SFTC : La profession inquiète

Le 29 mars avait lieu la 109e assemblée générale du Syndicat Français des Théâtres Cinématographiques au Grand Palace de Saumur (Maine-et-Loire), fief familial de Philippe Levy, au cours de laquelle ont été vivement discutés la chronologie de médias, l’après-VPF et la réforme de l’Art et Essai en présence du CNC. Une réunion qui faisait figure de bilan six mois après le Congrès de Deauville.

En préambule, la lecture des rapports financier et moral par Anne-Claire Brunet et Marie-Laure Couderc fait état des bons résultats de la fréquentation de 2017 et de ce début d’année, portée notamment par des comédies populaires qui attirent entre 4 et 5 millions de spectateurs dans les salles. Sur les trois derniers mois, deux films ont déjà dépassé ce seuil : La Ch’tite famille de Dany Boon (5,1 millions d’entrées) et Les Tuche 3 d’Olivier Baroux (5,7 millions d’entrées). Pour François Thirriot, directeur du Syndicat, ces résultats montrent l’efficacité de l’entreprise de modernisation des établissements, en cachant toutefois une réalité : “Le nombre de salles et de séances a augmenté. Ainsi, au vu du gros travail des exploitants en matière d’investissements (modernisation, ouvertures), et de l’augmentation du nombre de projections, ce résultat s’avère légèrement décevant.” Un constat partagé par le président de la FNCF Richard Patry : “Nous soutenons notre propre fréquentation. Avec 1,2 milliard d’euros investis dans les salles depuis dix ans, nous pourrions espérer des retours plus importants.” François Thirriot souligne quant à lui la timidité du prix moyen, toujours en dessous de l’inflation depuis trente ans : “La principale cause est la concurrence que nous nous faisons, ainsi que la réaction du public, assez viscérale, qui rechigne de plus en plus à payer des suppléments.

Chronologie des médias : au milieu des négociations

Alors qu’il vient tout juste de recevoir la nouvelle mouture de la proposition de consensus, Richard Patry fait part de ses toutes premières réactions concernant les nouvelles propositions. “C’est un sujet de frustration permanente. Nous sommes en première fenêtre, donc quoiqu’il arrive, nous ne pouvons rien gagner. Notre objectif est de ne pas reculer sur les fondamentaux.” Le principal allié de l’exploitation se révèle être Canal+ : “Ils ont compris que maintenir la fenêtre salle était aussi dans leur intérêt.” En revanche, le président de la Fédération se dit beaucoup plus inquiet pour la fenêtre propre à Canal+, qui réclame cette fois 7 mois contre 10 aujourd’hui, en échange du dégel des droits de la fenêtre VOD : “C’est inacceptable. La fenêtre VOD serait compressée avec seulement 3 mois d’exclusivité avant le passage sur Canal+. Nous n’accepterons pas en dessous de 8 mois”. Un texte final sera proposé pour être validé par les différentes parties après les derniers retours attendus le 9 avril et encore inconnus au moment du bouclage. Plusieurs scénarios sont alors envisageables : “La décision de signer ou non sera prise par le conseil fédéral. En espérant que les négociations nous soient favorables, se pose tout de même la question de ce qu’il se passera si nous décidons de ne pas signer si nous ne sommes pas satisfaits. Si nous signons un accord, nous aurons tout de même une certaine sécurité juridique. Si nous ne signons pas, il n’y aura pas de nouvel accord et celui qui est en place continuera d’exister.

La définition juridique de la vertu dont devront faire preuve les opérateurs de VOD par abonnement est pour l’instant floue, notamment pour Canal+ qui ne s’aligne pas : “Canal+ met tout de même 140 millions d’euros dans le cinéma français tous les ans. Nous leur sommes intimement liés. En tant que premier diffuseur, nous donnons de la valeur à un film qui se répercute ensuite.” En d’autres termes, faire vivre le film en salle est l’assurance d’une carrière sur les autres plateformes de visionnement.

L’après-VPF

Pour sa première participation à la tribune du SFTC, Éric Busidan, chef de la mission de la diffusion au CNC, a pu directement appréhender les inquiétudes des exploitants et du président de la FNCF. L’étude de l’inspection générale des finances et des affaires culturelles présentée au dernier Congrès des exploitants continue aujourd’hui d’échauffer les esprits, la situation n’ayant évolué depuis et la promesse de la mise en place d’un observatoire n’ayant pas été tenue. François Thirriot se veut alarmiste : “La période est plutôt bonne mais certaines  salles souffrent, il suffirait de peu pour que beaucoup plus de salles aillent plus mal. Observer c’est bien, agir c’est mieux. La fin du VPF c’est maintenant, beaucoup de salles en sont sorties, et l’inquiétude est réelle. On a perdu trop de temps.

Dans la salle, les réactions sont virulentes au discours d’Éric Busidan, qui semble indiquer que le CNC n’est pas encore dans une phase d’action et qu’un observatoire, annoncé au dernier Congrès, sera mis en place en avril afin de mesurer les besoins en financement de la petite et moyenne exploitation. Pour la moyenne exploitation, Cédric Aubry intervient : “On en a parlé au mois de septembre, pourquoi rien n’a été fait dès le 1er octobre ? Depuis 2009, tout un pan de l’exploitation est incapable de se financer. Quelles sont les réponses économiques au problème ?” La petite exploitation, représentée par Francis Fourneau, a quant à elle annoncé que tant que leurs revendications ne seraient pas écoutées et qu’une réponse à la hauteur des enjeux ne leur serait apportée, le groupe ne se réunirait plus et réfléchirait la veille du Congrès à quelles actions mener lors des rencontres avec les pouvoirs publics. “La petite exploitation est dans un état épouvantable. Qu’est-ce qu’on vous a fait au CNC, franchement, pour que rien n’ait bougé d’un poil depuis octobre ?”, s’indigne Marc Dingreville, du Cinéma Espace Ermitage de Domont. Pour Richard Patry, les distributeurs sont aussi concernés : “Le travail sur l’IPN avait commencé à être entendu par certains distributeurs, mais depuis le rapport rendu public à Deauville, l’après-VPF n’est plus un sujet pour eux. Aucun ne veut plus en parler. La profession doit rester solidaire, sinon ce sera au détriment du film et de toute la filière” Et Richard Patry de rappeler la dimension régulatrice du VPF : “La diversité est clef de la réussite du modèle français.

Réforme de l’Art et Essai

Si l’urgence n’est, de l’aveu de Richard Patry, pas la même, la réforme de l’Art et Essai risque d’apporter des complications aux exploitants. “Cette année, le problème que nous avons est que les avis de la commission dépassent le budget alloué. Or, c’est au CNC d’arbitrer cette question.” Si ce n’est donc pas un sujet majeur d’inquiétude cette année, la Fédération prévoit pour l’année prochaine un nouveau classement avec des modifications substantielles : notamment la suppression de l’étape de la commission nationale ; les salles seront classées en commission régionale avec possibilité d’appel. “L’étape nationale saute, ce qui veut dire que nous devons êtres particulièrement attentifs à la composition des commissions régionales.” L’ensemble des intégrateurs de billetterie vont effectuer des mises à jour qui permettront d’ici fin avril un traitement de l’Art et Essai plus facile ; en juin, les catégories C devront avoir programmé 20 % d’Art et Essai et les catégories D et E 15 %. Avec la réforme se pose un “vrai souci d’équité” pour Richard Patry. À investissement égal et diffusion égale, une différence de subvention allant du simple au quintuple peut se faire jour : “Il est totalement inéquitable de dire que si un établissement passe 150 films classés au cours de 1 000 séances, 2 000 euros de subvention lui seront alloués, alors que si ce même établissement passe 50 films classés sur 70 séances, il obtiendra beaucoup plus de subventions.” Le spectateur gagne à avoir une offre supérieure en Art et Essai, couplée à une offre généraliste : “Dans un même cinéma, c’est formidable de permettre des passerelles et des mixités”, ajoute Jean-Fabrice Reynaud. Philippe Levy témoigne de son exemple à Saumur, qui est passé de 6 à 9 salles avec l’ouverture du Grand Palace : “J’effectue un travail de fourmi sur l’animation et l’Art et Essai, nous sommes classés depuis 25 ans et c’est une vraie reconnaissance de notre travail. Avec les changements de seuils, je dois augmenter mes séances de 50 % et passer de 15 % à 20 % de séances A&E ; je vais probablement perdre ce classement en proposant plus de films et de séances. Il ne s’agit pas de la subvention mais bien de la reconnaissance de mon travail.” Et François Thirriot d’appuyer : “Je suis dans le même cas que toi, c’est difficile d’être classé pour une salle généraliste. Si on me dit demain que je ne suis plus digne d’avoir ce classement Art et Essai, qui est une fierté pour moi aujourd’hui, cela aura une incidence sur mes choix de programmation. Nous partons sur une pente savonneuse et cela risque de se terminer très mal. Les perdants seront les spectateurs et les distributeurs”.

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