Le président du CNC Gaëtan Bruel auditionné au Sénat

Capture de la retransmission de l'audition de Gaëtan Bruel, 2 avril 2025 © Assemblée nationale

Sept semaines après sa prise de fonction, le nouveau président du CNC était invité à partager sa vision des enjeux stratégiques de la filière avec la commission de la Culture du Sénat. L’occasion de réaffirmer, dans un contexte de mutations technologiques, sociétales et géopolitiques, l’engagement du Centre auprès des salles de cinéma et de la distribution.

Pour Gaëtan Bruel, les 181 millions d’entrées comptabilisées dans les cinémas sont, « la meilleure réponse à ceux qui penseraient encore que notre modèle produit des films qui ne font pas se déplacer les gens en salle ». La réussite globale du modèle français repose « sur un parc de salles dense » qui permet de redynamiser certains de nos territoires ; une action renforcée par le plan de diffusion porté par la ministre de la Culture Rachida Dati, « qui a encore accru ce maillage dans les zones les plus rurales, notamment avec une aide accrue aux circuits itinérants ». 

Face aux sénateurs, Gaëtan Bruel a identifié les défis du CNC sous forme de cinq ruptures, qui doivent « constituer la toile de fond des discussions et de [notre] action pour les prochains mois » : 

  • La rupture culturelle de la bascule des audiences vers les plateformes sociales : « Nous sommes en train de passer d’une consommation plurielle, collective, rituelle, à une consommation massivement individuelle, mobile, à la demande, et sur des contenus qui sont en passe de devenir une concurrence existentielle pour absolument tous les types d’œuvres et d’expériences soutenues par le CNC. ». Une évolution qui invite à prendre d’autant plus au sérieux la question de l’éducation aux images, objet de la mission confiée à Édouard Geffray par les ministres de la Culture et de l’Éducation.
  • La rupture technologique de l’IA générative, « qui impacte tous les aspects du processus créatif, mais aussi tous les aspects de sa valorisation… ou de sa dévalorisation ». Si le mouvement doit être accompagné, en neutralisant le risque qu’il tue la création, il ne faut pas non plus prendre « risque de laisser d’autres pays s’emparer de l’IA, dont des usages vertueux ont leur place dans notre modèle. » 
  • La rupture sociétale face aux violences sexuelles et sexistes, face auxquelles le cinéma doit assumer « une mission d’exemplarité », et en finir avec « ses contradictions que plus personne ne tolère aujourd’hui ». Gaëtan Bruel salue par ailleurs la réaction rapide et forte du CNC, avec la conditionnalité de ses aides au suivi des formations contre les VHSS qui a déjà permis de former plus de 6 750 mandataires sociaux, producteurs, exploitants, distributeurs…. « c’est-à-dire 100 % des professionnels qui sont actifs depuis 4 ans ». 
  • Le risque de rupture territoriale, car bien que l’intégralité des Régions aient maintenu leurs aides à la production, seules trois –  à savoir les Hauts-de-France, la Bretagne et la Réunion – ont préservé leurs aides à la diffusion. Soucieux de ne « pas relâcher l’effort, notamment sur l’éducation aux images » et d’éviter les disparités territoriales, le président du CNC entamera un tour des Régions dès le mois de juin, « pour en discuter avec les élus et les acteurs locaux en lien avec nos Drac ».    
  • Et enfin, la rupture géopolitique, alors que résonnent les échos d’une « possible offensive américaine contre notre modèle européen, jugé par la Maison Blanche comme “pénalisant ou déloyal” ». De fait, la « fébrilité » monte autour de la directive SMA « et la forte dynamique d’extension de sa transposition ». Et alors que le nouveau contexte international « oblige l’Union Européenne à clarifier ses priorités », celles du CNC sont claires : « Continuer de renforcer nos liens avec les Américains, mais aussi se préparer à toutes les hypothèses. »  

Dans le cadre de ses réponses aux sénateurs, le président du CNC a évoqué l’avenir du décret Smad. Après le premier bilan positif – « avec un total de 866 M€ d’investissements au service de la diversité » et de « nouveaux acteurs [qui] ont intégré les règles du jeu, et qui y ont même trouvé leur compte » –, des ajustements peuvent être envisagés. Parmi ceux-ci, la valorisation de la production déléguée, la clarification de la définition d’une “œuvre européenne”, ou encore un meilleur soutien à la diversité. Par ailleurs, face au manque de transparence des chiffres d’affaires servant au calcul des obligations de financement, le président du CNC a rappelé que la levée du “secret des affaires” nécessiterait une « modification législative ciblée ».  

Dans le contexte de la nouvelle administration Trump, le souhait de relocalisation de la production américaine se heurtera avant tout, selon le président du CNC, à un débat interne, « entre vision politique et rationalité économique ». Car The Substance de Coralie Fargeat, « tourné en France pour moins de 20 M€ alors qu’il aurait coûté 80 M€ aux États-Unis, prouve que le modèle français est très compétitif »…  et son marché est « particulièrement important pour les productions américaines ».  

Quant au volet de l’éducation aux images, Gaëtan Bruel considère Ma classe au cinéma comme « le plus beau dispositif d’éducation artistique et culturelle que nous ayons en France ». La mission confiée à Edouard Geffray promet d’apporter des solutions aux difficultés que le dispositif rencontre depuis deux ans, entre la réforme RCD de l’Éducation nationale et le désengagement des collectivités. Elle permettra en outre de poser la question de l’éducation à l’image « en des termes nouveaux, dans les salles de classe et plus que jamais dans les salles de cinéma, mais aussi en saisissant d’autres opportunités ». 

Sur les autres problématiques plus directes de l’exploitation, le président du CNC assume pleinement le sens de la récente réforme du soutien automatique à l’exploitation, à savoir « accompagner les difficultés particulières de la moyenne et de la grande exploitation dans la situation complexe de l’après-Covid ». Au lendemain des municipales de l’année prochaine, le CNC sera aussi très attentif à « la manière dont la nouvelle génération de maires va continuer à accompagner les cinémas ». 

Sur le terrain de la programmation, la fin des VPF a créé une « situation de concurrence accrue – et pas tout à fait saine – » entre les salles, et les plans de sorties de plus en plus larges risquent « d’affaiblir la diversité de l’offre dans le temps ». Les échanges initiées par le CNC avec distributeurs et exploitants ne visent toutefois pas à établir une régulation dédiée, mais « de bonnes pratiques qui peuvent permettre à chaque salle de trouver ou retrouver sa place ».

Concernant la distribution, dont Gaëtan Bruel reconnaît son rôle « très engagé » dans le financement et la diffusion et son statut de « maillon qui prend le plus de risques, elle mérite un meilleur accompagnement ». Le déplafonnement de son soutien automatique, notamment préconisé par le rapport Bacchi [pour rappel, le soutien automatique des distributeurs est, contrairement aux autres soutiens automatiques de la filière, pour l’heure, plafonné à un million d’entrées par film, ndlr.] devrait être présenté en CA dès juin prochain.

Enfin, à la question de savoir comment le CNC “absorbe” la ponction supplémentaire de 50 M€ sur sa trésorerie, portant sa contribution au PLF 2025 à un total de 500 M€, Gaëtan Bruel répond qu’il s’agit d’un « montant très élevé – et supérieur aux 430 M€ versés par l’État au secteur dans le cadre de plan de relance post-Covid via le CNC ». Reste que le CNC est « en ordre de marche pour aménager les règles budgétaires et comptables, de manière à concilier sécurité financière et capacité d’action ». Toutefois, cette adaptation ne doit pas mettre à mal « l’acceptabilité du système par les acteurs qui le nourrissent ». Car dans un modèle basé sur des taxes affectées et une surfiscalité sectorielle, « si la ponction devait se reproduire et, de manière chronique, servir à financer le budget de l’État, il est certain que ces entreprises demanderaient une diminution de la fiscalité. Ce qui grèverait le budget du CNC et fragiliserait l’entièreté du modèle », prévient Gaëtan Bruel.

Capture de la retransmission de l'audition de Gaëtan Bruel, 2 avril 2025 © Assemblée nationale

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