La Clef Survival lance une action en justice contre La Clef Revival

© Tanguy Colon/Boxoffice Pro

D’anciens salariés et occupants du cinéma associatif parisien, désormais regroupés sous la bannière La Clef Survival, accusent La Clef Revival, actuellement positionnée pour racheter les murs, d’avoir « détourné le projet initial ».

À l’origine de l’occupation du cinéma associatif La Clef entre septembre 2019 et octobre 2021, l’association Home Cinéma a enchaîné les batailles pour sauver la structure, située dans le Ve arrondissement. Alors que les dernières informations faisaient état d’une campagne de financement participative pour racheter le bâtiment au Comité social et économique de la Caisse d’Epargne Île-de-France, qui avait par ailleurs prolongé le compromis de vente de cinq mois, voilà qu’un nouveau rebondissement vient compromettre le processus. D’anciens salariés et occupants, regroupés sous la bannière La Clef Survival, accusent le collectif La Clef Revival, l’association derrière le fonds de dotation et en voie de reprendre le cinéma, d’avoir « détourné le projet initial » et lance une action en justice. L’audience, prévue pour le 27 février au Tribunal judiciaire de Paris, tranchera sur les accusations d’usurpation d’identité associative et de parasitisme, ce que La Clef Revival  qualifie de son côté de « campagne de diffamation »

Des ambitions « divergentes »

Le seuil de l’Epée de bois avait des allures d’agora ce samedi 3 février, alors que devait s’y tenir la conférence de presse de La Clef Survival, Or, « à la suite des pressions d’ordre économique et politique, le cinéma de L’Epée de bois ne peut accueillir la conférence dans ses salles », dévoile d’emblée Derek Woolfenden, fondateur et président de l’association d’origine Home Cinéma, depuis l’extérieur du bâtiment. Sous l’œil intrigué des passants, le collectif déroule les événements marquants de ces dernières années : la fermeture puis l’occupation du cinéma associatif ; la tentative de rachat par le groupe SOS et finalement sa capitulation ; le lancement du fonds de dotation en 2020 et la scission du groupe un an après. « Au cours d’une réunion portant sur la fin du fanzine, des occupants ayant quitté les lieux une dizaine de jours plus tôt apprennent que la nouvelle association compte prendre le nom de La Clef Revival. » Or, selon les anciens occupants, « ce nom est inapproprié », puisqu’il fait référence au nom du cinéma durant l’occupation, pouvant ainsi entraîner une confusion. 

Sur ce volet, la réponse de la Clef Revival ne s’est pas faite attendre : « En septembre 2021, le bureau de l’association Home Cinéma, première association créée par les occupants, dont son président Derek Woolfenden, décide de quitter l’occupation et de liquider l’association – sans consulter les dizaines de bénévoles qui contribuent activement à la réalisation de son objet, communiquait alors l’association. Dans ce contexte, les membres de Home Cinéma, investis déjà de longue date à La Clef et désireux de poursuivre l’effort de sauvegarde du cinéma, créent l’association La Clef Revival. Il n’y a donc pas de substitution d’un collectif à un autre, contrairement à ce qu’allègue La Clef Survival. » 

Les membres de La Clef Survival ont tenu une conférence de presse au devant de l’Epée de bois, ce samedi 3 février.

Les ambitions pour le cinéma divergent alors, puisque La Clef Revival table sur un projet de reprise axée davantage sur la production : « Dans les parties communes, des espaces seront dédiés à la fabrication des films. Nous mettrons en place deux salles de montage image et une salle de montage son, expliquait alors le collectif La Clef Revival. Les espaces aménagés seront loués comme des salles de post-production ou de réunion pour les besoins des structures extérieures fragiles ou des autoproductions. Proposés à des tarifs solidaires et adaptés à chaque projet, ces espaces offrent un soutien à la création, ainsi que des ressources pérennes pour le lieu. » 

Pour sa part, La Clef Survival considère que ce projet ne respecte pas les intentions énoncées en 2020 : « Nous sommes passés d’une lutte désintéressée défendant huit séances par jour à une fabrique de cinéma et des bureaux de production à une séance par jour, pour deux salles, dont le potentiel et imminent rachat serait sous l’égide d’un producteur pour Netflix, accuse alors Derek Woolfenden, micro à la main et gouttes de pluie sur le visage. Nous sollicitons également le concours des associations dédiées à la réinsertion des anciens détenus, épaulés par des professionnels du cinéma, et notamment au travers de leur participation à la réalisation d’un film. Nous demandons ainsi les trois labels art et essai. » 

« Les décisions ont été prises ensemble »

Le son de cloche est drastiquement différent du côté de La Clef Revival, qui assure que ce projet existait dès la création du fonds de dotation en 2020 : « Nous avons des comptes-rendus d’AG qui prouvent que le projet tel qu’il est aujourd’hui n’a pas changé depuis décembre 2020 et que toutes les décisions ont été prises ensemble. Le projet, qui était de faire perdurer une certaine manière de montrer des films, parlait déjà de gestion horizontale et de bénévolat », souligne un membre du collectif La Clef Revival. 

Par ailleurs, en décembre 2020, l’association Home Cinéma lançait le Studio 34, un laboratoire de fabrication cinématographique, indépendant et associatif, dédié à la jeune création et au partage des savoir-faire ; une initiative saluée par l’ensemble des membres à l’époque  : « Ce projet lié à la production était déjà dans le projet de reprise des anciens salariés en 2018. Le bâtiment est immense, il y a de la place pour des stations de montage, explique le membre du collectif. C’est également un moyen de faire tourner une machine bénévole si on ne veut pas faire reposer tout le poids du fonctionnement sur les programmateurs. Il faut un système économique viable et un moyen de gagner de l’argent tout en mettant à disposition nos salles. » 

Quid de l’exploitation à une séance par jour ? Le membre du collectif certifie que dans tout le réseau de cinémas alternatifs des Kinoclimates, basés sur un modèle similaire, « aucun n’est capable d’assurer huit séances par jour avec des bénévoles ». Avant la fermeture, le cinéma couvrait des sorties nationales et des continuations, mais la période d’occupation a vu émerger cet autre modèle, bien plus « convenable et viable ».  En somme, La Clef Survival accuse son opposant « de privatiser le lieu avec une approche financière », mais également de « récupérer tous les travaux et actions réalisés par Home Cinéma jusqu’aux terminologies créées », tandis que La Clef Revival assure que ce projet a été pensé de concert avec les anciens membres d’Home Cinéma, et qu’il vise toujours « à pérenniser l’activité cinématographique de La Clef et défendre des films peu diffusés ». Au Tribunal judiciaire de Paris de se prononcer désormais.

© Tanguy Colon/Boxoffice Pro