Joyland et Aftersun galvanisent Condor

Joyland ©Condor Distribution

Regain de forme de l’art et essai ou éclaircies dans un marché toujours morose ? Ces dernières semaines, les deux films ont, à leur niveau, réussi à tirer leur épingle du jeu et trouver leur public. Alexis Mas, président de la société de distribution, analyse ces deux belles performances.

Le premier a dépassé la barre des 100 000 entrées, le second vient de démarrer sur les mêmes bases : avec Joyland et Aftersun, Condor s’offre un début d’année « galvanisant » dixit Alexis Mas. Deux longs métrages atypiques, aux trajectoires bien différentes et pourtant très liées, puisqu’elles trouvent leur origine dans la ferveur du Festival de Cannes 2022.

Joyland de Saim Sadiq est déjà dans le giron de Condor lorsqu’il fait ses débuts sur la Croisette. « À partir de sa présentation à Un Certain Regard puis de l’obtention de la Queer Palm, nous commençons à ressentir une forte cote d’amour, notamment du côté des exploitants. » Avec un objectif minimal de 80 000 entrées, le distributeur s’active pour débusquer les bons relais afin de faire fructifier les échos cannois autour de ce drame sur la transidentité au Pakistan. « Nous avons choisi de stratifier le public et éviter que le film soit perçu comme communautaire et “non concernant” avec la Queer Palm, optant ainsi pour une affiche assez exotique, mais sans le côté sulfureux, pour toucher davantage les séniors. » Alexis Mas et ses équipes adoptent une toute autre approche pour les diasporas pakistanaises et indiennes avec de l’affichage ultra ciblé et le recours à des prescripteurs comme le distributeur français spécialisé en films bollywoodiens Anna Films pour faciliter le dialogue. Enfin, dernière frange du public visée : la communauté LGBTQ+ « via le recours à un visuel plus nocturne et charnel. Nous nous sommes appuyés également sur le magazine Têtu et sur la structure de la Queer Palm, et avons profité de la sélection au festival Chéries-Chéris, fin novembre, comme rampe de lancement ». 

C’est d’ailleurs en parallèle de cette manifestation qu’un autre événement va contribuer à accroître la notoriété de Joyland : au Pakistan, sous impulsion politique, le film se voit retirer temporairement son visa d’exploitation, poussant Condor à organiser en urgence une sortie anticipée afin de préserver les chances de concourir aux Oscars. Une situation relayée en masse par la presse et sur les réseaux sociaux, offrant une nouvelle visibilité au film, à l’aube de sa sortie française le 28 décembre. « C’est l’agrégation de tous ces éléments qui aboutissent à ces bons chiffres », avec une première semaine à près de 33 000 entrées, dont plus de 10 000 à Paris. « Joyland décroche rapidement de très bonnes notes sur AlloCiné, Letterbox et SensCritique et le bouche-à-oreille s’amorce, sans avoir déjà été usé en partie par les avant-premières. » La dynamique s’installe avec de solides maintiens semaine après semaine, pour finalement franchir le cap des 100 000 spectateurs à l’issue de son cinquième week-end ; avec dorénavant l’objectif d’aller chercher les 120 000 sur plus de 60 salles encore programmées. « Nous savons mobiliser et exciter notre public et notamment un cercle assez large sur Twitter d’utilisateurs qui ont une approche semi-professionnelle du box-office. Ils donnent un écho favorable quand les résultats sont bons, et ensuite, le succès appelle le succès. »

Aftersun ©Condor/Mubi

Un effet qui commence également à se faire ressentir autour d’Aftersun de Charlotte Wells, qui jouit aussi d’une belle réputation sur les réseaux, depuis sa sortie le 1er février mais déjà bien avant. C’est aussi à Cannes que tout commence, où Condor le découvre à la Semaine de la Critique. Mais le distributeur n’est pas le seul intéressé : la plateforme Mubi lorgne aussi ce long métrage arty américain. Après plusieurs mois de tractations, où le film ira notamment chercher deux prix au Festival de Deauville, les deux entités parviennent à s’entendre et officialisent à l’automne leur partenariat. « Pour le coup, nous avons rapidement eu un buzz presse et spectateurs important, alors que les exploitants se sont montrés bien plus frileux, avec un plan de sortie ficelé très tardivement », note Alexis Mas. « Nous avons insisté sur la ferveur publique qui montait, sur les parallèles avec des films comme Moonlight [le réalisateur Barry Jenkins est le producteur d’Aftersun, ndlr.] ou 90’s de Jonah Hill, qui ciblent clairement les jeunes cinéphiles. » Sachant qu’une partie d’entre eux est très fan de Paul Mescal, star de la série Normal People et dont le rôle dans Aftersun lui vaut une nomination aux Oscars. « Il y a un vrai phénomène générationnel sur les 20-35 ans avec ce film et les thèmes qu’il aborde, qui les attire donc en salles. En même temps, il a fallu aiguiller ce public, qui ne comprenait pas l’absence du film dans leur multiplexe, vers les salles indépendantes programmées. Il y a donc aussi une résonance avec toutes les discussions autour du public jeune au cinéma. »  

Avec une programmation similaire à Joyland, Aftersun démarre joliment, enregistrant quelque 37 000 entrées en sept jours, avant-premières comprises, et débute sa deuxième semaine avec une combinaison plus large de 110 copies. « Pour alimenter la dynamique, nous lançons plusieurs initiatives dont une opération avec des séries limitées de Polaroïds du film à collectionner en salle. » Pour, in fine, tenter d’atteindre la barre des 100 000 entrées avec un deuxième film consécutif, ce qui n’était plus arrivé à Condor depuis l’été 2020, avec L’Ombre de Staline (encore aujourd’hui son plus gros succès avec 220 000 tickets) et Light of My LifeCela démontre le retour d’une certaine curiosité parmi les spectateurs depuis quelques mois », observe Alexis Mas, citant l’exemple du succès de Eo de Jerzy Skolimowski, « autre ovni art et essai » avec lequel ARP Sélection cumule 130 000 entrées. « À l’instar de ce qui nous avait réussi avec Rien à foutre face à The Batman, pour Joyland et Aftersun, nous étions dans une démarche extrême de contre-programmation face aux grands événements commerciaux, Avatar 2 et Astérix », poursuit le distributeur. « De plus, nous étions à chaque fois les candidats les plus improbables dans un marché concurrentiel sur le créneau, face aux Banshees d’Inisherin, Vivre ou récemment Retour à Séoul. Nous avons souvent peur d’une cannibalisation entre ces films, mais quand tout se passe bien, c’est tout le marché art et essai qui en profite et se met en route. »

Joyland ©Condor Distribution