Rencontres nationales art et essai répertoire 2025 – Le renouveau perpétuel 

Le coordinateur Arnaud Kerneur (Afcae), le responsable Eric Miot (Plan Séquence, Arras) et la responsable adjointe Sabine Putorti (Institut de l'image, Aix-en-Provence), au centre de la photo, entourés de tous les membres de leur groupe Répertoire © Afcae

Du Moulin Rouge de John Huston à la Doom Generation de Gregg Araki, en passant par les intenses sessions d’échanges, le temps fort du calendrier du groupe Répertoire de l’Afcae a une nouvelle fois prouvé que le cinéma du passé se conjugue au présent.

Cette année, les adhérents de l’Afcae étaient réunis du 26 au 28 mars aux Montreurs d’images d’Agen. Tout un symbole pour l’association gestionnaire du cinéma qui, dans le même mois, aura fêté ses 30 ans et inauguré la troisième salle de son établissement né en 2013, « sous l’auspice du patrimoine, et sans lequel il ne serait probablement pas ce qu’il est devenu aujourd’hui », estime son président Thierry Salvalaio.

Saluant de son côté un cinéma « exemplaire, convivial et équilibré au niveau du marché » – tout comme les efforts de la Ville et du Département pour le soutenir –, Guillaume Bachy a rappelé que cette année, de mai 2025 à mai 2026, « nous fêterons aussi les 70 ans de notre mouvement art et essai ». Un moment d’autant plus important pour le président de l’Afcae, qu’à un an des élections municipales et à deux des présidentielles, « nous entendons de plus en plus un discours de délégitimisation du champ culturel, qui serait trop soutenu, pas assez ouvert, trop élitiste… Il est temps d’ouvrir le débat sans peur, sans sectarisme, pour reconstruire une vraie politique culturelle à l’échelle nationale ».

À lire aussi | Entretien avec Eric Miot et Sabine Putorti – « Considérer une séance patrimoine non pas comme une case, mais comme un film »

Le débat était aussi des plus ouverts en interne pour le groupe Répertoire, qui a mis à profit ces journées pour mener des réflexions en groupes (dont un exclusivement dédié aux distributeurs), en vue de faire évoluer ses propositions. 15 films et 4 rétrospectives ont été soutenus en 2024, le tout avec 6 labels “Classiques”, 4 “Perles rares”, 4 “Cultes” et un sans label. « Et avec le souci de trouver un certain équilibre entre les dates et les pays de production, de refléter la diversité des films, mais aussi des salles », a précisé le responsable répertoire Eric Miot. Mais au bilan du forum, il apparaît que ces labels ne sont pas particulièrement bien identifiés côté exploitants, et perçus comme compliqués ou hiérarchisant les films côté distributeurs. Parmi les outils mis à disposition pour les films soutenus, les adhérents ont souligné l’importance de « beaux objets de communication » (comme les cartes postales gardées par le public) et soufflé l’idée de s’inspirer du travail du comité 15/25 ans pour concevoir des pastilles et éléments à destination des réseaux sociaux. Le webinaire annuel consacré à une œuvre (celui de 2024 a permis à Georges Mourier de partager son travail de restauration sur Napoléon vu par Abel Gance) est considéré comme un bon outil, tandis que les Rencontres annuelles sont, tout simplement, plébiscitées. Notamment pour la variété des villes où elles se déroulent (et non plus à Paris un an sur deux), toujours sous le signe de la cinéphilie et de la discussion : il y a des formules que l’on ne change pas !

Les invités d’honneur de ces 24es Rencontres Répertoire ont déroulé, en compagnie de Stéphane Libs (directeur des cinémas Star de Strasbourg et membre du groupe Répertoire), le récit de leur construction cinéphilique. Un parcours débuté avec le cinéma amateur de leur grand-père, « et en ayant peur des acteurs », qui s’est clôturé sur leur fierté d’avoir obtenu un tout premier César pour… l’interprétation de Karim Leklou dans Le Roman de Jim. Pour la suite, les frères cinéastes planchent sur une nouvelle adaptation de l’écrivain Pierric Bailly, et la promesse d’y apporter une grosse touche de Larrieu. © Afcae

Comment regarder les films d’hier avec les yeux d’aujourd’hui ?

Dans une actualité régulièrement polémique, comme celle autour du Dernier Tango à Paris à la Cinémathèque française ou le procès de Gérard Depardieu, nombreux sont les exploitants, programmateurs et médiateurs à s’interroger sur la manière dont les œuvres du passé résonnent dans notre présent. « C’est pourquoi nous avons voulu décaler notre regard, de manière à mieux comprendre ce qui se joue dans nos discussions, et parfois nos désaccords en interne », a expliqué Sabine Putorti, responsable adjointe du groupe Répertoire, en préambule de la table ronde des Rencontres. 

Comme énoncé par Natacha Laurent, de l’Université Toulouse Jean-Jaurès – notamment spécialiste du cinéma soviétique et de propagande –, le film n’est pas « un objet suspendu hors sol et hors du temps, mais prend son sens avec le public qui le reçoit, dans des contextes historiques et sociaux différents ». La Grande Illusion de Jean Renoir en est une parfaite illustration : sa version originale de 1937 a été modifiée en 1945, de manière à effacer la romance finale entre le héros Jean Gabin et la comédienne allemande Dita Parlo, devenue inacceptable dans l’après-guerre. 

De gauche à droite sur scène : la responsable adjointe du groupe Répertoire Sabine Putorti (directrice de l’Institut de l’image à Aix-en-Provence) animant la table-ronde de cette année, avec Clémentine Charlemaine (productrice et déléguée générale de Cinéma pour tous, membre du CA du Collectif 50/50), Charlotte Garson (rédactrice en chef adjointe des Cahiers du cinéma) et Natacha Laurent (maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Toulouse Jean-Jaurès © Afcae

Pour Charlotte Garson, rédactrice en chef adjointe des Cahiers du Cinéma, cette contextualisation est l’affaire des historiens, tandis que le critique entretient, avant tout, « un rapport intime avec l’œuvre ; il engage sa subjectivité et doit être perméable à la réception de la salle, en créant les conditions pour que quelque chose de nouveau advienne, à chaque fois, dans l’échange ». 

Le Collectif 50/50, représenté à Agen par Clémentine Charlemaine, productrice et déléguée générale de Cinéma pour tous, poursuit de son côté la réflexion sur « les rapports de domination sur lesquels se base l’histoire du cinéma », comme le mettent encore régulièrement en lumière les auditions de la commission d’enquête contre les VHSS à l’Assemblée nationale. « Nous devons prendre en compte les révolutions morales en cours. Aujourd’hui, je ne réagirais plus de la même manière à À nos amours de Pialat que quand je l’avais découvert au lycée. Il est important de réfléchir sur les conditions dans lesquelles les films ont été fabriqués, parfois dans une violence banalisée. » Ce qui implique de « remettre en cause des chefs-d’œuvre », tout comme le « surplomb d’autorité » qui les établit. 

Groupe de forum, entre membres de l’Afcae et distributeurs spécialisés © Afcae

Les figures problématiques de Hitchcock, Blier, Polanski… : les sujets d’interrogation, de débats et – éventuellement – d’autocensure ne manquent pas dans le domaine du patrimoine, et a fortiori au moment de la sélection des soutiens du groupe Répertoire. « Ses représentations de la domination, de la guerre… : on peut poser toutes les questions à un film ancien. En revanche, il ne faut pas chercher à apporter des réponses d’aujourd’hui à un film d’hier », prévient Natacha Laurent, en soulignant que l’éducation au cinéma relève, aussi, d’une éducation à « l’étrangeté du passé ». D’autant plus que, comme l’indique Charlotte Garson, « tout choc pour le public n’est pas un traumatisme ». Ces interrogations peuvent aussi donner l’occasion de repenser le patrimoine cinématographique et abattre les murs d’un « panthéon » intouchable, pour partir à la découverte des œuvres oubliées ou jamais remarquées de l’histoire du cinéma. Et pour celles qui suscitent la controverse, « pourquoi n’aurait-on pas le droit de dire à la fois qu’on les aime, et ce qu’on sait aujourd’hui de leur auteur ou de leur contexte de tournage ? », assume Charlotte Garson. Mais la critique se défend de figer les films dans une grille d’interprétation, comme de s’ériger « directrice de conscience », préconisant, pour « détendre » les éventuelles tensions et défiances, d’établir des dialogues avec… d’autres films. Et si Natacha Laurent met en avant l’importance, pour éviter toute frustration du public, d’un espace pour « accueillir l’émotion, on ne peut – et d’ailleurs on ne doit pas – tout accompagner. Parfois, le spectateur peut avoir envie d’être seul avec l’œuvre ».

Article paru dans le Boxoffice Pro n°489 du 2 avril 2025.

Un répertoire de poids
En 2024, 443 salles sur les 1 292 classés, soit plus du tiers du parc art et essai, étaient labellisées Répertoire. Une part susceptible d’évoluer à la hausse avec la réforme de l’art et essai, que l’Afcae suit de près.
Pour rappel, sur l’année écoulée, les films répertoire ont représenté – dispositifs scolaires compris – 30 % des films proposés en salles et 4 millions d’entrées. Soit 2,4 % de la fréquentation annuelle, pour 1,5 % des séances, et une moyenne de 36 entrées par séance.

Comett, courts-métrages et territoire(s)
À Agen, les Rencontres Répertoire ont accueilli une présentation de la plateforme pédagogique conçue par Espace Productions 47, le bureau d’accueil de tournages du Lot-et-Garonne. L’initiative entend concilier éducation au cinéma et valorisation des courts métrages tournés en Nouvelle-Aquitaine, « mais se développe désormais bien au-delà », a indiqué le directeur de la structure, Hervé Bonnet, en citant les 62 courts tournés dans 10 départements qui composent actuellement son catalogue. Accompagnées de fiches pédagogiques et d’interviews d’équipes, les oeuvres présentées sont identifiables via des thématiques, mais aussi une carte de leurs lieux de tournage : « Bien plus qu’un gadget, cette carte est un outil indispensable pour montrer aux jeunes qu’il se passe des choses sur leur territoire rural, et décentrer leur point de vue à travers à travers le regard qu’y posent portent les réalisateurs et les réalisatrices. »

Le coordinateur Arnaud Kerneur (Afcae), le responsable Eric Miot (Plan Séquence, Arras) et la responsable adjointe Sabine Putorti (Institut de l'image, Aix-en-Provence), au centre de la photo, entourés de tous les membres de leur groupe Répertoire © Afcae

Les News