Olivier Snanoudj : « Le démarrage de Tenet a dépassé nos espérances »

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INTERVIEW – Alors que les chiffres de Tenet sont désormais connus, le senior vice-président distribution cinéma de Warner France s’exprime sur cette sortie providentielle. 

Quel est votre regard et votre analyse sur les résultats du premier week-end de Tenet ? Sont-ils concluants au regard de la sortie particulière dont il a bénéficié ?

Tout le monde conviendra qu’ils sont plus que concluants. Dans cette période d’incertitude, où les prévisions sont plus délicates que jamais, ils ont même dépassé nos espérances dans la mesure où Tenet a mieux démarré que les deux précédents films de Christopher Nolan (Interstellar et Dunkerque) et où nous avons réalisé le meilleur démarrage depuis Star Wars 9, en décembre dernier. On peut en tirer plusieurs enseignements encourageants : le public est toujours capable de répondre massivement présent lorsqu’un film suscite une envie très forte. Par ailleurs, c’est l’envie de cinéma en salles qui est stimulé dans son ensemble puisque Tenet a non seulement créé de la fréquentation additionnelle, mais a eu aussi un effet positif sur les autres films à l’affiche. On ne peut que s’en réjouir. Enfin, Tenet, comme les précédents films de Christopher Nolan, et comme beaucoup de films que la Warner produit et distribue, est particulièrement en phase avec le public français, c’est à dire à la confluence entre le film grand public et le film d’auteur. Il est d’ailleurs autant programmé par les salles généralistes que par les salles art et essai, mais il a aussi attiré une forte proportion de spectateurs occasionnels (45 % selon Vertigo) qui ont sans doute manqué cet été.

Christopher Nolan lors de l’avant-première de Dunkerque au O’ciné de Dunkerque.

Quand on est le distributeur du film censé « sauver le monde », arrive-t-on à dormir la nuit ?

Avec l’expérience, nous savons chez la Warner qu’il faut rester humbles. L’idée n’était pas tant de sauver l’exploitation mondiale que de sortir ce film formidable dans les meilleures conditions possibles, dans un contexte exceptionnel. Comme chacun sait, le film a vécu des reports de dates successifs, il a fallu faire un travail de distributeur minutieux et bien préparer en amont. Et même si Tenet était très attendu, il était essentiel qu’il soit accompagné d’une offre forte et variée pour relancer le marché. C’était le cas cette semaine [le 26 août, ndlr.] avec des films aux cibles différentes comme Effacer l’historiqueLes Nouveaux Mutants ou Petit Pays et les continuations comme Scooby ! dont nous sommes très satisfait. Au regard de la situation sans précédent et de la volonté de soutenir la réouverture des salles, Tenet a bénéficié d’une forte couverture médiatique qui a remis le cinéma au centre de l’attention et a suscité l’envie du public, qu’il soit amateur de films à grand spectacle ou de grands auteurs. Nous verrons comment se comporte le marché à moyen terme.

« Les exploitants ont, eux aussi, répondu présent et assuré une belle mise en place du film avec une volonté collective de relancer la machine. »

Qu’est-ce que cette aventure, qui ne fait que commencer, vous a appris ?

Nous n’avons pas encore assez de recul, mais nous avons appris à gérer une situation qui est complètement inédite et dont nous ne sommes d’ailleurs pas sortis. Cela m’a confirmé que les équipes Warner étaient réactives et efficaces. Les exploitants ont, eux aussi, répondu présent et assuré une belle mise en place du film avec une volonté collective de relancer la machine. J’espère que nous pourrons en parler sereinement plus tard mais pour l’instant, nous sommes encore dans l’œil du cyclone.

Le tour de force que le studio a réalisé en décalant la sortie américaine de la plupart des autres territoires peut-il faire jurisprudence ?

Cette décision a été prise face au constat que le film ne pouvait sortir sur tous les territoires simultanément. Cette semaine, Tenet est à l’affiche dans 41 pays et débutera, le week-end prochain, son exploitation aux Etats Unis. Je ne sais pas si cette sortie créera un précédent, mais cela ne peut pas faire de mal ! La situation est compliquée pour tout le monde. Chaque entreprise du secteur, quelle que soit sa taille et son activité, essaie de gérer le coût de cette crise qui est proportionnel à son envergure. C’est pourquoi il ne faut pas juger trop hâtivement certaines décisions conjoncturelles qui ne préfigurent pas forcément une politique de long terme. 

Comme le choix de Disney de sortir Mulan sur sa plateforme

Ce n’est pas parce que l’on décide de ne pas sortir un film en salle que ce sera le cas pour tous. Dans le cas de Mulan, je comprends la déception des exploitants. Mais il ne faut pas stigmatiser un studio et oublier que Disney a permis de réaliser un record historique d’entrées l’année dernière. Tant que nous ne serons pas sortis de l’épidémie, il y aura encore des décalages de dates, ainsi que des sorties sur d’autres supports que la salle. Les évolutions du secteur et des habitudes des spectateurs ont débuté avant l’arrivée du virus, mais je reste confiant dans l’avenir du cinéma en salles. 

Au global, pensez-vous que les relations entre exploitants et distributeurs ont évolué pendant cette période ? 

Cette situation, très stressante pour tout le monde, a exacerbé les tensions habituelles. Même si chacun essaie de faire subsister son entreprise, il est important dans cette période que nous restions plus soudés que jamais. Ce n’est pas en se déchirant que nous allons faire avancer les choses. C’est un message à faire passer avant et pendant le congrès de la FNCF, parce que nous ne nous en sortirons que tous ensemble. 

« Il faut maintenant travailler sur un message stimulant et rassurant pour faire revenir le public en salle. »

Concernant votre studio, les exploitants vous ont reproché d’avoir exigé des conditions de séances et de durée d’exposition drastiques. Que leur répondez-vous ?

Il est vrai que nous avons eu des exigences un peu supérieures à nos habitudes, mais qui ne me semblent pour autant, ni abusives, ni exagérées au vu de ce que représente la sortie de Tenet : un risque pour nous et une opportunité pour tous. Les conditions d’une sortie mondiale décalée nécessitaient aussi de donner au Studio des garanties  sur la durée et les conditions d’exposition. Au final, ce qui compte, c’est que les exploitants soient satisfaits de la sortie du film. En France, nous avons été attentifs avec la Médiatrice du cinéma à ne pas empêcher l’expression de la diversité. Et au contraire, Tenet aura un effet d’entraînement positif sur le marché, ce que l’on constate déjà.

Au-delà de la diversité de l’offre, dans quel sens suggérez-vous de travailler pour faire revenir le public dans les salles ?

Il faut avant tout le rassurer. Ensuite, notre message doit être positif et incitatif. Cet été, les médias ont relayé la détresse des salles de cinéma, ce qui est compréhensible et important pour sensibiliser les pouvoirs publics. Maintenant, il faut tous travailler sur un message stimulant. 

De notre côté, nous avons aussi adapté notre communication grâce à l’ouverture de la publicité à la télévision. L’objectif est de répartir les budgets plus efficacement et non de les augmenter inutilement. Nous analyserons cette campagne plus en détail, mais elle me semble positive ; elle a permis de toucher un grand nombre de spectateurs potentiels –  notamment via des spots diffusés lors des matchs de Ligue des Champions –, à une période où, malheureusement, les gens étaient moins exposés aux bandes-annonces en salles et aux affiches dans la rue.

Comment se profilent les prochains mois pour Warner ?

Nous travaillons sur nos prochaines sorties, que ce soient les films français comme Miss (28/10) et Comment je suis devenu super-héros (16/12) qui fera la clôture du Festival de Deauville ou les productions américaines comme Wonder Woman 1984 (30/09), Dune (23/12)… Nous serons présents au congrès pour présenter nos films. Puis, si tout se passe bien, nous présenterons au Studio Show début décembre l’étendue de notre line-up 2021. Il est important de repartir du bon pied !

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