Après CinemaCon, retour sur dix jours qui ont changé l’industrie cinématographique

© Daniel Loria

Plus de deux ans après le début de la crise sanitaire, une série d’événements survenus entre le 19 et le 29 avril derniers ont marqué un tournant dans le secteur. 

par Julien Marcel

Il est risqué de prédire l’impact historique d’un événement au moment où il se produit. Pourtant, en l’espace de dix jours, nous avons été témoins d’un changement significatif pour l’industrie du cinéma, un bouleversement qui pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère, d’une renaissance pour les salles.

En une seule nuit, le 19 avril, la capitalisation boursière de Netflix a plongé de 50 milliards de dollars après l’annonce d’une perte de 200 000 abonnés – perte qui, selon les prévisions, devrait s’élever à 2 millions d’abonnés au deuxième trimestre. La plateforme n’avait sans doute pas vu venir un tel retournement étant donné la consommation astronomique de contenus SVOD pendant la crise sanitaire et les confinements nationaux.

Netflix a attribué cette baisse au partage généralisé des mots de passe, à la concurrence sur le marché du streaming et à l’invasion russe en cours en Ukraine. Pour compenser ses pertes, la plateforme a évoqué la possibilité de basculer en partie vers un modèle basé sur la publicité (AVOD). Toutefois, ce changement est plus qu’une simple tentative du streamer de se remettre d’un coup dur. C’est le début d’une nouvelle étape de développement dans laquelle le géant devra innover, et les cinémas pourraient y jouer un rôle central.

La mort du day-and-date

Au lendemain de ce revers majeur pour l’enfant chéri du streaming, les studios et les exploitants du monde entier se sont réunis au CinemaCon de Las Vegas. À l’opposé de l’édition précédente organisée en août dernier, CinemaCon 2022 pourrait bien avoir été la convention la plus importante jusqu’à ce jour, car il semble qu’elle ait marqué un changement radical du discours sur la salle de cinéma à l’ère post-pandémique.

Le 26 avril, au Colosseum du Caesars Palace, John Fithian, président de la Nato (association des cinémas américains) a estimé, sous les applaudissements, que la sortie simultanée de films en salle et à la maison (le « day-and-date ») était mort. Le responsable ? Le piratage. « Lorsque la copie parfaite d’un film se retrouve en ligne et se répand, cela impacte très négativement notre industrie. » Quelques heures à peine après sa déclaration, John Fithian rappelait que les sorties en salles sont la force motrice des succès au box-office, qu’elles créent une prise de conscience et stimulent même l’activité du streaming.

Les studios présents au CinemaCon n’avaient pas l’intention de réfuter les affirmations du patron de la Nato, soulignant tous l’importance et le caractère unique de l’expérience sur grand écran, en particulier en format premium. Deux jours seulement après cette déclaration retentissante, Top Gun : Maverick a été projeté au Colosseum et a suscité des réactions enthousiastes. Jerry Bruckheimer, producteur du premier Top Gun et de sa suite, a déclaré qu’il avait toujours pensé que Maverick était un film pour les salles : « Vous l’avez ressenti aujourd’hui, c’est une expérience collective de partage. »

Après deux années au cours desquelles le cinéma a parfois pu être dépeint comme un vestige du passé et les exploitants comme réfractaires à tout changement, le CinemaCon a montré une image très différente, mettant en lumière la singularité des salles.

Même les nouvelles moins excitantes semblaient porter des notes d’optimisme, comme les propos d’Adam Aron, PDG d’AMC, qui a déclaré que les exploitants ne retrouveraient probablement pas des recettes équivalentes à 2019 avant 2024, tout en les invitant à faire preuve de flexibilité pour survivre. Pas de doute, la route promet d’être longue mais, déjà, le discours semble avoir changé puisqu’on ne se demande plus si les salles vont retrouver le chemin de la croissance mais quand !

Les promesses de la diversité

Notre industrie étant portée par les contenus, les films, ce rapport serait incomplet si on omettait de mentionner la présentation de nombreux blockbusters qui, partout dans le monde, sortiront exclusivement au cinéma dans les mois qui viennent, et notamment le très attendu Avatar : La Voie de l’eau (Disney), qui devrait galvaniser la 3D et les formats premium en général et dont la bande-annonce est, depuis, exclusivement diffusée dans les cinémas. Une excellente nouvelle et un message sacrément positif quand on pense à la déception des exploitants après que Disney a basculé de nombreux films directement sur Disney+.

La richesse de l’offre US est aujourd’hui particulièrement encourageante. Entre des titres comme Doctor Strange : In The Multiverse of Madness, Avatar 2 et Top Gun : Maverick, la comédie musicale Babylon de Damien Chazelle, Buzz l’éclair de Pixar, ou encore Les Minions 2 : Il était une fois Gru d’Universal et Illumination Entertainment, les studios semblent avoir des films prometteurs pour tous les âges et tous les goûts.

Tous les espoirs semblent donc permis dans cette nouvelle ère pour les cinémas meme si tout reste à confirmer avec notamment le très bon démarrage du nouvel opus de Doctor Strange… Dans la foulée et sans transition, on suivra avec attention la nouvelle édition d’un Festival de Cannes tourné vers l’innovation et l’ambition de rajeunissement du public avec, en particulier, le partenariat avec TikTok qui devrait apporter son lot de surprises et de fraîcheur. La reprise sera sans doute encore longue et difficile, mais nous assistons aujourd’hui à un alignement de planètes frappant. Au-delà d’aspects stratégiques (l’ajustement de la fenêtre de sortie salle outre Atlantique, la consolidation du marché) et symboliques avec des accroches comme « Les salles de cinéma peuvent-elles sauver Netflix ? », CinemaCon a peut-être trouvé son étincelle cinématographique avec en particulier Top Gun : Maverick , une franchise chère au public et dont on souhaite que le retour puisse coïncider avec la vraie résurgence du cinéma en salle.

Julien Marcel

© Daniel Loria