Rencontres de L’ARP : le tour des débats avec Pierre Jolivet

Le rendez-vous 2020 des cinéastes de L’ARP, qui devait déménager de Dijon au Touquet cette année, se tient finalement en ligne du 5 au 6 novembre. La régulation des plateformes sera au centre des débats et avec elle, l’avenir du cinéma français et européen. Tour d’horizon avec le président de l’ARP, le cinéaste Pierre Jolivet.

Concernant la relance immédiate du secteur, êtes-vous satisfait des mesures annoncées par Roselyne Bachelot à l’issue du premier confinement ?
Heureusement, nous sommes un vrai pays de culture et de cinéma et nous avons été entendus : c’est un un coup de main vital qui a été donné aux salles. Roselyne Bachelot est une personnalité passionnée, qui par ailleurs a porté haut et fort la parole des cinéastes. Sur les mesures de soutien en faveur de la production, le CNC joue pleinement son rôle mais nous sommes très inquiets pour l’avenir : le système est véritablement abîmé, il va falloir remplir les caisses et pour cela, que les salles fonctionnent à plein régime. 
Ce qui est réconfortant, c’est de voir à quel point le public a su se réorganiser lors du couvre-feu et venir au cinéma deux heures plus tôt. Notre parc de salles est incroyablement solide et attractif et nous avons des spectateurs qui sont là !

Qu’attendez-vous sur le plus long terme, qui sera au cœur des débats des Rencontres de l’ARP ?
C’est une année particulière : celle de la régulation des plateformes. Nous attendons patiemment le décret SMAD [le texte est en consultation jusqu’au 10 novembre], qui doit être voté à la fin de l’année : sera-t-il assez pertinent pour ne pas déséquilibrer les partenaires historiques ? Pour faire réellement entrer les plateformes dans le cercle vertueux du financement du cinéma, à savoir le cinéma en salles ? Le décret doit fixer à quelle hauteur les plateformes doivent contribuer à la création : le projet indique entre 20 et 25 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France, ce qui me semble le minimum pour ne pas déstabiliser les partenaires historiques comme Canal+ ou Orange. Le taux précis sera défini par le CSA. Mais nous ne connaissons pas les ambitions de ces nouveaux entrants : joueront-ils le jeu en entrant dans un partenariat actif et positif avec le cinéma français, ou se contenteront-ils du minimum qu’il leur est imposé, en finançant juste quelques œuvres par an ?

Pensez-vous que ces nouveaux financeurs auront une influence sur la façon de faire les films ?
Certes, nous ne pourrons pas leur imposer de choix éditorial, mais la défense de la diversité, qui est au centre de nos préoccupations, est au cœur de ce décret : il faut une part réservée à la production indépendante et une part de pré-achat. Tout l’enjeu aujourd’hui est de faire participer ces plateformes mondiales à notre modèle qui a fait ses preuves : en France, près de 40 % des entrées en salles se font sur des films nationaux ou européens, ce qui est unique dans le monde occidental. On voit que la diversité plaît aux spectateurs ; la bataille que nous menons n’est pas une lubie d’intégristes du cinéma d’auteur !
Je ne sais pas si nous ferons exactement les mêmes films pour les plateformes, mais elles devront respecter le droit moral du réalisateur sur son œuvre. Est-ce que la concurrence avec les plateformes françaises et européennes va les encourager à produire des films auxquels elles-mêmes ne pensaient pas ? Si elles n’investissent pas dans des œuvres audacieuses et originales, d’autres les feront à leur place. On peut espérer que la libre concurrence des choix et des sujets permettra à la diversité de s’exprimer. 

Le présidant Pierre Jolivet aux Rencontres de L’ARP 2019 © Clara Dumont

Ces changements vont entraîner une révision de la chronologie des médias : peut-il y avoir des divergences à ce sujet entre diffuseurs et créateurs, entre salles et cinéastes ?
Dans les négociations autour de ce décret, toutes les forces et organisations du cinéma sont ensemble, réunies au sein d’une task force. Il est évident que si une plateforme est vertueuse, sa fenêtre doit être alignée sur celle de Canal, Orange ou Ciné Plus. Ce sont ces changements qui seront inclus dans le décret, et que nous pourrons peut-être aménager par la suite au terme d’accords interprofessionnels. Mais la question de la fenêtre salle ne se pose même pas : quand on parle de financer un film de cinéma, c’est un film qui sort en salle, qui respecte et protège l’exclusivité de quatre mois. 

Face à cette crise qui frappe tout le secteur, sentez-vous une solidarité renforcée entre les différents acteurs ?
Beaucoup plus forte ! Et c’est revigorant. Le premier confinement nous a montré à quel point les plateformes gagnent de l’argent et qu’il fallait agir vite : nous n’avions jamais réussi à réunir tout le monde autour d’une table sur ce sujet et à parler d’une seule voix. De même nous sommes tous montés au créneau ensemble pour soutenir l’exploitation. Face au danger, la profession est capable de se fédérer et d’être cohérente. Plus largement, les citoyens européens ont découvert combien la souveraineté sanitaire, mais aussi industrielle et culturelle étaient importantes. Et cette prise de conscience nous aide dans notre combat politique.

Au-delà des politiques nationales, quel rôle peut jouer l’Europe  ? 
L’Europe a d’abord un rôle juridique pour ouvrir la voie et soutenir les lois nationales. Thierry Breton (commissaire européen au marché intérieur) participera à nos échanges : la façon dont il définit par exemple les règles du jeu avec les GAFAN est un socle juridique et politique pour les réformes entreprises pays par pays. 

On ne se souvient pas toujours que le concept d’exception culturelle, aujourd’hui inscrit dans la charte de l’UNESCO, a été lancé par les cinéastes de l’ARP…
C’est en effet une idée qui est née au sein de nos réunions, il y a 30 ans, quand les accords du GATT approchaient : comment faire pour que le cinéma et la culture en général, qui est l’essence même d’une nation, ne soient pas considérés comme des pommes de terre ou des voitures dans les accords commerciaux ? À l’époque la France était très seule : Mitterrand et Balladur ont eu un immense courage politique, en sacrifiant une partie du commerce maritime pour réussir à imposer cette règle aux États-Unis. Il faut aujourd’hui un courage politique comparable pour réguler les plateformes. 

Le programme des Rencontres et les intervenants à retrouver ici.

Tous les débats seront retransmis en direct sur le site des Rencontres.

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