La commission Culture du Sénat auditionnait ce matin le président du directoire du Groupe Canal+, face aux nouveaux défis de l’audiovisuel.
L’année 2024 a marqué un tournant pour Canal+ – son entrée à la Bourse de Londres, le retrait de ses chaînes de la TNT, le projet d’acquisition de la société sud africaine Multi Choice… –, qui remet en cause l’environnement fiscal et réglementaire français. « Nous nous interrogeons sur les répercussions de ces transformations sur le secteur de la création en général et sur celui du cinéma en particulier, auquel Canal+ est lié depuis son origine », a ainsi introduit le président de la commission Culture du Sénat, et ce, au lendemain de la mise en signature de l’accord sur la chronologie des médias.
Dans un marché globalisé et dominé par les opérateurs américains, « la survie même du groupe a été mise en question », répond d’abord Maxime Saada, et « toutes les pistes d’économies ont été exploitées, à l’exception de nos investissements dans la création ». Si « Studiocanal, qui possède aujourd’hui 19 sociétés de production à travers le monde, sera amené à devenir un actif encore plus essentiel », le président du directoire estime que le groupe, grâce à son internationalisation et ses partenariats, « s’est libéré de sa dépendance géographique envers la France ». Et depuis que Canal+ a perdu les droits de la Ligue 1 en 2018, il « s’est dégagé de toute forme de dépendance éditoriale, afin de ne plus jamais se retrouver dans cette situation ».
S’il a acquis, depuis, les droits de nombreux événements sportifs sur la durée, « c’est dans le même esprit que nous avons souhaité inscrire l’exception cinématographique française dans cette vision de long terme. Le groupe a proposé pendant plus de deux ans aux organisations professionnelles du cinéma de renouveler notre accord sur une durée allongée de cinq ans, pour un montant total supérieur au milliard d’euros. »
En 2024, la participation de Canal+ dans les films s’est élevée à plus de 220 M€, et avec les 50 M€ de taxes au CNC et les 200 M€ investis par Studiocanal, le groupe « aura donc investi au total près de 500 M€ dans le cinéma français et européen », souligne le dirigeant, rappelant toutefois que ce montant est lié à un accord interprofessionnel échu depuis le 31 décembre dernier.
« L’application d’une vision industrielle, pourtant nécessaire à la pérennité de tout écosystème économique, fait cruellement défaut au secteur de la création française. » Pour le patron de Canal, « c’est cette absence de vision qui a conduit la Ligue 1 dans sa situation dramatique actuelle et qui risque de conduire le cinéma français dans la même situation ». Des décisions de court terme qui « menacent de faire péricliter les entreprises françaises du secteur » selon Maxime Saada qui pointe une réglementation « devenue un véritable cadavre exquis de normes communautaires et nationales (…), freinant l’expansion des acteurs français, bien plus régulés que leurs concurrents internationaux. » Et qui selon lui, menace Canal+ : « Je pense en particulier à l’augmentation de sa taxe affectée versée au CNC, aux menaces continues sur son taux de TVA, pourtant lié à son statut de premier financeur du cinéma français… ».
Dès lors, Canal+ pourrait-il réduire ses investissements dans le cinéma, qui était basés sur une fenêtre à 6 mois dans la chronologie des médias ?
« On a aujourd’hui choisi le cinéma comme axe majeur de différenciation de Canal+, quand toutes les plateformes américaines ont choisi un régime audiovisuel, donc avec des obligations plus importantes en audiovisuel et, en contrepartie, une place dans la chronologie des médias moins favorable que la nôtre ». Et si Disney+ a quitté l’offre Canal+ et choisi « de manière opportuniste et tout à fait logique de basculer en mode cinéma pour pouvoir diffuser ses films plus tôt », Maxime Saada dit avoir « un souci » quand on parle d’une fenêtre à neuf mois dans la chronologie des médias pour Disney, pour un investissement de 35 M€ par an. « Parce que si Disney a neuf mois pour 35 M€, il y a un sujet pour Canal+ et ses 220 M€ à six mois. Donc cette offre n’est plus sur la table aujourd’hui et, de mon point de vue, elle baissera nécessairement. »Non seulement Canal+ dépasse ses obligations, aujourd’hui fixées à une centaine de millions d’euros d’investissement dans le cinéma, et basées sur son chiffre d’affaires global, auquel contribue notamment la diffusion de la Ligue des champions. « Si demain, Canal+ sépare le sport et le cinéma dans son modèle, l’obligation est divisée par deux, les 100 millions deviennent mécaniquement 50 », calcule Maxime Saada. « On est obligé de s’adapter, donc on s’adaptera. » Quant aux organisations du cinéma, il pose la question : « Est-ce qu’elles préfèrent un modèle dans lequel Canal+ contribue largement… ou est-ce qu’elles veulent se libérer de cette dépendance, mais prendre le risque de perdre 250 ou 200 M€ d’investissement du groupe ? »
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