« VOD : une alternative aux salles pendant le confinement ? Quelles conséquences pour la suite ? »

La deuxième table ronde organisée vendredi 3 avril par Comscore et Le Film français a réuni les professionnels autour de l’enjeu de la vidéo à la demande et ses perspectives d’impact sur le secteur.

Intervenants : Elisha Karmitz (directeur général, MK2), Bernard Tani (directeur des relations institutionnelles, Orange Content), Ardavan Safaee (président, Pathé Films), Joséphine Létang (directrice générale, La Toile VOD), Thomas Ordonneau (directeur, Shellac), François Clerc (directeur général, Apollo Films) et Eric Marti (directeur général, Comscore). Modérateur : Laurent Cotillon ( directeur exécutif du Film français).

En cette période de crise sanitaire et confinement, l’une des adaptations les plus notables des professionnels est la sortie anticipée en vidéo dématérialisée pour les distributeurs, et la mise en place ou le développement de l’une offre VOD pour les salles.

La bascule VOD, pas une solution miracle pour les films

Alors que la consommation de télévision linéaire est en forte augmentation (+1h par jour en moyenne), celle de la VOD explose comme le note Bernard Tani. La semaine 12 a ainsi enregistré une croissance de 86 % du trafic VOD par rapport à 2019, « dans un schéma de consommation qui reste comme d’habitude piloté par la nouveauté », note le directeur des relations institutionnelles d’Orange Content. Selon François Clerc, à la tête d’Apollo Films, le calendrier actuel de l’offre VOD repose en effet sur les sorties de novembre-décembre, comme Le Mans 66, Terminator : Dark Fate, Star Wars : L’Ascension de Skywalker ou encore Les Misérables, soit « des films forts mais qui, abîmés par les grèves, avaient sous performé en salles. » Le président de Pathé Films, Ardavan Safaee, abonde : « Les titres porteurs prennent beaucoup de place sur l’offre VOD. L’avancée de la fenêtre pour les films dérogés, dilués dans les catalogues, ne va pas forcément pallier leur perte de valeur ». 

Pour Shellac, dont le Monsieur Deligny, vagabond efficace daté au 18 mars est finalement sorti le 25 sur la plateforme VOD du distributeur et celle en marque blanche de La Toile, l’expérience et l’échelle sont sensiblement différentes. « Nous avons 65 vues par jour, ce qui est tout à fait correct au regard de la nature du film et sa stabilité », estime Thomas Ordonneau, le directeur de la structure qui ne s’interdit pas de travailler à une tournée salles du film à la reprise.

L’éléphant dans la salle : le piratage

Alors que Woman, sorti en salles le 4 mars, fait le pari d’une reprise en salles, François Clerc explique les raisons pour lesquelles Apollo Films a demandé des dérogations pour trois de ses titres. « Si L’Esprit de famille et Selfie étaient en fin d’exploitation, ce n’était pas encore le cas de Lucky. » Mais la sortie VOD du film d’Olivier Van Hoofstadten en Belgique a créé une forte inquiétude chez le distributeur : celle de son piratage. Sans quoi, « les chiffres de la vidéo à la demande seraient d’ailleurs deux fois plus élevés », note le distributeur.

Lucky ©Apollo

La solution VOD pour les salles, un lien ou un business ?

Joséphine Létang, directrice générale de La Toile qui accompagne depuis trois ans les salles, précise que sa plateforme n’est pas « drivée par les nouveautés, mais par l’envie des exploitants de maintenir le lien et fidéliser leur public. » « L’enjeu de la salle n’est pas oublié, juste déplacé », ajoute Thomas Ordonneau. Le cinéma La Baleine de Marseille, exploité par Shellac, a mis en place une programmation en ligne de sept-huit films avec axes de lecture. « Nous avons eu de très bons échos et un accueil enthousiaste qui raconte le besoin des spectateurs de maintenir lien avec leur salle et sa recommandation », déclare le dirigeant qui a comptabilisé, sur la seule première semaine (soit qu’avec des reprises), 250 vues pour une salle qui fait 1 000 à 1 500 entrées hebdomadaires et compte fédérer bien davantage ses spectateurs avec l’ouverture de la dérogation. 

Même optique côté MK2, dont la plateforme VOD, MK2 Curiosity, met à disposition chaque semaine depuis le début du confinement cinq titres gratuits issus de son catalogue. « Il s’agit d’une alternative pour faire vivre la cinéphilie », souligne le directeur général Elisha Karmitz. « Pour une grande partie des spectateurs, cette impossibilité du cinéma en salles a créé un vide dans leur vie. Il faut avoir confiance en ce public, être au diapason de ses attentes et savoir qu’il va lui aussi se mobiliser à la reprise. »

Une “sur-pratique” destinée à durer ?

Bernard Tani rappelle que si le tiers des foyers français a expérimenté la VOD à l’acte dans les 12 derniers mois, cette dernière affiche une baisse d’activité jusqu’à – 20 % sur ces dernières années. La récente augmentation de la consommation est donc à pondérer avec des difficultés structurelles posées par la concurrence de la SVOD (VOD par abonnement) « avec des prix entrée de gamme à 8 euros, et la suppression des jours interdits de cinéma à la télévision » lors desquels étaient observés les pics de consommation VOD. Joséphine Létang note pour sa part que 60 % des utilisateurs de La Toile n’ont pas l’habitude de la VOD. « Leur démarche découle de leur attachement à leur cinéma local. Quand le confinement sera levé, je suis sûre qu’ils vont retourner dans leur salle. »

Menant des projets de plateforme similaires avec un cinéma à Sofia et un à Lisbonne, le producteur-distributeur-exploitant Thomas Ordonneau de Shellac évoque en outre la difficulté récurrente des petits films au grand écran. « Nous avons un fort attachement à la salle, mais certaines oeuvres peuvent se construire une réputation en ligne pour ensuite se faire une place en salles. »

Ardavan Safaee, président de Pathé Films, se réjouit d’ailleurs de cette envie de cinéma que dénotent les audiences TV et VOD actuelles. « Le public se rend d’ailleurs compte que le choix sur les plateformes VOD n’est pas très riche. Les films restent nos plus importants produits d’appel. Face au probable lissage des sorties à la réouverture des salles et l’incertitude d’un retour à une exploitation paisible avant septembre, les films français porteurs doivent rester. Ce n’est pas le moment de lâcher les salles, sinon on scie la branche sur laquelle nous sommes assis. »

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