Près d’un mois après son expulsion, le collectif d’occupants a convié étudiants, cinéphiles, professionnels et amateurs à une conférence pour exposer les contours d’une possible reprise des deux écrans de La Clef.
Lundi soir, peu après 19 heures, plus de 200 personnes sont venues se masser dans l’auditorium de la Bourse du Travail, aux environs de la Place de la République. L’ambiance est enthousiaste et volontaire lorsque surgissent sur l’estrade, après un petit film retraçant les mois d’occupation, la plupart des membres de La Clef Revival. Aux premiers remerciements devant ce public nombreux, le collectif enchaîne par quelques chiffres : 882 jours d’occupation consécutifs depuis septembre 2019, plus de 1 000 films projetés, 200 personnalités invitées et, depuis l’annonce d’une possible expulsion le 22 janvier 2022 jusqu’à celle, effective du 1er mars, une « mobilisation sans précédent » avec quelque 9 000 cinéphiles réunis pendant les cinq semaines de portes ouvertes.
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Sous les applaudissements nourris, l’actrice Irène Jacob, par ailleurs présidente de l’Institut Lumière à Lyon, est venue lire un texte cosigné par plusieurs organisations professionnelles telles que la SRF, l’Acid ou encore le Collectif 50/50. Soulignant la mutation par La Clef Revival du cinéma du Ve arrondissement parisien en « un lieu d’effervescence culturelle unique à Paris et à l’échelle nationale (…), un lieu d’avant-garde, incontournable pour la création et la diffusion cinématographique de demain », elles annoncent soutenir le projet de rachat : « Le retrait du Groupe SOS ouvre une possibilité nouvelle au collectif d’investir le bâtiment, désormais vide et sans acquéreur déclaré. Nous en appelons à la ministre de la Culture et à la maire de Paris afin qu’elles saisissent, sans tarder et dans l’intérêt général, l’occasion d’inscrire ce lieu culturel dans la durée. »
Céline Sciamma au conseil d’administration
Pour nourrir ledit projet, La Clef Revival s’est rapproché de lieux ayant réussi à s’installer dans la durée en dehors des modèles traditionnels : des cinémas alternatifs, comme Le Vidéodrome 2 à Marseille et Le Gran Lux à Saint-Etienne, ou les salles du réseau européen Kino Climates, telle que Le Nova à Bruxelles. Dans l’optique de « sortir le bâtiment du marché de l’immobilier et donc préserver son indépendance », le collectif a opté, à l’automne 2020, pour la création d’un fonds de dotation. Intitulée Cinéma Revival, cette structure, à mi-chemin entre l’association et la fondation, sans actionnariat, vise à récolter des fonds destinés à un usage précis. Ici, il s’agit de racheter des cinémas pour les confier de façon pérenne à des associations défendant plusieurs principes fidèles à La Clef Revival : une programmation collective, des tarifs solidaires et une organisation interne horizontale. « Le fonds de dotation est juridiquement très encadré, par ses statuts, mais aussi par la structure de son conseil d’administration, pensée pour garantir le respect de son objet statutaire », ont expliqué les membres du collectif.
Outre le renfort prochain du Clip, un réseau de lieux en propriété d’usage qui agira comme organe de véto, le CA du fonds de dotation a annoncé les arrivées de deux professionnels reconnus : la cinéaste Céline Sciamma et le directeur du Reflet Médicis Jean-Marc Zekri. « Je vais être là pour que le projet aboutisse, mais il ne faut pas que cette nouvelle étape masque le fait que certains veulent empêcher la contagion de vos idées, au futur radieux si on les laisse advenir. Je serai là pour dire la honte dans les pièces où vous ne pourrez pas entrer. Merci de nous donner cet espoir, je me mets à votre service avec la plus grande des fiertés », a lancé la réalisatrice, soutien de la première heure du mouvement. L’exploitant parisien a de son côté salué « [votre] énergie pour trouver des lieux amis afin de faire exister [vos] idées » malgré l’expulsion et mis en avant « les pratiques » innovantes du collectif. « On va faire en sorte de vous accompagner encore et encore. »
Un premier contact encourageant
Avant de présenter concrètement le projet, les intervenants de La Clef Revival ont savouré la réception, ce lundi, d’un mail de Catherine Gabriel, secrétaire du comité social et économique (CSE) – Caisse d’Epargne Ile-de-France. « Elle propose de nous rencontrer. C’est la première fois en deux ans et demi que nous avons un échange avec le propriétaire des murs ! » Aux vifs applaudissements, les orateurs ont répondu avec d’autres bonnes nouvelles : « Près de 130 000 € ont été récoltés via 2 000 donateurs et plusieurs mécènes, rassurés par les prémices d’un dialogue avec le CSE, sont prêts à nous suivre. La Mairie de Paris a fait part de son souhait de s’engager financièrement sur le projet, tandis que la Région a manifesté son intérêt et réfléchit à la meilleure façon de nous accompagner. » Pour rappel, le prix de vente La Clef est de 4 M€, même si, dans la salle, un élu CGT au CSE a témoigné que le cinéma était estimé à 1,5 M€ au bilan du comité, qui se réunit ce jeudi 31 mars pour évoquer la situation.
C’est d’ailleurs le montant qu’entend emprunter le collectif. De plus, il prévoit de réhabiliter l’équipement moyennant une enveloppe de 300 000 €, provenant des aides des pouvoirs publics et du fonds de soutien du cinéma. Le schéma préservera les deux salles de projection actuelles et aménagera deux espaces de montage image et son, un studio d’animation, une zone de répétition au sous-sol et des bureaux tandis que la grande salle polyvalente sera transformée en café associatif. Ensuite, l’économie de La Clef reposera sur plusieurs ressources, principalement l’entrée à prix libre – moyenne de 4,50 € sur la période d’occupation –, le collectif s’engageant à reverser la TSA. Mais aussi sur la cotisation annuelle (5€), la location des espaces de création au tarif solidaire et à mi-temps, la location des deux salles de cinéma au tarif solidaire et limitée à trois fois par mois, les recettes du café et enfin les subventions publiques. « Cela permettra de verser le loyer au fonds de dotation, qui remboursera ensuite le prêt, mais aussi les frais fixes et les salaires. »
400 séances annuelles
Car pour faire tourner la boutique, La Clef souhaite, à terme, s’appuyer sur trois salariés pour gérer l’administratif et le financier. Ils encadreront également des référents de pôles (programmation, communication, projection et autres) composés de bénévoles. Cette équipe aura ainsi la tâche de piloter les futures activités du cinéma, qui ne répondra pas au schéma classique, avec des horaires fixes. « Cela s’apparentera davantage à un festival permanent avec des œuvres toujours différentes et du dialogue avec les auteurs ; un lieu cinématographique intermédiaire mêlant activités de création, de diffusion, d’éducation à l’image, de formation continue, éventuellement, à terme, d’université populaire, en restant fidèle à son histoire singulière et au service de films moins diffusés. » Côté création, le Studio 34, espace alternatif interne créé il y a quelques mois et qui produit cinq courts métrages chaque année, ambitionne de doubler sa production, mais aussi de créer un atelier spécialement dédié à la réalisation d’un premier film documentaire. Côté diffusion, La Clef entend garantir une projection quotidienne et 400 séances par an, tout en conservant une réelle flexibilité dans sa programmation.
« Oui ce projet est viable, engagé, militant, oui on a des idées et on ne s’arrêtera pas comme ça, on se battra jusqu’au bout », a insisté le collectif, qui organise actuellement plusieurs séances hors les murs dans quelques salles de la capitale. Et d’exhorter, en guise de conclusion : « Grâce à votre soutien, on va rallumer les projecteurs comme on l’a fait il y a deux ans et demi ! »
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