Si la chronologie des médias occupait déjà une place de choix dans les discussions dans le cadre de la réforme audiovisuelle, la crise sanitaire, qui a mis en pause le projet de loi, ajoute de nouvelles problématiques en modifiant le rapport des spectateurs comme des financiers à la diffusion des œuvres. Pour mieux en comprendre les futurs enjeux, Écran Total a invité à sa table ronde du 22 avril Xavier Couture, producteur et ancien dirigeant de télévision, et deux avocats spécialisés en droit de la propriété intellectuelle, Karine Riahi et Julien Brunet.
« Les acteurs de l’audiovisuel et du cinéma se retrouvent dans la même situation que celle du spectateur », analyse Xavier Couture. « Nous vivons un paradoxe avec l’explosion des abonnements Netflix, les performances incroyables de la télévision et un rapport à l’écran qui amplifie la consommation de cinéma, mais pour autant, nous sommes confinés avec l’espoir de retrouver un minimum de lien social et la salle reste un lieu d’exposition fondamental de l’œuvre fondamental. »
Cette fois, ce sont trois professionnels en dehors de l’exploitation qui l’affirment : la salle de cinéma doit rester centrale dans la chronologie des médias et est indissociable de la valorisation des films. « La chronologie des médias doit sécuriser la salle. Les cinémas doivent rester le point de départ de cette chronologie des médias et servir de garde-fou. Il faudra être attentif aux résultats des questionnaires envoyés par l’ADRC aux exploitants et aux distributeurs », estime Julien Brunet. Les pistes de réflexion autour d’un assouplissement peuvent davantage s’orienter vers la question du financement des films, pour intéresser les chaînes et les plateformes à la production. Des négociations contractuelles entre producteurs et distributeurs peuvent également s’envisager à la sortie du film, et l’achat des films par les chaînes se faire une fois l’œuvre finalisée. Pour Xavier Couture, il est primordial de ne pas oublier les chaînes de télévision : « On ne peut pas mettre en dehors des discussions les principaux bailleurs. Il faut prendre conscience que le financement et la détention du négatif sont consubstantiels. » Le producteur tient également à faire une mise au point : « L’assouplissement de la chronologie des médias ne doit pas se faire en fonction du piratage car c’est prendre le problème à l’envers. Il y a des moyens pour enrayer ce phénomène, c’est une question de volonté collective. »
Pour Karine Riahi, l’offre de films à la réouverture des salles doit également être l’occasion pour les professionnels de trouver les moyens d’une meilleure coopération des acteurs de la filière. « Dans un climat de chaos, la chaîne ne peut être brisée ou modifiée. La filière a besoin d’une profession unifiée et ne plus jouer les oiseaux de mauvais augure, pour penser à un mouvement de soutien collectif : nous sommes tous dans le même bateau. » Une idée qui laisse Xavier Couture plus circonspect : « Les intérêts particuliers ont toujours prévalu ; il faut imposer une médiation qui permette de sortir le cinéma d’un possible scénario catastrophe. Quelles sont les œuvres qu’on peut laisser entrer sur les plateformes, avec quel type de rémunération ? Comment étudier avec les exploitants et les distributeurs le retour à la normale avec les relais de financement ? Il s’agit d’un énorme écosystème ébranlé qu’il faudrait réunir autour d’une table pour éviter le naufrage. » La période du confinement aura au moins pour effet de favoriser l’assujettissement des plateformes SVOD au financement des œuvres, prévu par la directive SMA. « Il est certain que les futurs débats à l’Assemblée iront dans ce sens, après que les plateformes auront bénéficié d’une grande visibilité de leurs contenus au détriment des salles. » On pourrait alors imaginer que Netflix devienne aussi important que Canal+ dans le financement du cinéma français : « À financement égal, les droits sont identiques, analogues et comparables », résume Xavier Couture.
Pour négocier au mieux la sortie de crise, la manière de mettre en valeur les films reste une composante essentielle pour Xavier Couture. « On ne peut pas considérer un film comme un produit banal. Les plateformes utilisent parfois le film comme un fond de catalogue pour mettre en valeur des productions récentes ; certaines salles savent mettre les films en majesté, d’autres moins. Il faut s’interroger sur la valeur d’enrichissement de l’œuvre par son éditorialisation, quelle que soit son exploitation, afin d’entretenir la relation au public et ne pas faire du film un produit de consommation. » Quant au potentiel impact négatif de la popularisation des plateformes pendant le confinement au détriment de la salle, tout est question d’apprentissage : « La fantastique évolution technologique donne la supériorité aux écrans personnels et permet de voir de manière solitaire des films en streaming dans une qualité de diffusion équivalente voir supérieure à celle de certaines salles. Cela crée un rapport à l’œuvre différent. Il faut réinsister sur le plaisir de l’expérience salle et comment recréer les conditions de ce plaisir. » En réaffirmant l’importance de la salle de cinéma, tous s’accordent à dire que cette période exceptionnelle pousse à « réfléchir, inventer et innover, et que cela ne peut être que bénéfique pour notre secteur ».
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