L’audition du référé liberté porté par le secteur culturel devant le tribunal administratif suprême a eu lieu ce lundi 21 décembre matin. Les seize organisations du cinéma étaient représentées par Richard Patry et Marc-Olivier Sebbag de la Fédération nationale des cinémas français, initiatrice de la procédure aux côtés de la SCAD, les Théâtres parisiens, des cirques et de Francis Lalanne, soit neuf recours au total.
L’ACID, l’ACRIF, l’AFCAE, AnimFrance, l’API, l’ARP, le DIRE, la FNCF, la FNEF, la Fesac, le GNCR, la Scam, le SDI, le SPI, la SRP et l’UPC : c’est tout le cinéma français que la FNCF a défendu devant le Conseil d’État ce matin, évoquant sa place essentielle tenue dans la vie des Français, son maillage territorial inégalé et sa qualité de première activité culturelle du pays (213 millions d’entrées et 1,5 milliard de CA en 2019).
« Au-delà des libertés fondamentales d’entreprendre et d’expression, ce qui est très frappant c’est que nous sommes aujourd’hui confrontés à une position totalement indifférenciée des pouvoirs publics sur la question du cinéma », a déploré maître François-Henri Briard. Dans sa plaidoirie, l’avocat a souligné en outre la qualité du protocole sanitaire mis en place dans les cinémas, « le plus élaboré jamais mis en place depuis le début de la crise sanitaire et régulièrement mis à jour depuis ». Les représentants de la filière ont critiqué « l’absence de prise en considération de critères spécifiques pour le cinéma alors que ces critères ont été établis pour les commerces non essentiels ». Ils ont réclamé enfin au Conseil d’État présidé par Jean-Denis Combrexelle « qu’il soit enjoint au Premier ministre de réexaminer la décision de report d’ouverture en concertation avec les représentants de la profession ».
Une position différenciée et une étude implacable
Maître François-Henri Briard a toutefois insisté sur le fait que la demande, en ce qui concerne les cinémas, est celle d’un simple réexamen des conditions de réouverture. « Nous sommes confrontés à une position différenciée par rapport au reste de la Culture », a-t-il souligné en déplorant le manque de distinction entre les différents lieux de spectacle. «Nous sommes de tout cœur avec les théâtres, cependant les conséquences sanitaires des métiers », entre les scènes de spectacle vivant et les séances de cinéma, « ne sont pas les mêmes ».
Quant aux statistiques et chiffres relatifs à l’incidence de l’ouverture des lieux culturels sur la pandémie, l’avocat s’en réfère non seulement à l’avis du conseil scientifique du 26 octobre dernier mais surtout à l’étude de l’Institut Pasteur, publiée le 8 décembre. Cette dernière démontre que les événements culturels tiennent une place « absolument réduite » dans la propagation du virus, seuls 2,2 % des des individus positifs les suspectant d’avoir été la source de la contamination (page 7).
Entre le sanitaire et le thérapeutique
Nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes stigmatisés comme des lieux de sur risque alors que toutes les études montrent que cela n’est pas vrai.
Richard Patry, président de la FNCF
Prenant la parole au nom de toute une filière mise à l’arrêt avec la fermeture des salles, Richard Patry a avant tout salué la solidarité de l’ensemble du monde de la Culture. « Alors que nous nous battons tous pour combattre cette pandémie, nous ne comprenons pas pourquoi nous sommes stigmatisés comme des lieux de sur risque alors que toutes les études montrent que cela n’est pas vrai ». Le président de la FNCF a rappelé de fait les 25 millions de spectateurs qui sont allés au cinéma entre la réouverture et la fermeture du 29 octobre au moment de la mise en place du nouveau confinement. « Entretemps on nous a imposé un couvre-feu. Mais à ce moment-là, le gouvernement discutait avec nous et nous avons adapté notre activité. » Élargissement de l’éventail des horaires pour une meilleure répartition du public, suppression des queues, gestion des flux d’entrée et de sortie, respect de la distanciation physique et port du masque dans la salle… Pour Richard Patry, le protocole sanitaire des salles de cinéma et de spectacle – « à chaque fois mis à jour et validé par le ministère de la Santé » – est respecté, « mais surtout bien supérieur à ce que nous voyons ailleurs. Au lieu d’aller devant les vitrines et les magasins, peut-être qu’une partie de nos concitoyens irait au cinéma, au théâtre, au cirque… et au final il n’y aurait pas plus de brassage. »
Enfin, le président de la FNCF a mis en avant, au-delà de son rôle économique, tout le bien que la Culture pourrait faire en permettant au public de « s’évader, de sortir de la morosité ambiante ». Et conclu en demandant un simple « traitement égal, qui donnerait la possibilité à nos concitoyens de pouvoir venir se distraire et se cultiver dans nos établissements ». Un appel renforcé par l’artiste de théâtre Jean-Michel Ribes, représentant la SACD, lors de son passage “à la barre” : « Ne négligeons pas l’aspect thérapeutique de la Culture, nous sommes aussi des réanimateurs ! »
Sortie d’audience
Commentant la session qui venait de se terminer, maître François-Henri Briard a insisté sur la requête en égalité de traitement du secteur. Il a en outre noté que la position prise par l’administration à l’égard de la Culture procède « d’une espèce de principe de précaution porté à l’extrême, sans que le risque soit établi. Ce qui est actuellement contradictoire, c’est que l’on privilégie les activités non essentielles qui ne présentent pas de garanties sanitaires, et l’on interdit celles qui en présentent. Alors que nous n’avons pas entendu au cours de l’audience un seul mot sur les critères entre un “non essentiel” et un autre ».
La liberté d’expression est l’un des des droits les plus précieux de l’Homme.
Maître François-Henri Briard
Le deuxième problème soulevé par l’avocat est celui de la hiérarchie faite par l’administration dans les libertés en cause. « Il n’y a pas que la liberté du commerce et de l’industrie. La Culture ne serait pas au même niveau que la liberté de culte, comme l’administration l’a écrit dans ses mémoires. Mais elle oublie qu’en termes de libertés, celle de l’expression que représentent le cinéma comme le théâtre, inscrite dans l’article 11 de la déclaration de 1789, est l’un des des droits les plus précieux de l’Homme. »
Enfin, l’avocat s’est félicité d’un « débat constructif » qui laisse « bon espoir » de la part d’un Conseil d’État chargé de trouver le bon équilibre entre l’ordre public sanitaire et la protection des libertés. À noter que la demande des parties ne porte non pas sur une injonction dans les trois jours, « mais une injonction au gouvernement de fixer la date de réouverture avec nous, en gros de renouer le dialogue ».
Richard Patry a confirmé de son côté ne pas demander une réouverture immédiate. « Il nous faut de la visibilité, que l’on sache quand et dans quelles conditions nous allons pouvoir rouvrir pour pouvoir se préparer. J’espère que le gouvernement va prendre conscience qu’il n’est pas possible de continuer à traiter la Culture comme ça. »
L’instruction sera close demain midi. La décision est attendue dans deux jours, mercredi 23 décembre au soir.
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