Soucieux de dépasser les clivages entre les plateformes de streaming et les salles de cinéma, la société de distribution et le service de vidéo à la demande se sont positionnés sur un nouveau modèle de distribution pour Toutes les couleurs du monde ; une diffusion en SVOD pendant deux mois en amont de la sortie en salles, le 8 mai.
Le besoin de s’adapter aux contraintes générées par la crise sanitaire s’est matérialisé, au cours de l’année 2021, par la popularisation des sorties simultanées au cinéma et en SVOD. La reprise régulière des activités d’exploitation a finalement estompée cette stratégie, notamment portée par les majors étatsuniennes sur des grosses productions, pour restituer aux salles l’exclusivité des sorties. Si l’expérimentation a été source de débats, certains la poursuivent et la soumettent à des évolutions : « Je pense qu’il faut casser les codes de la distribution, car on observe que les canaux se complètent, mais ne télescopent pas. Les publics qui vont visionner le film sur les plateformes ne sont pas les mêmes qui iront le voir en salles », déclare Cyril Rota, responsable de la distribution d’Optimale, qui assure la sortie de Toutes les couleurs du monde, prévue pour le 8 mai.
Dans le but d’offrir au long métrage davantage de visibilité, la société s’est associée à UniversCiné, qui bénéficie d’une fenêtre d’exclusivité sur deux mois, à savoir du 8 mars au 7 mai. Une fois ce délai passé, le film sera retiré du catalogue et poursuivra sa carrière en salles. « On voulait un accord avec le CNC, qui encourage par ailleurs l’innovation pour faire émerger les plateformes françaises. Optimale cherche aussi de nouveaux modèles de distribution et essaie de faire croître la notoriété des films difficiles d’accès, relate Romain Dubois, directeur marketing et éditorial d’UniversCiné. C’est un film d’auteur nigérian sur une thématique LGBT, donc une typologie de film qu’on voit peu, voire pas, en salles ou en VOD. On pense que c’est un bon titre pour notre coup d’essai. »
Chronologie d’une entente naturelle, mais risquée
Si le partenariat entre les deux sociétés est entériné depuis plusieurs années, au regard des contrats de diffusion qui les lient, ce modèle de distribution reste le fruit d’une rencontre fortuite : « Nous avons découvert Toutes les couleurs du monde à la Berlinale en 2023, et appris par la vendeuse internationale qu’Optimale était également intéressé. Il a donc été facile de les approcher pour leur proposer cette innovation, à laquelle nous réfléchissons depuis très longtemps », confie Romain Dubois. Vainqueur du Teddy Awards – récompensant le meilleur film queer de la Berlinale –, puis ex æquo pour le prix du jury au festival Chéries-Chéris de Paris, le long métrage signé Babatunde Apalowo lève le voile sur les tabous qui assiègent l’homosexualité au Nigeria en prenant appui sur une histoire d’amour impossible entre deux Lagotiens. « C’est un film “fragile” et à la marge, sur lequel il est difficile de faire venir des gens. Nous avons donc partagé ce risque avec UniversCiné, sans lequel nous n’aurions pas pu acquérir les droits », expose Cyril Rota, pour qui le cheminement du film s’apparente à celui de First Cow en 2021, sorti sur Mubi avant d’être distribué en salles par Condor.
Le western de Kelly Reichardt était néanmoins plus « accessible » et jouissait de la renommée de sa réalisatrice. « Quand bien même nous avons beaucoup ouvert l’éditorial ces dernières années, UniversCiné reste dédié au cinéma de niche, avec la volonté de donner accès à ces films sur tous les territoires français, dont ceux qui n’ont pas beaucoup d’offres art et essai », détaille le directeur marketing et éditorial de la plateforme, qui compte 30 000 abonnés. Cette entente vise ainsi à combler les problématiques inhérentes à la programmation de films rares et pointus, auxquelles Optimale est régulièrement confronté en tant que distributeur indépendant : « Nous visons en priorité les grandes villes, mais nous nous battons pour convaincre les exploitants de diffuser ce film dans toute la France. Nous essuyons beaucoup de refus, notamment dans certaines régions où le nombre de salles est restreint, et où il est difficile de faire entrer ce type de films », déplore pour sa part Cyril Rota.
Dans un contexte qui met malgré tout les salles de cinéma et les plateformes en concurrence, la pratique nécessite également de convaincre les exploitants quant au bien-fondé d’une telle stratégie de distribution, alors que la plupart considèrent l’exclusivité en salles comme un élément incontournable pour la rentabilité d’un film. D’autant plus que l’étude commandée par l’Afcae à l’Ifop en 2022 – qui révélait que 29 % des personnes interrogées déclaraient aller « moins souvent au cinéma » et 12 % « ne plus y aller » – avait apporté de l’eau au moulin des salles. « Nous nous sommes mis d’accord au préalable avec certains exploitants stratégiques à Paris, mais il y a toujours une réticence par rapport à la sortie en amont sur la plateforme, admet Cyril Rota. Toutefois, la diffusion sur celle-ci est une sorte d’avant-première. C’est une sortie en SVOD, donc on peut le visionner, mais pas le conserver. Se procurer le film avant sa sortie en salles aurait été gênant. » Côté UniversCiné, Romain Dubois comprend également cette position, mais assure ne pas « marcher sur les plates-bandes des cinémas », ni se substituer à ces dernières ; au contraire, il confirme que « des compléments de programmation peuvent être bénéfiques pour tout le monde, et surtout le spectateur ».
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