Cette année, le rendez-vous réunissant distributeurs et exploitants indépendants s’est renforcé d’une perspective incontournable : celle des producteurs. Tout en continuant d’imaginer de nouvelles pratiques, pour l’ensemble de la filière.
Production-exploitation : the missing connexion
La table ronde « Du développement à l’écran”, avec deux études de cas précis – Alice et le Maire de Nicolas Pariser et Le Théorème de Marguerite d’Anna Novion –, avait justement été pensée pour mettre en avant des points communs nombreux… et les points de rencontre bien trop rares entre les deux bouts de la filière. L’équipe d’Alice et le Maire, tourné à Lyon, n’a ainsi eu aucun lien avec les salles de la ville pendant ses prises de vues, du moins jusqu’à sa « belle tournée province, dont sa grosse avant-première lyonnaise », regrette son producteur Emmanuel Agneray. Malgré son sujet « audacieux » – les discussions politiques entre un maire dépressif et une jeune femme qui se cherche –, le film, sorti en octobre 2019 chez Bac Films, réunira 720 000 spectateurs. Carrière salle plus discrète pour Le Théorème de Marguerite, qui a juste dépassé les 150 000 billets depuis sa sortie le 1er novembre dernier, accompagnée par Pyramide. « Une date où le film devait être en concurrence avec Dune avant son report, puis avec Le Garçon et le Héron qui se positionne assez tard, mais prend rapidement le lead », note le producteur Gilles Sacuto, bien conscient d’avoir été, cette semaine de sortie, « le troisième choix de film d’auteur, et le sixième en nombre de copies ». Le producteur n’hésite donc pas à dénoncer « les stratégies de sortie procédant de l’éviction, alors que prendre les séances à la concurrence ne résout pas le problème de certains titres qui n’ont qu’une semaine pour faire leur carrière en salles. Et les camarades distributeurs qui achètent des films étrangers trop chers les sortent trop gros… au détriment de nos films. »
Ces stratégies de programmation, Stéphanie Jaunay, exploitante-programmatrice du TNB Cinéma de Rennes, les connaît bien, son établissement de 3 écrans partageant un périmètre de 1 km à peine avec les 5 salles de l’Arvor (programmé par Cinediffusion) et les 13 salles du Pathé. D’autant plus dans « un marché après-Covid qui a bougé. Avant, quand un film sortait dans les circuits, je savais qu’il n’était pas pour moi. Or aujourd’hui on voit de plus en plus de films programmés en tandem dans les différents types de salles, et c’est beaucoup moins évident de construire l’identité de son cinéma à travers ses choix de programmation », déplore l’exploitante.
Le lendemain de la table ronde, l’atelier Scare organisé dans le cadre du Café des indés a émis plusieurs propositions en vue de prolonger le lien et multiplier les collaborations entre exploitants et producteurs. Parmi les pistes, celles de mieux informer les exploitants sur les tournages en régions (voire d’organiser des visites pour lesquelles peuvent être sollicités les bureaux d’accueil des tournages), de créer plus en amont des contenus éditoriaux sur les films (hors pubs), de repenser l’organisation des tournées en y intégrant les techniciens (qui répondent à l’appétence, notamment du public jeune, envers les métiers du cinéma), de mettre en place des résidences d’écriture dans les salles, ou encore d’intégrer des exploitants dans des comités de sélection des aides.
De l’écolo-responsabilité à la Fête des cinémas de quartier
Parmi les cinq autres ateliers proposés dans le cadre du Café des indés du Sommet, celui instigué par le Dire s’est penché sur l’impact environnemental de la diffusion des œuvres, pour lequel un calculateur carbone est en cours de transposition. Et si l’idée est de s’appuyer autant sur la Fresque du Film que la Fresque du Numérique, c’est qu’il reste encore à déterminer ce qui pollue le plus entre « le tout physique et le tout numérique », notamment en matière de DCP ou d’affiches, ou d’événements multidiffusés par opposition aux tournées d’avant-premières salle par salle, se sont interrogés les rapporteurs Emmélie Grée (Ad Vitam) et Mathieu Guetta (CST). Parmi les actions concrètes proposées : le référencement précis des moyens d’affichage dans les cinémas (pour ajuster les envois des distributeurs) et la participation des exploitants au recensement d’entreprises locales vertueuses pour l’organisation des tournées (taxis verts, restaurants végétariens…). Pour pallier au flagrant besoin de formation et d’exposition des bonnes pratiques existantes et à venir, les questions énergétiques et d’impact carbone seront au programme du prochain rendez-vous du département distribution de la CST, le 20 mars 2024.
Que ce soit pour renforcer une tendance ou aller chercher un public pas encore convaincu, mieux connaître les spectateurs d’un film permet aux salles, entre autres, de mieux adapter les horaires des séances tout comme les bandes annonces proposées en avant séance.
Or l’atelier Cine Society et Vertigo a mis en avant certains écarts de perception entre le public “imaginé” et le public réel des titres. Ainsi, celui de Mon crime était plus mixte et moins fémininin que présupposé par les exploitants, et celui d’Anatomie d’une chute plus âgé que pressenti. Au-delà des informations spectateurs délivrées par les cartes d’abonnement et de fidélité, l’installation de bornes spéciales dans un échantillon de cinémas pourrait certes améliorer cette connaissance du public, mais nécessite la présence de personnel dédié… et risque d’être moins utilisé par le public senior.
L’Afcae a invité les participants de son atelier à imaginer de nouvelles actions clés-en-main, « pour tous les cinémas de tout le territoire, sans réinventer la roue mais en se servant de l’existant et en privilégiant le contact humain », ont résumé les rapporteurs Christine Dumand (de l’Association des cinémas du Centre) et Samia Brahimi (des Alchimistes). Outre l’idée de partager les initiatives locales via des webinaires ou une plateforme dédiée de l’Association, deux projets ont émergé, dans l’idée des avant-premières Coup de cœur : “Ciné Traversée”, qui proposerait une sélection de 4 films patrimoine à mettre en avant sur un mois et accompagnés d’une communication particulière (comme une playlist de musiques de l’année du film), et “Maman j’ai raté le ciné”, qui permettrait la reprise de 3 ou 4 films « qui ont fait peu d’entrées en salles, mais qui ont des qualités cinématographiques évidentes et qui se verraient ainsi offrir une seconde vie ».
Le GNCR poursuit l’idée d’une Fête du Cinéma indépendant se démarquant de la Fête du Cinéma originelle, d’une “Fête des cinémas de quartier” « qui nous correspond plus », ont indiqué les rapporteurs de l’atelier Sylvain Pichon (du Méliès de Saint-Étienne) et Lucie Commiot (Condor Distribution). Datée au 24 avril, soit en même temps que la Fête des libraires indépendants (mais éventuellement sur deux journées), elle pourrait bénéficier d’une communication nationale comme du relais des associations de spectateurs ou celui de talents partageant des vidéos où ils parlent de leur cinéma de quartier. Le tout en renouant avec le passeport des débuts de la Fête du Cinéma, soit le principe d’un prix symbolique après l’achat d’un premier ticket à plein tarif. « Sachant que les 5 euros de la Fête du Cinéma actuelle, c’est le prix moyen pratiqué dans nos salles », souligne Sylvain Pichon.
Calculer le succès d’un film : la voie de la moyenne par séance
« Au mk2 Quai de Seine en octobre dernier, Un prince de Pierre Creton a été déprogrammé au bout d’une semaine malgré le fait qu’il présentait la meilleure moyenne par séance des films à l’affiche », observe Zoé Regnard, chargée de programmation à l’Acid, instigatrice de l’atelier “Comment calculer le succès d’un film” au Café des indés. De son côté, Étienne Ollagnier note que « dans un classement par moyenne/séance, cette semaine [du 20 décembre 2023], c’est Les Colons, de Felipe Gálvez Haberle qui arriverait premier avec sa moyenne de 24 spectateurs par séance à Paris ». Cette mise en perspective est d’autant plus légitime que « la logique actuelle des négociations du lundi matin condamne d’avance les films qui ont moins de séances que les autres, bien qu’ils ne soient pas forcément les moins performants à la séance », déplore le co-gérant de Jour2Fête et coprésident du SDI.
La moyenne par séance comme outil d’évaluation du succès d’un film apparaît d’autant plus légitime à l’heure du bordereau à la séance, officiellement de rigueur depuis juillet 2023, mais pas disponible à temps pour servir d’argument de maintien à l’affiche pour les distributeurs – qui sont d’ailleurs très nombreux à ne pas savoir où se le procurer –, puisque les données ne remontent, au mieux, qu’à la fin de la semaine cinématographique. Ces chiffres, qui pourraient mettre en évidence des stratégies d’occupation d’espace de certains distributeurs, ne sont donc, pour l’heure, analysables “qu’après coup”.
Une des suggestions de l’atelier est que le CNC et le Médiateur du Cinéma publient dès lors un baromètre biannuel des moyennes par séance, par typologie de film. Un indicateur qui ne remplace pas l’évaluation du nombre d’entrées à la lumière du budget investi, et « ne doit faire perdre de vue le fait que le succès d’un film s’évalue aussi au regard de ce qu’il représente dans la carrière des cinéastes ou de leur producteur ». Néanmoins, il promet d’objectiver le succès des films « et de défendre l’action des cinémas à l’échelle des politiques culturelles territoriales », ajoute Pauline Chasserieau, directrice générale du Pôle régional image Acap.
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