100 ans de Disney : l’évolution de la distribution des films du studio en France

© Montage Boxoffice Pro

Déléguée ou gérée en interne, en association avec d’autres studios : la distribution française des films Disney a connu une multitude de formes depuis près de 90 ans, jusqu’à être officiellement pilotée, depuis une quinzaine d’années seulement, par l’entité The Walt Disney Company France. Flashback.

Cela fait déjà plus de dix ans que Walt Disney, épaulé par son frère Roy, a fondé Disney Brothers Studio dans la chaleur californienne [le 16 octobre 1923, ndlr.], quand, de l’autre côté de l’Atlantique, la filiale tricolore Mickey Mouse S.A. voit le jour, le 19 juillet 1934 à Paris. Si elle représente les intérêts de Disney dans l’Hexagone, la structure n’est toutefois pas chargée de la distribution des films, qui revient dans un premier temps aux Artistes Associés puis à RKO Radio Films, distributeur attitré aussi bien aux États-Unis qu’à l’international. Les productions Disney occupent toutefois une place à part, puisqu’un correspondant pour la France, en la personne de Raoul Wallace Feignoux, est spécialement nommé pour collaborer avec l’équipe des ventes de RKO. Ensemble, ils vont notamment piloter avec brio la sortie de Blanche-Neige et les sept nains, dont la grande première le 6 mai 1938 au Marignan sera le point de départ d’un immense succès (quelque 20 millions d’entrées à date). 

Si pendant la Seconde Guerre mondiale, l’activité est réduite comme peau de chagrin, la distribution se poursuit sous pavillon RKO jusqu’en 1953 avec la sortie de Peter Pan. À cette époque, Disney décide de reprendre en main l’accompagnement de ses productions aux États-Unis en créant Buena Vista Pictures Distribution. Cela entraîne alors un changement de distributeur à l’international, le rôle revenant, en France, à la structure tricolore Cinedis, qui, jusqu’en 1960, va accompagner entre autres La Belle et le Clochard et ses plus de 11 millions d’entrées. La société Discifilms reprend le flambeau l’espace d’un an, avant de le transmettre en 1961 à Athos Films, qui va le conserver deux ans.

Distribution autonome dans les sixties

Analysant qu’à l’échelle mondiale, ses résultats sont meilleurs lorsqu’il attribue l’exclusivité de ses films à la même structure, Buena Vista décide, face à l’importance du marché français, d’y lancer sa propre filiale de distribution à l’été 1963. La direction de Walt Disney Productions France est confiée à Jean Thomachot, ancien de Paramount, et la succursale s’occupe alors d’accompagner les films Disney à Paris et dans la Grande région parisienne (GRP), déléguant cette tâche à des distributeurs locaux pour les autres régions, comme Les Films Méric à Marseille et Les Films Sirand à Lyon ; une collaboration qui va durer jusqu’à la fin des années 1980. 

Durant cette période, après avoir démarré ses activités avec Après lui le déluge, L’Affaire du cheval sans tête ou encore la reprise du dessin animé Pinocchio, Walt Disney Productions France enregistre d’excellents résultats, principalement pour les films d’animation, entre Le Livre de la jungle (15 millions d’entrées en 1968), Les Aristochats (12,7 millions en 1971) ou Robin des bois (6,5 millions en 1974). 

Succès à sa sortie française, Le Livre de la jungle a été projeté en séance événement ce dimanche 15 octobre au Festival Lumière, pour célébrer les 100 ans de Disney © DR

« Nous avons la chance d’avoir, en France, le premier marché international pour les films Walt Disney », se réjouissait au début des années 1980 Richard Dassonville, directeur de la distribution du studio dans l’Hexagone depuis le milieu des années 1970. Commercial aux Films Sirand au début de ces mêmes années 1980, Patrick Farcy (futur fondateur de Côté Cinéma, devenu Boxoffice Pro) se souvient qu’à cette époque, « les droits des films Disney n’étaient disponibles que pendant 24 mois, à l’issue desquels la copie et le matériel étaient détruits, rendant les œuvres un temps invisibles. C’est ce qui a permis de ressortir – avec succès – Le Livre de la jungle comme si c’était une nouveauté ». Si cette pratique n’était pas du goût de tous les professionnels, elle a permis aux titres d’animation emblématiques du studio de toucher à chaque reprise une nouvelle génération de spectateurs.

Deux mariages pour deux divorces

En 1987, Disney opère un virage stratégique à l’échelle mondiale (hors États-Unis) en signant un accord de distribution de cinq ans avec Warner Bros. En France, la sous-distribution cesse et Steve Rubin prend les commandes de la structure. Durant ce laps de temps, le mariage entre les deux studios se révèle fructueux dans l’Hexagone, à l’image des succès des productions Touchstone Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (5,9 millions de spectateurs en 1988), Le Cercle des poètes disparus (6,6 millions en 1989) et Pretty Woman (4,3 millions en 1990). Pourtant, en 1991, Jeffrey Katzenberg, président de Walt Disney Studios, annonce le divorce aux Échos : « À l’expiration du contrat, nous reprendrons nous-mêmes la distribution des films en France, dans la mesure où nous sommes devenus trop importants pour Warner. » 

L’état-major de la firme à Burbank relance la marque Buena Vista International et se met en quête de directeurs pour diriger ses filiales locales. Dans la short-list française finale, Pierre-Ange Le Pogam, alors chez Gaumont, se souvient « avoir indiqué aux patrons de Disney que monter une grosse structure autonome américaine était une mauvaise idée et qu’il fallait davantage s’imprégner de la culture française », avec parallèlement, la montée en puissance de Disneyland Paris. « Souhaitant rester fidèle à Gaumont, je les ai donc convaincus de s’associer, en distinguant clairement les films des deux structures, avec des services marketing propres mais collaboratifs. Avec cette joint-venture, nous voulions réussir mieux que tout le monde. » 

La Belle et la Bête est l’ultime sortie sous pavillon Warner, et Sister Act la première, fin 1992, de la nouvelle structure, Gaumont Buena Vista International (GBVI), qui s’impose rapidement comme un distributeur majeur. Ce nouveau mariage porte vers le succès des films de la marguerite comme Les Visiteurs 3 et ses 13,7 millions de spectateurs, ainsi que les Disney Aladdin – « sorti exclusivement au Grand Rex pendant 2 semaines, ce qui a permis de faire monter l’attente » –, Le Roi Lion et ses 10 millions d’entrées – « un immense souvenir » –, ou encore la surprise Rasta Rockett. « Pour accompagner la sortie, nous avions fait venir à Paris les meilleures équipes de bobsleigh pour un concours de poussée. L’engouement était incroyable », raconte Pierre-Ange Le Pogam, directeur de GBVI de 1993 à 1997. « Nous avons réalisé 2,6 millions d’entrées avec une comédie américaine que l’on nous disait pas faite pour l’international et qui nous ferait perdre de l’argent. Mais nous avons décidé de nous amuser, et ce succès a été symbolique de notre état d’esprit », abonde Jean-François Camilleri, directeur marketing de GBVI avant d’en prendre la direction en 1997.  

Rasta Rockett, un succès suprise favorisé par une campagne audacieuse. © GBVI

Ghibli et Disneynature

À l’aube des années 2000, Gaumont Buena Vista International tente un pari en s’offrant les droits de distribution des productions du studio Ghibli, et notamment Princesse Mononoké de Miyazaki. « Personne ne nous demandait de le sortir, mais, décidés à en faire un événement, nous lui avons accordé la même puissance qu’un Disney : après une première semaine à 80 000 entrées, le film a fini autour des 700 000 spectateurs. » Va suivre une fructueuse collaboration jusqu’en 2020, lorsque Wild Bunch décroche les droits d’exploitation du catalogue Ghibli en France. 

Le début du nouveau millénaire s’accompagne d’un déséquilibre progressif entre le nombre de films Disney et Gaumont. En 2004, seul Albert est méchant provient de la Marguerite. « C’est la fin d’un cycle, alors que Disney est en pleine bourre avec Ladykillers et Le Monde de Nemo. Avec l’échéance du second contrat de six ans se termine donc l’aventure GBVI », explique Jean-François Camilleri, qui devient directeur général de Buena Vista International France. Dans le même temps, les agences régionales sont fermées pour réunir la distribution nationale à Paris.

Le succès de La Marche de l’Empereur en 2005 (2 millions d’entrées), coproduit par Disney, pousse le dirigeant français à créer un nouveau label. « Notre studio s’adresse aux familles et je sentais que notre mission était de leur montrer la beauté de la nature ainsi que le besoin de la préserver. J’ai donc proposé à Bob Iger de lancer Disneynature, par ailleurs en hommage aux documentaires C’est la vie, qu’avait lui-même initié Walt Disney. » Le PDG donne alors son feu vert à la création d’un label français, « pour produire un film chaque année, avec une sortie événementielle dans l’esprit du Disney de Noël ». Des Ailes pourpres (2008) à Penguins (2019), en passant par Grizzly (2014) et Au royaume des singes (2016), le label restera actif jusqu’à l’intégration de l’historique National Geographic Society dans l’écosystème Disney avec l’acquisition de la Fox.  

Récompensé par l’Oscar du meilleur documentaire, La Marche de l’Empereur de Luc Jacquet a été le prologue de l’aventure Disneynature © BVI

Et au-delà

Entre 2008 et 2009, la marque Buena Vista disparaît mondialement pour laisser place, localement, à The Walt Disney Company France ; l’organisation interne en silos est aussi balayée au profit d’une configuration plus transversale, avec notamment des responsables de franchises. Distribué par Disney depuis 2012, Avengers, l’univers cinématographique Marvel, comme dans le reste du monde, cartonne dans les salles tricolores, culminant avec les près de 7 millions d’entrées d’Avengers: Endgame (2019). Issue du rachat de la Fox, la distribution de la Postlogie Star Wars est également l’un des gros enjeux de la filiale dans les années 2010, tout comme celle du récent Avatar : La Voie de l’eau (plus de 14 millions d’entrées depuis décembre 2022). Une façon de boucler la boucle pour Frédéric Monnereau, nommé à la tête de la distribution cinéma en 2015, en provenance de la Fox. Mais c’est aussi un nouveau challenge : « Je suis arrivé quand la décision a été prise de réduire le nombre de sorties, mais d’en faire à chaque fois un événement, en les entourant d’un certain mystère car le spectateur reste constamment au centre de nos préoccupations. » 

L’excellente performance de La Reine des neiges (5 millions d’entrées en 2013) mais surtout de La Reine des neiges 2 (7,7 millions en 2019) témoignent d’une appétence toujours intacte du public français pour l’animation. « Avec le Japon, nous sommes le territoire où le genre performe le mieux. Nous bénéficions ainsi d’une plus grande écoute de la part de Burbank concernant nos besoins, pour avoir des affiches et du matériel propres à la France. C’est ce qui nous a permis d’amener Vaiana au-delà des attentes [5,6 millions d’entrées en 2016] », souligne Frédéric Monnereau. À quelques semaines de lancer Wish – Asha et la bonne étoile (29/11), le dirigeant salue « ces 100 ans d’existence de Disney que tous les grands studios n’ont pas réussi à atteindre. Cela démontre une agilité, une exigence et une certaine humilité qui seront tout aussi importantes pour les 100 ans à venir ! »

L’historique du centenaire de Disney est à retrouver dans le magazine Boxoffice Pro du 18 septembre 2023.

© Montage Boxoffice Pro