Entre les festivals de Cannes et d’Annecy, le patron du Pacte a pris le temps de revenir sur la belle édition cannoise de sa société, ainsi que l’état du marché et la situation « inquiétante » du cinéma d’auteur et de la distribution indépendante.
Le Festival du film d’animation d’Annecy vient de démarrer : quelle est l’actualité du Pacte sur place ?
Notre première priorité est la présentation en compétition de notre coproduction Le Royaume de Kensuké de Neil Boyle et Kirk Hendry [le film a été projeté le lundi 12 juin et sortira le 18 octobre, ndlr.]. Ensuite, Annecy va me permettre de découvrir une dizaine de films d’animation et de retrouver les producteurs avec lesquels nous collaborons, dont Franck Ekinci et Marc Jousset de Je suis bien content pour le film Dans la forêt sombre et mystérieuse de Vincent Paronnaud et Alexis Ducord. L’animation est un genre qui nécessite du temps pour faire aboutir les projets mais que j’adore distribuer et voir comme spectateur, avec une variété et une liberté de scénario plus importante que pour la prise de vue réelle. Outre notre film en compétition, nous accompagnerons Panda Bear in Africa [co-production européenne de Richard Claus et Karsten Kiilerich, ndlr.], dont la livraison est prévue l’an prochain.
Cela fait bientôt trois semaines que le Festival de Cannes s’est achevé, et de fort belle manière pour Le Pacte : quel bilan tirez-vous de cette édition ?
Tout d’abord, c’était formidable d’avoir le sentiment d’être dans un festival “normal”, avec légèreté et enthousiasme autour d’une sélection de films d’une grande qualité. C’était un Cannes exceptionnel pour nous, l’accueil favorable de nos films se traduisant notamment par la Palme d’or pour Anatomie d’une chute de Justine Triet et le prix du scénario pour Monster de Hirokazu Kore-eda, qui a délivré un très beau discours pour rendre hommage à son fidèle scénariste Yuji Sakamoto. Le film est d’ailleurs sorti au Japon où il cartonne avec 230 000 tickets vendus pour son premier week-end (2-4 juin).
Anatomie d’une chute est votre 11e Palme comme distributeur et la 3e pour Le Pacte (après Moi, Daniel Blake en 2016 et Une affaire de famille en 2018) : est-ce qu’elle a une saveur particulière ?
Cannes, c’est un peu les Jeux olympiques du cinéma donc il y a forcément une fierté à remporter ce prix. Et c’est encore plus fort, je trouve, quand c’est un film français qui gagne, car nous avons un lien plus fort avec l’équipe du film. Cette Palme récompense une cinéaste que nous accompagnons pour la troisième fois et auprès de laquelle nous nous sommes engagés à la seconde dès la lecture du script. Justine a une capacité à atteindre la perfection tout en gardant une capacité d’inventivité, et elle évolue constamment depuis Victoria [son premier long, La Bataille de Solférino, avait été distribué par Shellac, ndlr.]. Anatomie d’une chute sortira le 23 août, une date fixée avant la présentation cannoise, qui nous permet d’affiner le matériel et de présenter le film lors de plusieurs événements et festivals, notamment à La Rochelle. Et puis, la productrice du film Marie-Ange Luciani (Les Films de Pierre) avait sorti avec Memento 120 battements par minute de Robin Campillo à cette date, avec la réussite que l’on connaît !
Cannes s’est ouvert avec Jeanne du Barry de Maïwenn. Avec 700 000 entrées enregistrées, comment analysez-vous sa carrière ?
Le film se débrouille plutôt bien dans un marché en baisse, depuis quelques semaines, par rapport à la dynamique d’avril et début mai. Nous sommes légèrement en dessous de nos espérances, mais la vague de chaleur qui frappe le pays n’y est pas étrangère. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi la FNCF n’investissait pas dans une campagne de communication nationale pour promouvoir les salles climatisées.
Plus globalement, depuis le début d’année, la fréquentation retrouve des niveaux pré-Covid. Quel est votre regard sur l’état du marché ?
S’il faut se réjouir des succès de Super Mario Bros, Alibi.com 2, Les Trois Mousquetaires et autres Je verrai toujours vos visages, il y a une inquiétude plus générale sur le cinéma d’auteur, où les plafonds ne cessent de diminuer : un film qui faisait 200 000 entrées n’en fait plus que 100 000, un qui tutoyait les 80 000 doit se contenter de 30 000. C’est sans doute un peu les restes du Covid, avec une partie du public qui n’est pas revenue. Mais pour la distribution indépendante, c’est compliqué, d’autant plus que le parachute ventral qu’était la vidéo n’existe plus. Avant le quinquennat Hollande, elle représentait un tiers du chiffre d’affaires du Pacte ; aujourd’hui, elle est marginale. À cela s’ajoute le fait que le gouvernement laisse 9 millions de personnes pirater notre travail. Cette inaction relève de la volonté politique.
Pour vous, cela accentue la fragilité de la distribution qui est, pour la majorité de la profession, le maillon le plus faible de la chaîne…
Les pouvoirs publics ne prennent aucune décision en notre faveur, la distribution est globalement absente des récents rapports parlementaires, alors même que nous devons continuer à investir, notamment sur des films dont les prix n’ont pas baissé. Cela limite notre capacité à financer des campagnes coûteuses, avec le risque que le film soit rapidement retiré de l’affiche. Ne pas soutenir les distributeurs, c’est prendre le risque que le cinéma français ait le même triste destin que celui de nos voisins. Le jour où nous réfléchirons avant de nous engager sur un film au sujet un peu risqué, sans un casting porteur, ce sera un désastre. C’est de ces films-là que viennent les Justine Triet, les Julia Ducournau. Il faut défendre un secteur de recherche, l’éclosion de nouveaux talents et leur donner plusieurs chances. La force du marché français réside dans la diversité de l’offre de films, montrés dans d’excellentes conditions sur tout le territoire. Si nous n’avons plus les moyens d’alimenter cette offre, l’exception culturelle ne sert à rien.
Malgré ces menaces, quelles sont vos perspectives pour ces prochains mois ?
Nous sommes optimistes, sinon nous n’investirions pas autant dans nos films ! La sélection cannoise donne confiance car elle rend l’offre plus attractive. Pour Le Pacte, j’ai la chance d’être entouré d’une équipe très investie et les récents succès de La Syndicaliste [500 000 entrées] et de Jeanne du Barry font plaisir. Après Anatomie d’une chute, Un métier sérieux de Thomas Lilti, que nous sortirons le 13 septembre, sera un autre temps fort de notre line-up. C’est une très belle année pour nous.
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