Formation, pour une exploitation en pleine mutation

Béatrice Boursier (Scare), Luigi Magri (Fémis), Anne Elkaïm (Fémis), Valérie Champetier (Ina) et Luc Engélibert (Fémis) gèrent les formations présentées

Avec la révolution numérique, les métiers de l’exploitation ont changé et font appel aujourd’hui à des compétences toujours plus diversifiées. Des projectionnistes devenus “techniciens”,  des caissiers convertis en “agents polyvalents” ou des directeurs en “community managers”… pour des cinémas qui doivent se réinventer en lieux de vie ou d’expérience ultime. Et dans une société qui interroge de plus en plus le rapport au travail, les ressources humaines demandent toujours plus d’attention. Face à ces mutations, les formations évoluent, celles de structures privées comme celles des trois principaux organismes ici présentés.

Diffusion et maintenance des équipements en salle de l’Ina

C’est la formation la plus récente, dédiée exclusivement à la branche. Avec la fin du CAP d’opérateur-projectionniste (disparu en 2020) et pour tenir compte de l’évolution des métiers techniques, la Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation (CPNEF) de l’exploitation cinématographique, accompagnée par l’Afdas, a souhaité créer deux certificats de compétences professionnelles. La Ligue de l’enseignement et l’Institut national de l’audiovisuel ont décroché l’appel d’offres pour mettre en place une formation, sur deux niveaux, autour de la préparation d’une séance et la maintenance des cabines et des bâtiments [voir encart]. Dispensé par la Ligue, le premier niveau, ouvert aussi bien aux employés de cinémas qu’aux demandeurs d’emploi ou salariés en reconversion (aucun pré-requis n’étant exigé) s’attache à fournir des bases lors de sessions organisées dans toute la France. Présence territoriale similaire pour le niveau 2, organisé par l’Ina, et qui a pour objectif d’approfondir les compétences. Il s’adresse aux détenteurs du niveau 1 ainsi qu’à tout candidat justifiant de deux ans d’expérience effective dans les métiers techniques de l’exploitation. In fine, un jury délivre les certifications à l’issue de ces deux niveaux.

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La direction d’exploitation de la Fémis

En 2003, le département distribution-exploitation voit le jour au sein de la Fémis, incitant cette dernière à instaurer, en 2009, une formation dédiée de directeur d’exploitation cinématographique qui permet d’obtenir aujourd’hui une certification de niveau Master. C’est actuellement la plus longue formation, étalée sur 16 mois, à raison de 3 à 4 jours mensuels pour un total de 350 heures environ. Meilleure gestion et direction d’un cinéma, croissance de la fréquentation et enjeux de la création : pour atteindre ces objectifs, la formation de la Fémis se décline en sept blocs de compétences : programmation, animation, communication, gestion administrative et financière, ressources humaines, supervision de l’équipement technique et de la sécurité, développement d’un projet de cinéma.

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L’ensemble de ces blocs sont évalués grâce à des exercices, encadrés par Luc Engélibert (tuteur) et des professionnels du secteur, tout au long de la formation ainsi que lors de la rédaction d’un mémoire professionnel* soutenu devant un jury. À noter qu’il est aussi possible de réaliser une validation des acquis d’expérience ainsi qu’un parcours personnalisé certifiant, où le candidat ne suit que certains blocs de compétences. La Fémis propose généralement les deux scénarios suivants : le suivi des blocs 1, 2 et 3 d’une part, des blocs 4, 5 et 6 de l’autre. Il faut avoir validé l’ensemble des blocs pour réaliser le mémoire, condition sine qua non pour obtenir le diplôme.

* 3 des 11 mémoires soutenus le 16 et 17 novembre 2022 : Salles Premium : quelles stratégies et quels investissements pour les salles privées indépendantes ? ; Cinéma et économie de l’attention, une réponse par l’environnement de la salle ? ; Les médiateurs et médiatrices en salles de cinéma : entre enjeux professionnels et politiques.

Marketing digital, maintenance cabine et RH par le Scare

Depuis 2018, le Syndicat des cinémas art et essai est aussi un organisme de formation reconnu. Il propose ainsi à l’ensemble des exploitants plusieurs formations autour du marketing digital, dans la lignée du Tour de France digital qu’il a organisé avec le CNC. Deux autres modules ont également été mis en place par le Scare, d’une durée d’une à deux journées. Le premier, organisé en partenariat avec la CST, est dédié à la maintenance des cabines mais dans un format plus resserré que celui proposé par l’Ina ; la formation allie théorie et pratique et reste ouverte à tous, même aux directeurs de sites. Le second module est, lui, consacré aux ressources humaines. Le Scare a lancé cette formation en juillet dernier, partant du constat que les deux années de crise sanitaire ont reconfiguré le rapport au travail et que la gestion du personnel était plus que jamais primordiale ; droit du travail, recrutement, organisation de l’équipe sont notamment au programme. Cette formation est, pour le coup, réservée aux directeur.ice.s, responsables, managers et autres chef.fe.s d’équipes. 

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Une attention aux ressources humaines intensifiée par la crise

Balayant un spectre large de compétences, ces formations ont su prendre le pouls de l’exploitation pour développer certains axes qui semblaient, il n’y a pas si longtemps, loin d’être prioritaires. Après l’impératif de la communication digitale, l’illustration la plus récente est la place accordée aux ressources humaines. « Être exploitant est à l’origine un métier de passion. Gérer des équipes ne s’improvise pas mais s’impose désormais », note Béatrice Boursier, déléguée générale du Scare. « Depuis le Covid, beaucoup de salles nous ont fait part de leurs besoins pour la cohésion et la motivation des équipes. » Chef de projet de la formation Directeur d’exploitation de la Fémis et ancien exploitant, Luigi Magri abonde : « Il y a une vraie appétence sur ce sujet, autour de techniques d’entretiens, gestion des conflits, accompagnement des salariés dans leur désir de changement et, plus largement, de la lutte contre la dégradation du sens du travail. Vous pouvez avoir la meilleure salle, les meilleurs équipements, si votre équipe ne suit pas, si elle a un sentiment de déclassement et d’absence de reconnaissance, cela ne marche pas. » Les modules RH proposés permettent également de se pencher sur le recrutement et la définition des besoins de compétences pour l’équipe, mais aussi d’aborder la flexibilité. « En France, nous avons également la particularité, qui draine de la complexité, de salles où des salariés doivent gérer des bénévoles, avec une législation différente, et où le savoir-être en matière de transfert de compétences s’avère souvent déterminant », poursuit Luigi Magri. Les formations apportent donc des éléments de réponse pour faciliter la collaboration au quotidien. 

Le temps, c’est de l’argent

« Beaucoup de salariés de cinéma se forment ou se sont formés sur le tas, mais c’est important de se professionnaliser avec des diplômes », estime Valérie Champetier, cheffe de l’unité de fabrication des contenus audiovisuels et multimédia de l’Ina. « Depuis le Covid, les exploitants sont dans une sorte de tunnel et ne prennent donc pas le temps de se former, ce qui est pourtant un droit pour l’employé », regrette Béatrice Boursier. « Or, ce temps consacré à la formation permet de prendre du recul et se recentrer, d’échanger sur certaines situations avec d’autres professionnels, de renforcer ses outils. » Pour Luigi Magri, « la période actuelle, avec les challenges drainés par le Covid et ceux qui se sont accélérés, devrait pourtant pousser à la formation et au partage d’expériences ». L’Ina, la Fémis et le Scare redoublent donc d’efforts pour faire connaître ces sessions et insister sur la nécessité d’y participer. Mais ces organismes se voient confrontés à la problématique du temps disponible et surtout du financement. « Ces derniers mois, le terme de “formation” a été quelque peu galvaudé avec la multiplication de webinars. De fait, les professionnels ne comprennent pas pourquoi ils devraient payer pour un module qu’ils ont le sentiment d’avoir déjà suivi gratuitement », pointe Béatrice Boursier. Si ces trois entités font payer leurs formations – 8 500 € pour l’Ina, 9 000 € pour la Fémis et entre 300 et 1 500 € pour le Scare – leur agrément permet la prise en charge des coûts par des Opcos (opérateur de compétences) comme l’Afdas ou Uniformation.

L’enjeu du coût a bien été identifié par ces trois acteurs qui ont déployé plusieurs processus pour accompagner les candidats potentiels. « Nous communiquons sur nos formations deux à trois mois avant le début, permettant à notre équipe de conseillers d’aider les professionnels à trouver des pistes de financement et à remplir les dossiers. Cela laisse du temps, notamment pour avoir la réponse de l’Afdas, qui met en général trois semaines à arriver », explique Valérie Champetier de l’Ina. Le Scare soumet, lui, un questionnaire avant et après le module, puis à six mois. À la Fémis, une équipe, menée par Anne Elkaïm, est également dédiée à la relation avec les candidats. « Nous avons un laps de temps de quatre mois entre l’ouverture et la clôture des inscriptions qui permet d’échanger avec le stagiaire et lui laisse le temps de se préparer : prévenir son employeur pour que ce dernier trouve un remplaçant ou s’organise en interne, commencer à réfléchir aux financements… Notre rôle d’information vaut d’ailleurs aussi bien pour l’employé que pour l’employeur. » Luigi Magri complète : « Nous nous rapprochons aussi des conseillers Pôle emploi ou encore des Régions, qui ont, dernièrement, financé le parcours de cinq stagiaires. » À noter également que le fonds de soutien des cinémas peut être mobilisé pour certaines formations. Enfin, conscientes que, parmi les cinémas publics en particulier, nombre de salariés sont assimilés à des fonctionnaires et donc non éligibles au financement des Opcos habituels, les trois entités insistent sur la nécessité de faire connaître ces formations aux élus pour qu’une partie de leur budget y soit allouée, comme c’est parfois le cas pour la formation Fémis. « Nous devons faire comprendre aux élus et administrateurs publics que recruter une personne n’est pas suffisant pour faire fonctionner une salle 365 jours par an : être exploitant, surtout dans la petite exploitation, est un métier qui mobilise de multiples compétences et qui suppose d’être formé. Ces professionnels sont actuellement un public empêché », poursuit le chargé de formation à la Fémis. 

Mutualiser

« Sensibiliser les exploitants à la formation professionnelle dans toute son amplitude favorisera la transformation des habitudes de travail », estime Béatrice Boursier, pour qui « chaque formation ne peut pas tout satisfaire. Il est essentiel de s’appuyer également sur des ressources présentes dans les territoires et davantage spécialisées dans certains domaines ». Valérie Champetier abonde : « On ne peut plus être chacun dans son coin et l’idée de l’Ina, de la Fémis et du Scare est d’être partenaires et complémentaires dans nos propositions. » Un regroupement pourrait permettre d’avoir une voix plus audible qui, conjuguée au soutien renforcé de la FNCF – voire du CNC ? – et des Régions, pourrait compenser l’exploitation, absente du plan France 2030. 

Enfin, au-delà de ce qui est spécifique aux salles, s’ajoutent les évolutions et impératifs sociétaux : la prévention des violences et harcèlements sexistes et sexuels, l’inclusion aussi bien parmi les personnels que les publics, mais aussi le développement durable, notamment à travers le décret tertiaire, sujet que la Fémis va intégrer à son cursus. Autant d’enjeux qui participent, aussi, à la reconquête des publics et qui impliquent, de la qualité de la projection à la gestion des datas, de l’animation des salles à la responsabilité sociale et environnementale, de se former et de former régulièrement, quel que soit le poste occupé, dans un secteur en pleine évolution. 

Tanguy Colon et Cécile Vargoz

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