Rencontre avec Rebecca Fons : « Je me vois comme une modeste anthropologue »

Depuis le Ciné 104 de Pantin, Rebecca Fons s’est livrée à une discussion croisée sur son métier d’exploitante du Gene Siskel Film Center et de l’Iowa Theater. © Brian Ravaux

La directrice et programmatrice de deux cinémas art et essai aux États-Unis a partagé son expérience lors des Journées professionnelles de l’association Cinémas 93, tenues en mars dernier.

Si Chicago peut se targuer d’abriter des cinémas arthouse, là où plusieurs villes américaines en sont dépourvues, il demeure stupéfiant qu’une métropole qui compte trois millions d’habitants n’en dispose que d’une infime poignée. Une stupéfaction qui s’estompe à mesure que l’on découvre l’écosystème économique étasunien, où le financement des salles art et essai indépendantes relève majoritairement de donations privées. « Il y a extrêmement peu de fonds publics, à l’exception des subventions émanant du National Endowment for the Arts, un organisme fédéral chargé d’aider les artistes et les institutions culturelles du pays. La gestion d’un cinéma, particulièrement coûteuse, compte donc essentiellement sur des mécénats, des fondations privées et des sponsors », complète Rebecca Fons, directrice et programmatrice du Gene Siskel Film Center, l’un des rares cinémas art et essai de la capitale des gratte-ciel.

À lire aussi | États-Unis : l’art et essai se régénère dans l’union

Huit ans en tant que responsable de la programmation scolaire du Festival international du film de Chicago l’ont menée sur les terres de l’exploitation en 2021 ; elle devient alors directrice artistique du Gene Siskel, avant de reprendre et rénover l’Iowa Theater, un ancien mono-écran de Winterset, sa ville natale dans l’agglomération de Des Moines – à l’instar de John Wayne.

Trouver l’équilibre

À la tête de ces deux sites, indépendants mais soumis à des réalités différentes, Rebecca Fons œuvre comme « une modeste anthropologue qui se soucie de son public, avant même le cinéma ». À Chicago, les projections s’articulent autour de films du monde entier et de répertoire, « qui vont titiller un public urbain plus averti », tandis qu’à Winterset, ville rurale d’un peu plus de 5 000 habitants, la programmation est davantage “mainstream”. « Cela ne veut pas dire que les gens y sont moins cultivés ou que des films exigeants ne les intéressent pas, mais il faut y aller petit à petit. Nous projetons des classiques avec John Wayne ou Barbie de Greta Gerwig, mais également des films étrangers, une fois par mois dans le cadre du Sunday Movie Club. De plus, chaque film que nous diffusons est suivi d’un débat. »

Le mono-écran accède aux titres généralement trois semaines après leurs sorties nationales, contraignant ainsi le cinéma à diversifier ses usages : « Notre cinéma n’est pas à but lucratif, mais il faut tout de même assurer les frais de gestion et rémunérer les huit salariés, d’autant plus avec un budget de seulement 100 000 $, dont 15 000 $ de subventions. Nous avons, par exemple, un écran rétractable, qui nous permet d’accueillir des spectacles et des événements, notamment à Noël », relate Rebecca Fons. Dans son offre tarifaire, l’Iowa Theater propose également un abonnement de 60 $ par an, « qui a séduit près de 80 personnes en 2022, un vrai succès ». 

Si le pop-corn est gratuit à Winterset, la vente de confiserie au Gene Siskel Film Center de Chicago y est elle essentielle : « Il faut un million de dollars pour assurer la bonne gestion du cinéma, or nous avons maximum 200 000 $ de subventions par an dans les bonnes années, ce qui est déjà exceptionnel. L’alimentation représente donc une part importante de nos recettes à côté de la billetterie », détaille la directrice. Autant d’éléments qui rendent incontournable la conciliation d’une programmation « excitante » avec une compréhension intime des différents publics. À titre d’exemple, le cinéma chicagoan table sur des initiatives programmatiques singulières tels que le cycle Settle in, qui propose des films d’une durée minimale de neuf heures, ou le Black Harvest Film Festival, dont la sélection est articulée autour des œuvres de réalisateurs noirs : « Notre but est d’amener tout le monde au cinéma », conclut-elle.

L’American arthouse, secteur de niche ou de masse ?
En l’absence d’une classification et de données fédérales officielles, difficile de quantifier avec exactitude le nombre de cinémas et d’entrées que représente l’art et essai aux États-Unis. Toutefois, on peut noter que le réseau Art House Convergence, qui a débuté en 2006 avec 14 cinémas indépendants réunis dans le cadre du Sundance Institute, représente aujourd’hui environ 2 000 membres en Amérique du Nord (parmi lesquels figurent aussi des réalisateurs, journalistes, distributeurs, plateformes…) et déclare « servir » annuellement plus de 30 millions de spectateurs.

Depuis le Ciné 104 de Pantin, Rebecca Fons s’est livrée à une discussion croisée sur son métier d’exploitante du Gene Siskel Film Center et de l’Iowa Theater. © Brian Ravaux

Les News