Soutien du cinéma mondial à l’Ukraine

DONBASS de Sergei Loznitsa, Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2018, Un Certain Regard © Pyramide

Partout dans le monde, le secteur du cinéma manifeste sa solidarité avec les professionnels et les citoyens ukrainiens, y compris en Russie. Rares sont ceux qui boycottent directement les films et cinéastes russes.

[Mise à jour du 8 mars] Les salles européennes, notamment affiliées au réseau Europa Cinemas, sont mobilisées. Les plus proches des frontières de l’Ukraine très concrètement, à l’image du Kino Usmev de Kosice, qui se propose d’accueillir les personnes fuyant le pays, ou du Kino 60 krzeseł à Gorzów Wielkopolski en Pologne, qui propose des séances sous-titrées en ukrainien aux enfants. Les séances au profit d’associations ou des ayant-droits ukrainiens se multiplient aussi. En France, le Reflet Médicis à Paris, en partenariat avec Les Arcs Film Festival, le Festival La Rochelle Cinéma, Un Week-end à l’Est et Best Friend Forever, organisent une projection de Atlantis, du cinéaste ukrainien Valentyn Vasyanovych, le jeudi 10 mars à 19h20. Les recettes seront intégralement reversées à la Croix-Rouge. Une quinzaine d’autres salles en France projetteront aussi ce film inédit, primé à Venise et aux Arcs et « qui résonne étrangement avec la terrifiante actualité ». De son côté, le FID de Marseille propose une projection de Donbass de Sergei Loznitsa, le 13 mars en association avec le cinéma Le Gyptis.

[Mise à jour du 7 mars] L’European Film Academy, le Festival du documentaire d’Amsterdam (IDFA) et le Festival du film de Rotterdam (IFFR), réunis au sein de la Coalition internationale pour les cinéastes en danger, ont lancé le 7 mars un Fonds spécial d’urgence pour les cinéastes, pour soutenir les réalisateurs directement en danger en raison de la guerre en Ukraine, s’appliquant aussi « aux nombreux cinéastes russes et bélarussiens qui s’opposent ouvertement à la guerre ».

De leur côté, les Cinéastes de L’ARP, dont les pensées se dirigent « tout particulièrement vers [leurs] confrères ukrainiens », n’en n’oublient pas eux aussi leurs « confrères artistes russes, qui se battent pour la liberté d’expression et la défense de la démocratie dans leur pays » et s’opposent « à ce que soient sanctionnés, par la communauté internationale, ces hommes et ces femmes, aujourd’hui pris dans la tourmente de cet acte militaire indigne et barbare ».
Position partagée par les sections parallèles cannoises, la Quinzaine des Réalisateurs, la Semaine de la Critique et de l’ACID, qui s’associent au refus du Festival de Cannes de recevoir les délégations officielles et gouvernementales russes, mais déclarent qu’elles continueront « à recevoir et considérer les films de tous les cinéastes quelle que soit leur nationalité ».

En revanche, le Festival du film russe de Paris, qui devait avoir lieu dans quatre cinémas (au Balzac, Max Linder, Christine Cinéma Club et Studio 28) du 21 au 29 mars, a choisi de suspendre sa 8e édition, mais maintient sa séance d’ouverture le 21 mars. 

Depuis le le 25 février, les professionnels et institutions du cinéma mondial expriment en effet leur soutien à l’Ukraine face à l’invasion par la Russie, notamment après l’appel lancé par les cinéastes ukrainiens Oleh Sentsov, Valentyn Vasyanovych, Maryna Er Gorbach, Nataliia Vorozhbyt, Iryna Tsilyk et Nariman Aliev. Ils avaient appelé le public international à ne pas rester silencieux et demandé des actions pouvant aider leur pays à retrouver la paix.

Geste fort, le président de l’Association des propriétaires de cinéma de la Fédération de Russie a annoncé sa démission sur Facebook le 27 février. Oleg Berezin, qui est également à la tête de Neva Film et figure majeure de l’industrie mondiale, a en effet pris le risque personnel de condamner fermement l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Soulignant que son activité de président des exploitants le lie aux autorités étatiques de la Fédération de Russie, il estime en effet « impossible la réalisation des objectifs pour lesquels l’Association a été créée ».

Plusieurs majors américaines ont suspendu leurs sorties de films en Russie. Après Disney qui ne lancera pas le prochain Pixar, Alerte rouge, sur l’énorme marché russe, Warner a fait savoir qu’il ne sortirait pas The Batman de Matt Reeves ce 3 mars sur les écrans russes, tout comme Sony annulé la sortie de son Marvel Morbius prévue le 24 mars.

Du côté des exploitants européens, la Cicae et l’Afcae affichent leur solidarité sur les écrans, tandis que l’Unic, qui compte dans ses membres des exploitants russes et ukrainiens, condamne une attaque scandaleuse mais « note avec un immense respect les déclarations et positions prises par certains collègues russes en opposition à la guerre ».

En France, le Festival de Cannes a décidé « de ne pas accueillir de délégations officielles venues de Russie »,  mais n’en boycotte pas pour autant les œuvres, comme l’a souligné Thierry Frémaux sur France info : « Les films russes que nous montrons sont anti-Poutine. Les cinéastes, quand ils prennent la caméra, c’est souvent pour dire des vérités que le peuple russe ne connaît pas, en raison de la manipulation de l’opinion ». Même position pour le Festival d’animation d’Annecy, qui n’accueillera pas de délégations gouvernementales russes cette année, et « dont les pensées sont bien entendu aux côtés des artistes et professionnels ukrainiens » mais également « à leurs homologues russes qui osent s’opposer au régime et à l’agression militaire menée actuellement ». La Biennale de Venise a également publié un communiqué en ce sens le 2 mars.

On peut comprendre toutefois que les membres de l’Académie du cinéma ukrainien, eux, demandent dans une pétition le boycott de la cinématographie russe. Ils s’adressent notamment au Conseil de l’Europe pour exclure la Russie d’Eurimages et de la Convention européenne de coproduction cinématographique, et encouragent les festivals à ne pas sélectionner de films produits ou co-produits par la Fédération de Russie.

Se joignant à l’Académie ukrainienne du film, l’European Film Academy « condamne sans équivoque la guerre » et exclut les films russes de ses European Film Awards. Quelques jours auparavant, l’EFA avait eu des mots timides minimisant l’offensive militaire russe, suscitant la colère et la démission de Sergueï Loznitsa, le réalisateur de Maïdan et de Donbass, suivi par les 60 autres cinéastes ukrainiens.  

Et c’est le même Sergueï Loznitsa qui prend la défense de ses homologues russes. Dans un texte publié le 1er mars dans la presse internationale, il cite « de nombreux amis et collègues, cinéastes russes, qui se sont élevés contre cette guerre insensée. Lorsque j’entends, aujourd’hui, des appels visant à interdire les films russes, ce sont ces personnes qui me viennent à l’esprit, ce sont des gens bien, des gens dignes. Ils sont tout autant que nous les victimes de cette agression. Ce qui se déroule sous nos yeux en ce moment est affreux, mais je vous demande de ne pas sombrer dans la folie. Il ne faut pas juger les gens sur leurs passeports. On ne peut les juger que sur leurs actes. Un passeport n’est dû qu’au hasard de la naissance, alors qu’un acte est ce qu’accomplit lui-même l’être humain. »

DONBASS de Sergei Loznitsa, Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2018, Un Certain Regard © Pyramide

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