Frédéric Monnereau : «Disney ne pousse pas pour avoir le plus grand nombre d’écrans mais veut une exposition cohérente avec le potentiel du film»

Frédéric Monnereau ©Tanguy Colon/Boxoffice Pro

INTERVIEW – De l’année record de Disney aux sorties hors normes de fin d’année, en passant par l’exposition des films et l’intégration des équipes Fox : le directeur de la distribution France de The Walt Disney Company évoque l’actualité du studio.

Petit flashback : quel regard portez-vous sur cet exercice record pour le studio ?

C’est une année exceptionnelle : la première fois qu’un distributeur dépasse le million d’entrées avec chaque film et il nous reste encore deux mastodontes. Ce sera donc une année record avec 40 millions d’entrées pour la première fois dépassés avec si peu de films. Un exercice qui symbolise totalement la stratégie de Disney : il doit se passer quelque chose dans la salle de cinéma. Chacune de nos sorties est réfléchie pour créer l’événement et faire en sorte que la salle reste un écrin exceptionnel pour des œuvres hors normes. Cette année fait aussi la part belle aux films qui bouclent la boucle, d’Endgame au Roi Lion, en passant par Toy Story 4, avant l’épilogue en décembre de Star Wars. Nous arrivons encore à surprendre avec une suite, via une orchestration du marketing pour créer l’envie et rassembler les générations, séduire les nouveaux spectateurs et rassurer les fans.

Le succès de cette année était-il attendu ?

Certes, le métier de distributeur est plus facile avec de tels films. Mais pris individuellement, chacun à ses difficultés. Par exemple, Aladdin n’était pas évident à sortir en France ; même s’il a réalisé 2,5 millions d’entrées au final, il y avait déjà eu deux Aladdin « français » et l’image du héros était un peu confuse. De plus, nous l’avons calé fin mai, une période assez compliquée à l’instar de septembre. Si le film a démarré en douceur, il a tenu sur la longueur, ce qui est l’une de nos particularités grâce au soutien des salles. Nous sommes réputés exigeants mais le sommes surtout avec nous-mêmes. Notre leitmotiv, c’est le spectateur : il doit connaître la meilleure expérience possible et avoir accès facilement aux films. 

La particularité du marché français change-t-elle la manière de sortir un film par rapport aux autres pays ? Quelle est votre marge de manœuvre par rapport à « la maison-mère » ?

Notre fonctionnement diffère vis-à-vis du public et non du marché. En France, le réalisateur fait vraiment la différence, comme nous avons pu le voir avec Tim Burton pour Dumbo. En dehors des États-Unis, la France est notre 5e marché mondial et le 2e européen derrière l’Angleterre. Nous sommes écoutés par la « maison-mère » au sujet des spécificités françaises, qui permettent notamment d’adapter nos campagnes marketing. La France est aussi un pays où l’animation marche bien, donc nous développons notre propre matériel. Par exemple, l’affiche préventive de La Reine des neiges 2 est française et a ensuite été reprise dans d’autres pays. Par ailleurs, contrairement au reste du monde, les films sortent ici le mercredi, ce qui nous met beaucoup de pression et ne nous permet pas d’organiser autant d’avant-premières que nous le souhaiterions. 

Disney représente désormais les studios Fox et Fox Searchlight. Pour la partie distribution, qu’est-ce que cela va changer dans votre façon de travailler ?

Nous sommes encore au début de l’intégration mais l’équipe sera constituée dans les prochaines semaines. Ces deux labels rejoignent les Walt Disney Studios, Marvel Studios, Lucasfilm et Pixar Animation et apportent de la diversité. Nous avons 31 films à sortir sur les 15 prochains mois avec la même volonté de conserver l’intégrité de chaque label et promouvoir chacun de nos films comme autant d’événements cinématographiques. C’est une nouvelle ère qui commence.

« Si la salle ne peut ou ne veut pas se positionner sur notre demande de séances hebdomadaires, libre à elle de ne pas sortir le film en national. »

Plus que jamais, Noël sera « Disney » avec La Reine des neiges 2 et Star Wars : L’Ascension de Skywalker, à moins d’un mois d’intervalle : quelle stratégie pour leur sortie ?

Pour La Reine des neiges 2, l’objectif est de surprendre. D’habitude, le Disney de Noël sort le dernier mercredi de novembre. Là, il est avancé au 20 novembre, date à laquelle nous serons le 1er pays au monde à sortir le film. Nous lancerons bientôt les préventes et de nombreuses opérations promotionnelles soutiendront  la sortie, comme notamment celle avec les stations de ski des 3 Vallées. Nous voulons accompagner le film jusqu’aux vacances de Noël avec l’idée de dépasser les 5 millions d’entrées du premier volet. À Noël, le prochain Star Wars viendra conclure la trilogie et la saga Skywalker. Ce sera un événement « pop culturel » pour les passionnés. En France, 10 millions de personnes sont fans de Star Wars ! Mais il est aussi important pour nous de rassembler au-delà et d’emporter dans cet univers tout nouveau spectateur. À noter qu’à l’exception du Réveil de la Force (10,5 millions d’entrées), les Star Wars totalisent entre 7 et 8 millions de spectateurs, score visé pour L’Ascension de Skywalker.

Comment appréhendez-vous cette sortie rapprochée ?

Nous avons vu que cet été, Le Roi Lion a permis à toutes les typologies de cinémas de bien s’en sortir. À Noël, si le public veut les voir, c’est une double opportunité pour les salles avec qui nous discuterons du nombre de séances hebdomadaires et du nombre d’écrans pour que cela puisse profiter au public. Ces deux films vont dynamiser le marché. Star Wars doit être vu comme une sortie événement. Peu de titres aujourd’hui peuvent se targuer d’atteindre 7 millions d’entrées. L’exposition devra donc être cohérente.

Aux États-Unis, où la prévente pour Star Wars s’est ouverte le 21 octobre, la plateforme tierce de VAD Atom Tickets a annoncé avoir battu de 45 % le record de première heure de ventes, détenu par Avengers: Endgame. Qu’en est-il en France, où l’on peut réserver sa séance premium depuis le 22 octobre avant l’ouverture de la prévente générale le 18 novembre ?

Depuis 2015 et Le Réveil de la Force, nous ne communiquons plus sur ces chiffres. Pour ce film, certains spectateurs ont cru, à tort, que les séances étaient complètes, ce qui a impacté les cinq premiers jours d’exploitation. Sa performance est à mettre à part car il arrivait douze ans après La Revanche des Siths et suscitait une vraie excitation. L’Ascension de Skywalker sort dans un autre contexte mais les chiffres sont très bons comparés aux Derniers Jedi et Avengers: Endgame. Et ce, alors même qu’il n’y a pas de véritable culture du préachat en France.

Les petites exploitations ont du mal à répondre aux exigences de Disney concernant le nombre de séances. Depuis la recommandation en faveur des 2 et 3 écrans de la Médiatrice, qu’est-ce qui a changé pour vous ?

Cela ne change rien puisque nous avons une approche hebdomadaire des séances. Je pense que tout le monde comprend qu’un film comme Le Roi Lion qui fait 10 millions d’entrées doit être exposé différemment d’un titre qui en enregistre 500 000. La majorité des salles le comprend très bien. Nous faisons en sorte de répondre à leur demande mais cela reste une négociation commerciale. Si la salle ne peut ou ne veut pas se positionner sur notre demande de séances hebdomadaires, libre à elle de ne pas sortir le film en national. Il faut noter que le nombre de séances par semaine se réduit : en avoir 16 aujourd’hui semble exceptionnel ! Nous ne poussons pas pour avoir le plus grand nombre d’écrans, pour être diffusés partout et n’importe comment. L’exposition doit être cohérente avec le potentiel du film, et ceux de Disney font généralement au minimum 1 million d’entrées jusqu’à parfois 10 millions. Grâce à la recommandation, l’exposition a évolué mais ce sont toujours les films porteurs qui attirent les gens au cinéma. 

Frédéric Monnereau ©Tanguy Colon/Boxoffice Pro

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