Que propose le rapport Lasserre “Cinéma et régulation“ ?

Présentation du rapport, jeudi 6 avril 2023 au CNC © M.Delique

Le rapport très attendu a été remis le 3 avril 2023 aux ministres de la Culture et de l’Économie et rendu public ce 6 avril lors d’une conférence de presse organisée au CNC.

Toute la profession l’attendait depuis son annonce lors des dernières Rencontres de l’ARP : la mission confiée à l’ancien président de l’Autorité de la concurrence, dans le contexte de l’après crise sanitaire, vise à interroger et redéfinir la place de la régulation dans le secteur du cinéma. En résumé, Bruno Lasserre* ne remet pas en cause le système de partage de valeur entre exploitants et distributeurs – et n’estime pas nécessaire de relancer les contrats de location écrits –, mais souhaite assouplir l’encadrement des formules illimitées, tout en redéfinissant le calcul de leur prix de référence. Le rapport préconise de renforcer le caractère contraignant des engagements de programmation pour les salles, mais pas d’intervenir sur le calendrier de sortie des distributeurs. Sur les dispositifs art et essai, il va dans le sens d’une plus grande sélectivité. Enfin, la protection des actifs stratégiques resterait centrée sur les catalogues et non sur les salles.

Bruno Lasserre estime que le rapport porte des propositions équilibrées et praticables. « Il ne s’agit pas d’une révolution mais de réformes importantes qui nous semblent pouvoir changer les pratiques de manière crédible. Ce sont des propositions dans lesquelles, nous l’espérons, le maximum des acteurs du cinéma français pourront se retrouver dans un équilibre donnant-donnant. Plus de liberté d’une part et plus de régulation de l’autre, sur des versants différents ».

Les conséquences de la crise sanitaire (baisse de la fréquentation, de l’offre de films américains, changements de comportement des spectateurs…) placent aujourd’hui les enjeux de régulation au centre de nombreuses discussions professionnelles. Avec, d’un côté, les tenants d’un renouvellement – au profit de la diversité culturelle – de mécanismes considérés comme désormais déréglés et de l’autre, une vision libérale selon laquelle l’enjeu principal – à savoir la reconquête du public – passe par une offre commerciale attractive où l’intervention des pouvoirs publics « risque d’être contreproductive ». 
Aussi, une régulation sectorielle exclusivement basée sur des accords professionnels risque d’être qualifiée d’entente anticoncurrentielle. « Enfin, la diversité du marché du cinéma – géographique, de taille au sein de chaque maillon de la filière – rend inenvisageable de régler toutes les difficultés par la régulation ex ante, c’est-à-dire par la fixation en amont de règles générales », notent les rapporteurs qui préconisent de recourir à une régulation ex post, notamment incarnée le médiateur du cinéma, dont les pouvoirs et les moyens pourraient d’ailleurs être renforcés.

Assurer l’équilibre des relations commerciales entre les exploitants et les distributeurs

Le rapporteur ne souhaite pas toucher au système de partage de la valeur, et notamment au partage des recettes entre exploitants et distributeurs à travers le taux de location, « que ce soit dans ses grands principes ou par l’inclusion de recettes annexes – notamment de confiserie – dans son assiette ». Pas de changement notable donc sur ce sujet, d’autant plus que la transparence, notamment via le bordereau à la séance, est appelée à se renforcer. Quant à la publicité payante des films au cinéma, Bruno Lasserre reconnaît qu’ « il s’agit d’un enjeu réel pour les distributeurs, notamment indépendants, mais qui ne semble pas pouvoir être réglé en aménageant le partage de la valeur ».
En revanche, l’encadrement des formules d’accès illimité au cinéma, principalement celles d’UGC et Pathé, peut être simplifié. Ces cartes, qui représentent moins de 10 % des entrées, sont aussi, selon Bruno Lasserre favorables aux films de la diversité. 
Il est donc proposé d’assouplir le cadre juridique, en supprimant l’agrément par le CNC des formules d’abonnement, « tout en conservant les deux principales garanties aujourd’hui prévues dans la loi : d’une part, le droit des cinémas indépendants de s’y affilier ; d’autre part, la fixation d’un tarif de référence – prix fictif d’une entrée – permettant de rémunérer l’amont de la filière ». L’apaisement des craintes sur les effets concurrentiels des cartes illimitées justifierait aussi de décharger l’Autorité de la concurrence de son rôle consultatif, et le prix public pourrait évoluer sans systématiquement donner lieu à une demande d’agrément modificatif.
Sur le tarif de référence justement, dont le mécanisme est peu connu et mal compris par la filière, il apparaît nécessaire d’en « améliorer la transparence et le dynamisme ». En effet, le calcul sur la base du « prix moyen notionnel » (chiffre d’affaires net des frais de gestion divisé par le nombre d’entrées) peut se prêter à une optimisation par les exploitants. En outre, le tarif de référence n’a quasiment pas évolué depuis 2000, là où le prix des billets unitaires a augmenté. Le rapport propose donc de préciser la méthode de calcul, en indiquant qu’elle se fonde sur le prix moyen notionnel, ce qui serait combiné à l’émission de lignes directrices encadrant la prise en compte des frais de gestion. « Un second scénario, qui demanderait une loi, préciserait que le tarif de référence fixé par chaque opérateur ne peut être inférieur au tarif unitaire d’un pourcentage déterminé des places vendues par un groupe pertinent d’exploitants. »
Enfin, la relance des contrats écrits de location des films, qui n’est pas obligatoire pour exploiter une œuvre en salle, n’est pas une priorité.

Protection de la diversité des œuvres et de leur diffusion

Dans le souci d’un renforcement des engagements de programmation, le CNC pourrait disposer de leviers plus contraignants et « fixer les engagements » des circuits dont les propositions initiales seraient  jugées insuffisantes – comme c’est déjà le cas pour les autres exploitants. Par ailleurs, l’accès aux aides publiques pourrait être conditionné au respect des engagements de programmation. Quant au contenu même des engagements, elle ne doit pas « devenir excessivement granulaire et traiter différemment chaque établissement », tout en tenant mieux compte des circonstances particulières de chaque zone de chalandise.
À noter que les premiers engagements de programmation (entre autres destinés à formaliser les bonnes pratiques de la promotion gratuite des films en salle)  feront l’objet d’une attention toute particulière.
En parallèle, les engagements de diffusion doivent favoriser l’accès des petites salles aux films art et essai des petites salles (notamment dans les territoires ruraux), mais ils ne visent pas à limiter les plans de sortie des plus grands distributeurs ou à contraindre les calendriers de sortie. « Si ces questions constituent des préoccupations légitimes pour la filière, une intervention publique en la matière risquerait d’entraver les succès sans pour autant favoriser les films fragiles ». Toutefois, pour répondre aux « interrogations légitimes »  sur le pouvoir dont disposent les distributeurs les plus influents, les rapporteurs préconisent l’interdiction de certaines clauses prévues dans les contrats de location.
Le système du classement art et essai – auquel on reproche aujourd’hui d’aboutir à un trop grand nombre de cinémas classés et de films recommandés – doit faire évoluer sa sélectivité et davantage tenir compte du potentiel économique des films, « afin de mieux récompenser les exploitants qui programment les films les plus risqués ». En l’occurrence, une décote pourrait être appliquée aux films art et essai sortant à plus de 400-500 copies en première semaine. En contrepartie, la programmation des films plus risqués, avec des plans de sortie inférieurs à 80 établissements, pourrait faire l’objet d’un bonus.

Maîtrise des actifs culturels français et européens

Enfin, alors que l’on peut s’inquiéter d’éventuels achats « prédateurs » par des entreprises extra-européennes de catalogues de films et de cinémas, Bruno Lasserre estime que l’encadrement « doit répondre de manière pertinente à un risque bien identifié ».
S’agissant de l’exploitation, « les risques peuvent être mieux prévenus par le renforcement des engagements de programmation que par un contrôle des investissements des étrangers  »  et il n’est donc pas proposé de créer d’instrument spécifique. Pour les catalogues de films, en revanche, la garantie d’exploitation suivie des œuvres, à la suite d’un rachat, pourrait être ajustée en accélérant l’instruction des dossiers  tout en renforçant les sanctions. Enfin, « la conditionnalité des aides à l’exploitation à un critère de nationalité ou d’européanité ne semble pas opportune ou juridiquement solide – là où une telle conditionnalité paraît justifiée s’agissant des aides à la production ».

Le président du CNC, Dominique Boutonnat, a affirmé viser la fin d’année comme objectif afin de mettre en œuvre les préconisations du rapport après concertations avec les acteurs du secteur.

*Bruno Lasserre, ancien président de l’Autorité de la concurrence et ancien vice-président du Conseil d’État, a été assisté dans sa mission par Alexis Goin, maître des requêtes au Conseil d’État.

Présentation du rapport, jeudi 6 avril 2023 au CNC © M.Delique