Dans une tribune initialement publiée dans Le Monde du 22 juin, la Société des Réalisateurs de Films défend la place de la salle de cinéma et de la culture. Voici son texte en intégralité.
« Après les cafés, les restaurants, les magasins, c’est enfin au tour des lieux de culture de retrouver leur public. Ce 22 juin est jour de fête ! Dans les salles obscures, nous vivrons de nouveau l’expérience extraordinaire et collective de la séance de cinéma. Ces derniers mois, le cinéma a investi plus que jamais nos maisons, nos télévisions, ordinateurs et téléphones. Il nous a accompagnés, réconfortés. Nous n’avons cessé de le dire : l’appétit de cinéma se nourrit de tous les modes de diffusion, le désir et la curiosité se cultivent partout.
Mais nous faisons avant tout des films pour qu’ils vous rencontrent en salles. Pour que vous les découvriez dans des conditions optimales d’image et de son, mais aussi et surtout parce que le cinéma est, par essence, un art qui se vit ensemble. Les films qui vont les premiers tenir l’affiche sont courageux. Dès cette semaine, leurs auteurs, producteurs et distributeurs font le pari de retrouver au plus vite leurs spectateurs, dans un contexte où chacun prend ses marques, a besoin d’être rassuré.
Les films les plus fragiles, les productions les plus touchées par la crise, et d’une façon plus générale les films français et européens, auront besoin d’espace pour exister. Au sortir de cette crise, la libéralisation des pratiques pourrait être une réaction de facilité. Nous devons au contraire faire le pari du public, celui de l’intelligence et de la curiosité, en assurant la diversité des œuvres proposées.
La fragilité de notre écosystème
En 2016, des accords ont été signés par la profession pour assurer la diffusion de toute la diversité du cinéma sur les écrans français, pour assurer surtout aux films les plus fragiles et les plus exigeants leur juste exposition et leur juste accès aux salles. Aujourd’hui comme hier, ces accords engagent exploitants et distributeurs.
Nous en appelons à leur responsabilité pour permettre à tous les films d’exister. Nous en appelons à la responsabilité du Centre national du cinéma (CNC) et des pouvoirs publics pour garantir cet équilibre, en assurant une régulation Indispensable au paysage culturel et à toute notre industrie.
La salle de cinéma est incontournable. C’est le seul et unique endroit ou le film trouve sa réelle dimension, esthétique et physique. Le seul où le spectateur l’expérimente pleinement et de la façon la plus vibrante. C’est aussi le lieu qui garantit son indépendance. Sans salle pas de distributeurs, sans distributeurs pas de producteurs indépendants, sans producteurs indépendants pas de cinéastes libres et moins de diversité. Sans la salle, le spectateur prolongera l’expérience du confinement, à savoir de la consommation de fiction en série ou de cinéma de patrimoine.
Fini le cinéma libre, indépendant et contemporain. Sans la salle, la seule source de financement devient le diffuseur et les films deviennent des commandes. Ces derniers mois nous ont rappelé la fragilité de notre écosystème, la nécessité de le soutenir, de le repenser. La nécessité d’un courage politique, d’un engagement fort de l’État pour notre cinéma et pour notre culture.
Tous en salles, et vive le cinéma !
La réouverture des salles est l’occasion de réaffirmer leur place dans ce monde d’après. Dans une société secouée par d’importantes prises de conscience, des mouvements dont l’ampleur montre la nécessité du changement. « Le cinéma ne dit pas autrement les choses, disait Éric Rohmer, il dit autre chose. » Il sublime les combats, les engagements, il fait un pas de côté. Il est un lieu de pensée et de liberté, une arme redoutable contre l’ignorance.
C’est pourquoi nous en appelons avant tout à la responsabilité de l’État pour mettre en place un plan de relance concerté et conséquent pour la culture. Nous ne comprenons pas que d’autres plans de relance, comme ceux pour les secteurs de l’automobile ou de l’aéronautique, aient pu être mis en place si rapidement, et que la culture attende toujours.
L’État doit soutenir au plus vite, et de façon très concrète, notre industrie cinématographique, et avec elle notre exception culturelle et son rayonnement au-delà de nos frontières. Prouvons cet impératif dès aujourd’hui et tous ensemble, en remplissant les salles obscures. Tous en salles, et vive le cinéma !»
Le conseil d’administration de la SRF : Bertrand Bonello, Catherine Corsini, Aude Léa Rapin, Héléna Klotz, Rebecca Zlotowski, Alexandre Lança, Maxence Voiseux, Marie Amachoukeli, Jacques Audiard, Lucie Borleteau, Guillaume Brac, Yann Gonzalez, Emmanuel Gras, Thomas Jenkoe, Vergine Keaton, Inès Loizillon, Katell Quillévéré, Axelle Ropert, Pierre Salvadori, Céline Sciamma, Justine Triet, Aurélien Vernhes-Lermusiaux.
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