Simone Lancelot, un bel exemple de carrière

Simone Lancelot dans les années 1950, dans une image d'archives de doculentaire Le Cinéma de maman (2012) de Martine Lancelot

Article paru dans la Côté Cinéma n°208 au 12 décembre 2012, par Jean Walker

Simone Lancelot est née le 27 février 1917. À l’âge de 11 ans, elle part pour Chennevières, près de Conflans-Sainte-Honorine, où ses parents tiennent une “épicerie-débit de vins-tabac-billards-salle-de bal” dans laquelle on rajoutera, plus tard, un appareil de projection pour y passer les premiers films muets.

La petite fille est marquée alors par les aventures d’Arsène Lupin à l’écran et par le film Les Frères du Silence. Avec son certificat d’études en poche, Simone décroche un emploi de secrétaire d’un ex-directeur de banque reconverti en directeur… de cinéma ! Son histoire d’amour avec le 7e Art est ainsi scellée. 

C’est en travaillant auprès de cet homme, Monsieur Carbona, qu’elle apprend les ficelles de l’exploitation dans le cinéma Montcalm, une salle de 500 fauteuils située dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Après la mort du directeur, en 1934, Simone cumule les responsabilités d’ouvreuse, de caissière, de secrétaire et de… programmatrice. Elle se souvient qu’à cette époque, pour promouvoir le cinéma, on proposait des « jeudis pour enfants » avec distribution de croissants et de tablettes de chocolat. Déjà les « ciné-goûters » !

Le cinéma appartient à des banquiers juifs et, la guerre arrivant, ceux-ci sont contraints de le vendre et Simone trouve un nouveau poste dans une salle située non loin de là, près du quartier de la Goutte d’Or, au cinéma Le Barbès Palace. Un arrondissement bien cinéphile puisqu’il accueille, à proximité, les prestigieuses salles du Louxor et du Gaumont Palace. Pendant l’occupation, Simone a besoin, comme tous les gens qui travaillent tard dans les cinémas, d’un « ausweis » pour circuler. Mais malgré (ou à cause ?) de la guerre, les salles sont pleines et Simone se rappelle de files d’attente qui font parfois plus de 500 mètres !

Au sortir du conflit mondial, elle travaille au Ciné Vox puis au Studio de l’Étoile dont le responsable quitte peu après la direction pour partir en Amérique en laissant les clefs à Simone. Entre temps, celle-ci s’est mariée et a donné naissance à une petite Martine qui deviendra plus tard… cinéaste, bon sang ne saurait mentir. 

C’est à la même période, tandis que le Studio programme des opéras filmés, des œuvres soviétiques ou des films d’animation tchèques, que l’Association de la Critique, dont un des fers de lance est Jeander du journal Libération, commence à réfléchir au concept de l’art et essai et cherche des sites pour y programmer des films d’auteurs qui sortent de l’ordinaire. C’est ainsi que le Studio de l’Etoile accueille le « Cinéma d’Essai ». Une association créée en 1950 et qui deviendra plus tard l’Afcae, l’Association française des cinémas d’art et d’essai.

Au milieu des années 50, la guilde allemande des cinémas d’art invite des professionnels français à son congrès de Wiesbaden. Simone Lancelot fait partie du voyage ainsi que Jeander, Jean de Baroncelli du Monde et quelques autres exploitants passionnés. De cette rencontre naît la Cicae (Confédération internationale des cinémas d’art et essai) et les statuts de l’Afcae sont posés en 1955. Au départ, seuls cinq sites en font partie : Les Ursulines (Armand Tallier), Les Agriculteurs (Line Peillon), le Studio Parnasse (Jean-Louis Chéray), Le Cardinet (Evelyne Cauhépé) et le Studio de l’Étoile (Jeander et Simone Lancelot). L’année suivante, ces derniers programment Nuit et Brouillard de Resnais en exclusivité, qui restera à l’affiche plus de trois mois. 

Aujourd’hui, l’Afcae représente plus de 2 000 salles et Simone Lancelot en est toujours membre d’honneur. Du haut de ses 80 années de carrière (!) dédiées au cinéma, les souvenirs de Simone liés au 7e Art sont évidemment nombreux. Parmi eux, on peut citer

les moments forts du Festival de Cannes comme la fameuse édition de 1968 qui a vu la « révolte » des représentants de la Nouvelle Vague, la programmation au Studio de l’Etoile de La Reine Christine avec Chabrol, Resnais et Truffaut qui venaient prendre des notes sur la mise en scène du film, ou encore, le jour où Roberto Rossellini et Ingrid Bergman sont venus présenter La Voix Humaine et Le Miracle où jouait Anna Magnani.

Si l’histoire de Simone Lancelot est étroitement liée à l’exploitation et à des salles telles que le Scarlett, l’Atlas, l’Eldorado, le Jean Renoir, le Ciné 2000, le Marais (aujourd’hui le Latina) ou l’incontournable Studio de l’Etoile, sa vie est aussi jalonnée de films restés dans les mémoires comme Citizen Kane, La Chatte sur un toit brûlant, La Nuit du chasseur, la découverte des films de la Nouvelle Vague, puis ceux de Raoul Ruiz, de Fassbinder, Wenders, Helma Sanders-Brahms, Philippe Garrel et de tant d’autres.

Si ce court portrait a pu donner à certains l’envie d’en savoir plus sur cette amoureuse du cinéma dont le parcours est passionnant à plus d’un titre, ils peuvent visionner le film que sa fille Martine a réalisé sur elle (intitulé Le Cinéma de Maman) ou traîner du côté du stand de l’Afcae à Cannes l’année prochaine. Il se pourrait bien que Simone Lancelot ne soit pas très loin pour assister à son… 66e festival !

Jean Walker

Simone Lancelot dans les années 1950, dans une image d'archives de doculentaire Le Cinéma de maman (2012) de Martine Lancelot

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