souhaitons créer un laboratoire autour de cette question avec un comité de pilotage élargi : la Chambre syndicale, De la suite dans les images, la Drac, mais aussi la FNCF, le Scare, pass Culture, l’ADRC, le CNC, l’Acrira et Cina », précise Pauline Jeumont. Ainsi, le programme se déroulerait en trois phases ; une première de diagnostic et études auprès des salles et des publics, une seconde consisterait à faire collaborer les exploitants et les AOM (autorités organisatrices de mobilité et de collectivités) afin d’imaginer des solutions concrètes, des boîtes à outils et des plans de formation. Enfin, la phase finale permettrait de répliquer le programme au niveau national.

Assemblée générale de la chambre syndicale des cinémas su Nord-Pas de Calais. De gauche à droite : Pascal Maubec, Marc-olivier Sebbag, Cathy Coppey, Laurent Coët et Delphine Vermoesen.

Depuis Rouen, le directeur des affaires réglementaires et institutionnelles de la FNCF, Erwan Escoubet, est intervenu pour faire un point d’étape de la révolution silencieuse qui s’opère sur ce volet. Dans l’attente des résultats du questionnaire de la Fédération, destiné à établir une feuille de route pour les cinémas désireux de s’emparer de la question environnementale, le directeur a rappelé les travaux connexes avec l’ADRC, la CST ou encore le CNC, avec qui il met en place des formations sur l’écologie.

La Normandie, terre de dynamisme 
En aval des remerciements adressés aux équipes et aux partenaires, la chambre syndicale de Normandie est revenue sur l’exercice 2023 et les premiers mois de l’année 2024. Au total, la région compte 103 cinémas et 302 écrans, auquel s’ajoute un petit dernier : L’Aiglon, situé à L’Aigle, qui a ouvert ses portes en septembre dernier (voir Boxoffice Pro du 18 septembre 2023). Durant ce même mois se déroulait la Fête des Cinémas Normands, qui a réalisé 67 607 entrées en trois jours (les 22, 23 et 24 septembre) ; un chiffre en augmentation, tout comme celui des cinémas participants – 57 en 2021, 61 en 2022, 67 en 2023. Pour rappel, l’opération vise à attirer un nouveau public grâce à un tarif attractif de cinq euros et une programmation composée de films tournés en Normandie. Sa prochaine édition est datée du 27 au 29 septembre 2024. Concernant la jeunesse, le dispositif d’aide Atouts Normandie a encore fait ses preuves avec 110 000 comptes actifs, dont 12 % de jeunes inscrits au volet « Loisirs », qui leur permet de financer une partie de leurs séances. Le Pass culture bénéficie à près de 129 000 bénéficiaires, qui ont effectué près de 1,4 million de réservations. Enfin, de chaleureux remerciements ont été adressés à l’Entraide Normandie, qui alloue des allocations aux salariés des cinémas normands, de la petite exploitation aux grands circuits.

Marion Delique & David Weichert

L'Omnia de Rouen a accueilli plus d'une centaine d'exploitants pour le 76e Congrès de la chambre syndicale des cinémas de Normandie. © Boxoffice Pro / David Weichert

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