“Prise de risque” et “éducation” ont été les maîtres mots d’un débat qui a montré l’importance pour tous de continuer à produire et montrer les films que l’on a choisis, et vers lesquels on doit accompagner les jeunes générations.
Alors que l’année a été marquée par différents rapports parlementaires, qui ont pointé à la fois un trop grand nombre de films et pas assez d’aides pour d’autres… les cinéastes de l’Arp ont à nouveau tenté de cerner ce qui pourrait être mieux accompagné. Si l’année 2023 a été plutôt bonne pour les titres français en salles, cela ne masque pas la concentration de la fréquentation sur certains films et la bipolarisation de la production, entre films “risqués” et ceux que l’on suppose plus populaires. Car on ne peut jamais prévoir le succès, dans ce qui reste « une économie de l’offre, qui doit susciter le désir du spectateur, à l’inverse d’une démarche algorithmique qui essaierait de répondre à la demande ». Nuance essentielle pour Jeanne Herry, la réalisatrice de Je verrai toujours vos visages et coprésidente de l’Arp, qui revendique « farouchement de faire des films à la première personne, pour avoir une chance de toucher les spectateurs ». Comme elle, Dominik Moll dit essayer de « raconter une histoire, le mieux possible », sachant que prévoir l’accueil du public « est impossible ». « Seules les bêtes a fait 120 000 entrées : je pensais qu’il ferait le double. Pour La Nuit du 12 [550 000 entrées], je n’espérais rien et sa carrière a été longue, même auprès des jeunes. »
Prendre des risques
En tant que producteur, Alain Attal (Trésor Films) doit toutefois, quand il se lance dans un projet aujourd’hui, « estimer l’apport de la fréquentation, des télévisions puis le mandat international : on est entrés dans un calcul pragmatique froid, où les “estimates” ont remplacé le “feeling” ». Pourtant, « la prime à l’originalité performe », souligne Caroline Bonmarchand de Avenue B Productions, comme l’ont montré Anatomie d’une chute ou Le Règne animal, des films qui ont eu des difficultés à se monter. « Et si l’on arrive encore à fabriquer des films ambitieux comme ceux-là, les producteurs ont de plus en plus de mal à se rémunérer – pas pour s’enrichir, mais pour avoir des structures suffisamment solides. Les pouvoirs publics doivent donc nous accompagner sur ce cinéma là. »
L’augmentation du crédit d’impôt, prônée par Alain Attal, est soutenue par le sénateur Jérémy Bacchi, co-auteur du rapport “Le cinéma contre-attaque” : « Le cinéma n’a pas à rougir de ses crédits d’impôts : par rapport à d’autres champs d’activité, ils sont les plus rentables, avec un retour très important, tant du point de vue culturel qu’économique. »
Constats similaires pour les distributeurs indépendants, auxquels on demande des investissements de plus en plus importants en amont, selon Éric Lagesse, dirigeant de Pyramide et coprésident du Dire. « Mon ADN, c’est de découvrir et de suivre des auteurs. Après un film d’Emmanuel Mouret qui a marché, pourquoi me demande-t-on beaucoup plus d’argent sur le suivant ? Ce sont justement les films qui gagnent qui nous permettent de prendre des risques sur le suivant. » Et il reste essentiel d’accompagner de jeunes auteurs, même si leurs films font moins de 10 000 entrées. « La fermeture des salles a fait beaucoup de mal au cinéma d’auteur », estime en effet le distributeur, qui constate que le public se concentre désormais sur « des valeurs sûres ». Et « pour lui donner envie, la réponse est politique : il faut concentrer les aides sur les films les plus pointus ».
Trop de films ?
Le risque serait alors de réduire le budget des films du milieu – ceux entre 4 et 7 M€ –, qui peuvent être des locomotives pour les salles. Et la question reste de savoir quels films seraient en trop. « Ceux qui font le moins d’entrées, ou ceux qui sont le moins bien écrits ? », interroge Jérémy Bacchi. « On raisonne sur un camembert fermé de 200 millions d’entrées, mais on peut être plus ambitieux : aller chercher les 30 % de Français qui ne vont pas au cinéma et faire venir davantage les autres. Le vrai sujet n’est pas qu’il y a trop de films, mais de permettre à chaque film de trouver son public. » Et pour ça, de trouver sa place en salles, ce qui est l’enjeu des engagements de programmation, rappelle Éric Lagesse qui a notamment dû sortir Le Théorème de Marguerite sur 124 copies au lieu des 180 prévues. Pour Alain Attal, les exploitants devraient aussi s’engager sur un nombre de semaines et de séances, notamment les circuits « qui gagnent plus d’argent avec la confiserie qu’avec les films ». Pour les indépendants, comme Christine Beauchemin-Flot, exploitante du Select à Antony, « l’engagement, avec 15 nouveaux films par semaine, est d’abord celui du choix ». Et elle déplore le manque de confiance de certains distributeurs. « Chaque film est unique, chaque salle l’est aussi : nous connaissons notre public et notre territoire, et le nombre de séances ne fait pas toujours le nombre de spectateurs ». Et la prise de risque étant différente selon les films, leur recommandation art et essai, « subjective », pourrait se baser, selon la coprésidente du Scare, sur le nombre de 80 copies.
Pour le sénateur Bacchi, la définition d’un film art et essai n’étant pas la même selon les professionnels, « le rôle du législateur n’est pas de dire ce qui relève de l’art et essai, mais de trouver ce qui doit bénéficier à la filière ». Le directeur général délégué du CNC, Olivier Henrard, a confirmé que la réforme du classement « aboutira au printemps 2024 » et permettra de « valoriser davantage les exploitants qui prennent de vrais risques… c’est-à-dire en programmant Le Théorème de Marguerite davantage qu’Oppenheimer »… deux titres recommandés art et essai.
La priorité de l’éducation
Reste que le cinéma, ça s’apprend. « Il faut que des classes entières puissent aller au cinéma, être dans le noir pour voir un film. Et l’Éducation nationale doit apprendre ça aux jeunes », a ainsi appelé de ses vœux Éric Lagesse, qui rêve aussi « d’un collectif de bénévoles qui iraient parler aux jeunes de leur passion et de leur expérience ». Du côté du CNC, l’accent est toujours mis sur “Ma classe au cinéma”, même si l’Éducation nationale prend seule certaines décisions – comme récemment sur la formation des enseignants en dehors de leurs horaires de travail. Au-delà de ces dispositifs nationaux, le travail d’éducation « relève de la responsabilité de chacun », selon Pauline Ginot de l’Acid. Elle a ainsi interpellé tous les professionnels présents : « Êtes-vous prêts à accepter que des budgets du CNC se reportent sur l’éducation, même au détriment d’autres aides ? ».Sans réponse claire, on préfère insister sur la formation des instituteurs, qui doivent pouvoir transmettre l’appétit culturel. Pour Jérémy Bacchi, « il faut sans doute une plus grande démocratisation de la salle de cinéma, et l’éveil à la curiosité du jeune public peut aussi encourager les parents à les accompagner. Car beaucoup de gens considèrent encore que le cinéma ne leur appartient pas. »
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