Du refus de visa aux artistes et cinéastes maghrébins

Wafa Lazhari, première cinéaste tunisienne à intégrer la sélection officielle du Festival international du film d’animation d’Annecy, s’est vue refuser un visa pour se rendre en France présenter son film.

To You, le court métrage d’animation sélectionné en compétition dans la section Perspectives à Annecy, a été présenté sans sa réalisatrice lors de la manifestation, en cours jusqu’au samedi 17 juin. Wafa Lazhari s’est exprimée le 11 juin dernier sur les réseaux sociaux pour expliquer sa situation, qui, depuis, agite la toile et le secteur cinématographique tunisien. Avec le soutien du Festival d’Annecy, qui a notamment appuyé sa demande de visa, la jeune réalisatrice appelle en particulier à davantage de coopération entre les pays européens et ceux du sud de la Méditerranée, lorsque les artistes issus de ces derniers sont invités aux manifestations culturelles des premiers.

La lettre, reproduite in extenso : 

« Aujourd’hui devait être une nouvelle étape pour moi, un moment de découverte et de belles rencontres. Je devais me rendre à Annecy pour participer au plus grand festival du film d’animation au monde. Cependant, au lieu de cela, je vis un moment très sombre chez moi, éprouvant une énorme tristesse face à l’injuste refus de mon visa. Je ne sais pas ce que je dois retenir de tout cela. Quel est le message que je devrais comprendre ?

Le 13 mars 2023, je reçois un mail qui me remplit de bonheur. Ce mail m’annonce que mon film fera partie des films sélectionnés officiellement dans la catégorie des courts métrages Perspectives en compétition lors de l’édition 2023 du festival d’Annecy, qui est mon festival de cœur. C’est une magnifique récompense pour tous les efforts déployés derrière ce film qui reste mon premier, imprégné de la beauté des premières fois, des premiers pas, de la magie, de l’espoir, du rêve et de l’ambition concrétisée.

J’ai donc été invitée, comme tous les réalisateurs ayant leur film dans la sélection officielle du festival, et Khalil, qui fait partie de l’équipe du film, devait m’accompagner pour représenter notre travail.

Le 25 avril 2023, nous avons fait une demande de visa « manifestation culturelle » et avons soumis tous les documents demandés à TLS [centre des demandes de visa pour la France, ndlr.].

L’hébergement étant pris en charge par le festival et les billets d’avion par l’un des organismes de production.

Le 8 mai 2023, nous avons été sidérés, ainsi que l’organisme du festival, par le refus du consulat. Les raisons de ce refus étaient peu claires et soulignaient un « manque de fiabilité ». L’organisme du festival a entrepris une procédure pour tenter de trouver une solution à ce refus. Le retour expliquant le refus, reçu par l’organisme du festival, est différent. Il mentionne une incohérence. Cependant, cette incohérence devrait leur être reprochée, car ils expliquent entre autres, que Khalil a reçu un visa pour faire ses études de médecine en France, alors que Khalil est ingénieur en intelligence artificielle. La différence est flagrante.

Par la suite, nous avons échangé longuement avec l’organisme du festival, qui nous a demandé de fournir d’autres documents que le consulat leur exigeait et qui ne figuraient pas dans la liste des documents de base pour le type de visa que nous avions demandé.

Nous avons envoyé tous les documents « supplémentaires » demandés le jeudi 25 mai et, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons reçu aucune réponse du consulat, alors que nous étions censés vivre en ce moment (11 juin 2023) un moment que nous attendions avec une grande impatience.

L’étude du dossier que nous avons soumis révèle une véritable lacune en termes de compétence et une attitude très passive du consulat, qui met beaucoup de temps à répondre dans les délais impartis. Finalement, ils ont cessé de répondre une fois que tous les documents possibles à demander avaient été envoyés.

Comment est-il possible de faire face à un refus si nous avons soumis tous les documents demandés et si l’organisme d’un festival prestigieux appuie notre demande de visa ?

Aujourd’hui, en tant que personne qui tente de créer dans un contexte difficile, même lorsque nous réalisons des œuvres qui se retrouvent parmi les meilleures au monde, nous sommes quand même stigmatisés et considérés comme « non fiables ».

Le consulat ne mesure pas l’ampleur de cet acte de refus, qui représente un obstacle professionnel et encourage l’abandon. Je les invite, puisqu’ils ont la possibilité, d’aller au festival regarder le film et à mieux juger ce prétendu « manque de fiabilité » qui les obsède.
Nous sommes peut-être dans une cage, mais la lumière qu’on dégage ne sera jamais emprisonnée. Si elle doit briller, aucune limite ou aucune frontière ne l’empêchera. Peu importe son emplacement géographique. »

To You de Wafa Lazhari. © Wafa Lazhari – Sourour Krouna – Festival d’Annecy