INTERVIEW – Le dirigeant de Megarama, cinquième circuit français avec 22 établissements, leader au Maroc avec six cinémas et propriétaire de deux salles en Espagne, évoque avec Boxoffice Pro sa vision résolument optimiste de la crise actuelle et la reprise attendue. Pour Jean-Pierre Lemoine, le cinéma a traversé toutes les crises et survivra à celle-ci.
Selon vous, quelle serait la date de réouverture idéale pour les salles ? Êtes-vous confiant dans le fait que les spectateurs reviennent ?
Pour moi, la réouverture idéale serait dès ce soir ! Je suis confiant sur une réouverture en juillet, qui à mon avis sera mondiale. Vous savez, en 70 ans de carrière, j’en ai vu des épidémies et des crises et même pendant la guerre, on n’a jamais fermé les salles. En 1945, quand les chars américains ont remplacé les chars allemands, les cinémas tournaient et les spectateurs étaient au rendez-vous. Aujourd’hui, il y a une peur collective inédite alimentée par les médias. D’après ce que j’ai observé et lu, la demande sera là et la majorité des spectateurs reviendront. J’aspire à une grande fête pour tous les cinémas, au retour de la convivialité, même si malheureusement les agents d’accueil seront masqués et cachés derrière des plexiglas.
En Espagne, les salles reprennent leur activité fin mai. C’est une semi bonne nouvelle pour moi puisqu’au Maroc, où l’activité a également cessé, nous n’avons toujours pas de perspective de réouverture. Je suis très impatient.
Pensez-vous que le cinéma français retrouvera son niveau d’entrées d’avant la crise ?
Pas le premier mois, mais je pense qu’à partir d’octobre, novembre, tout sera oublié. Malgré ma longue expérience, je peux me tromper ; je n’ai jamais vécu une crise comme celle-là. Mais je reste optimiste car j’aime ce métier et j’ai la chance d’avoir des collaborateurs qui l’aiment aussi. Même si économiquement, la fermeture des salles est une catastrophe pour nous tous, j’ai toujours confiance dans le cinéma.
Financièrement, avez-vous pris des mesures particulières ?
Oui, évidemment. Sur le premier semestre, nous allons perdre 1,27 million d’entrées et entre 20 et 25 millions d’euros de recettes. C’est la première fois de ma vie que je me demande comment nous ferons si cela continue. Ce serait une catastrophe. Le véritable enjeu financier sera de se maintenir en 2021, quand les charges reportées devront être acquittées. Il est évident que certaines salles auront du mal à se relever et je pense que les pouvoirs publics sont conscients de ce problème.
Pensez-vous organiser un grand événement afin de favoriser la reprise, comme des opérations tarifaires ?
Je pense que la Fédération le prévoit. Selon moi, ce n’est pas l’initiative individuelle mais l’initiative nationale et collective qui aura de la valeur. J’ai également prévu une opération, mais elle ne sera pas tarifaire, pour la simple et bonne raison que les films méritent d’être défendus et soutenus financièrement. Ce qui est fondamental, c’est la diversité des films, surtout pour nous qui avons de grands complexes. Nous reprendrons l’exploitation des films qui étaient à l’affiche, comme De Gaulle ou La Bonne Épouse. Il faut leur redonner leur chance, ils ont du potentiel.
Selon vous, comment s’organisera le calendrier des sorties ? Pensez-vous que le nombre de films sera suffisant ou craignez-vous une pénurie pour certaines salles ?
Je possède moi-même des petits complexes de cinq ou six salles classés art et essai. Je pense qu’il y aura suffisamment de copies pour tout le monde. Même si le distributeur choisit son plan de sortie, l’important est que l’établissement soit accueillant et festif. L’offre est pléthorique pour la deuxième moitié de l’année, aucune pénurie n’est en vue. Les films français pourront trouver leur place et les blockbusters ont été reportés. Je ne suis pas inquiet. Après tous ces déboires, j’espère que nous ferons un deuxième semestre fracassant !
Que pensez-vous des séances en plein air, notamment des drive-in qui font débat ?
C’est une fumisterie. La force du cinéma, c’est sa qualité visuelle et sonore, et son confort. Si c’est pour être dans une voiture et écouter une bande FM sur un autoradio, cela n’a aucun intérêt. Quand j’habitais aux États-Unis, j’ai testé les drive-in pour me faire un avis et pour moi, ce n’est pas du cinéma. Un film se voit dans une salle, dans le noir, avec une qualité sonore exceptionnelle. Pour moi, il n’y a aucune alternative possible à cela.
Pensez-vous que les plateformes sur abonnement ou VOD sont une menace pour les cinémas ? Comment collaborer avec elles ?
C’est une concurrence certes, mais la salle restera toujours un spectacle. Chacun doit vivre sa vie et la salle se défendre. Beaucoup de mes salles disposent encore d’un rideau ; quand il s’ouvre, le spectacle commence. J’ai débuté dans le secteur en 1947 comme projectionniste. Depuis, j’ai vu la salle évoluer sous toutes ses formes et je sais que son existence perdurera. Quand je regarde un film chez moi à la télévision, je déplore le gâchis, entre toutes ces publicités qui coupent le film et les possibilités d’être dérangé. Au cinéma, on paye et on subit le film, en bien ou en mal. Il en est de même pour les chaînes TV, qui comparent le fait de regarder un film chez soi à l’expérience en salle. Je trouve que c’est un manque de respect envers les salles, les travailleurs et leurs investissements ; surtout quand celles-ci ont le genou à terre. Je crois sincèrement à la magie du cinéma et je crois qu’il continuera encore à exister… Sinon, je n’investirais pas autant dans ce métier que j’aime ! Je suis très optimiste.
Quelles nouvelles de vos chantiers en cours ?
Nos chantiers ont été interrompus comme tout le monde et viennent de reprendre. Je pense que nous ouvrirons à Denain, dans le Nord (7 écrans et 933 fauteuils) en octobre et à Givors, près de Lyon (7 salles et 1 200 fauteuils), vers février-mars 2021. À Nice (10 salles et 1 930 places), dans la mesure où il s’agit d’un gros chantier de centre-ville qui prend plus de temps, nous ouvrirons fin 2021 ou début 2022. Ce que je peux dire, c’est que pour mes prochains cinémas, je vois encore plus grand, avec tout ce que nous offre la technologie et des écrans de 250 à 350 m2. J’ai toujours favorisé la technique, les meilleurs son et image, des fauteuils confortables et des écrans géants. Mes architectes disent toujours qu’avec moi, ils ont peur que l’écran ne soit plus large que la salle !
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