Rencontre avec la Médiatrice du Cinéma

Laurence Franceschini, à Cannes en 2017 © Isabelle Negre

À l’occasion de la publication de son rapport 2018, où la question de l’accès aux films reste centrale, la Médiatrice Laurence Franceschini évoque l’ensemble de ses missions, qui, au-delà de la fonction de conciliation, participe à la régulation du secteur, depuis la CDACi en passant par les engagements de programmation.

Au cours de l’année 2018, 68 recours en médiation ont été formalisées, soit 21 de moins qu’en 2017. Quel bilan en tirez-vous ?

Le nombre de saisines peut varier légèrement d’année en année – après un pic entre 2009 et 2012, puis en 2017, il est revenu au niveau du début des années 2000 – mais ne reflète pas toute l’activité de la médiation, dont la centaine d’interventions informelles qui ont permis de trouver des solutions. Ce qui est très intéressant en revanche, c’est le renouvellement des demandeurs: 26 d’entre eux n’avaient jamais eu recours à la médiation, qui n’est donc pas réservée à des “abonnés”.

Environ trois-quart des recours viennent de la moyenne exploitation – principalement de salles Art et Essai – et un quart de la petite exploitation. Cette proportion s’explique-t-elle par votre recommandation sur les mono écrans ?

Il est certain que cette recommandation a réglé beaucoup de problèmes dans la négociation avec les distributeurs et peut expliquer en effet de moindres sollicitations de la part des petites exploitations par rapport à 2017. La recommandation sur les 2-3 écrans a aussi joué son rôle, mais elle est perfectible. Je suis en train d’auditionner des salles par le biais d’un questionnaire afin de faire évoluer le texte, que je mettrai ensuite en consultation. Pour qu’elles soient efficaces, ces recommandations doivent être partagées avec la profession. Et j’en suis très contente: ma conception n’est pas de faire de la médiation au cas par cas, mais d’en tirer des enseignements pour la régulation du secteur.

Certains exploitants souhaiteraient voir ce type de recommandation élargi aux 4 et 5 écrans, sur lesquels se déplacent les exigences de plein programme. Qu’en pensez-vous ?

À l’occasion du travail que nous menons sur celle pour les 2-3 écrans, on peut imaginer de compléter avec une graduation qui permette “d’armer” ces petits établissements dans les négociations avec les distributeurs. J’y suis tout à fait ouverte, notamment face au nombre très important de films à exploiter. Mais c’est un travail subtil à mener: il ne faut pas non plus que toutes les salles fassent de la multiprogrammation, ce qui peut perdre le spectateur.

À propos d’enseignements à tirer, que faut-il retenir des cas emblématiques du Grand Bain (10 demandes de médiation) et de Green Book (6 demandes), pour lequel la recommandation Art et Essai a priori ne semble pas avoir joué son rôle ?

Je suis très favorable à la recommandation a priori des films Art et Essai, bien que dans le cas de Green Book, elle soit arrivée trop tard par rapport à l’élaboration du plan de sortie du distributeur: se basant sur la sortie “grand public” du film aux États-Unis, il n’avait pas imaginé que le film serait recommandé. Par ailleurs, ce cas a montré que le délai entre la demande d’injonction, qui doit être envoyé par courrier recommandé, et la réponse du distributeur était trop long par rapport à la date de sortie du film. Nous souhaitons donc que ce délai soit raccourci.

Pour Green Book, nous avons malgré tout obtenu la sortie nationale dans les cinémas Art et Essai emblématiques de Nancy et Strasbourg, et pour les autres grandes villes, le fait que la VO ne sorte pas avant que les salles Art et Essai aient une copie. Finalement, je pense que tout le monde s’y est retrouvé: les Oscars ont été décernés au moment où le film démarrait dans les salles Art et Essai, où il a le mieux marché. Les chiffres, mais aussi les bilans de médiation que je pratique ont montré clairement que les exploitants Art et Essai avaient mieux identifié le film que son distributeur.

C’est différent pour Le Grand Bain, qui n’était pas recommandé Art et Essai. Le plan de sortie du distributeur, calqué sur celui du Sens de la fête, privilégiait les circuits. La médiation a permis d’obtenir des sorties nationales au cas par cas, ou des 3e semaines quand Studiocanal proposait la 5e. Ce n’est pas totalement satisfaisant, mais le film est finalement sorti sur près de 700 copies. Pour que la médiation soit crédible, nous devons toujours trouver ce point d’équilibre entre exploitants et distributeurs. De même que nous devons à la fois permettre aux salles Art et Essai d’offrir ce genre de film porteur, ce qui est légitime et vital pour elles, sans qu’elles participent pour autant à l’homogénéisation de la programmation. C’est un travail assez fin, mais passionnant !

Les demandes portant sur le placement d’un film Art et Essai proviennent à 30% de distributeurs. Est-ce un signe de la surabondance de l’offre ?

On observe en effet, avec le nombre de films et de nouvelles sociétés de distribution, l’augmentation du nombre de saisines de la part de petits distributeurs, mais aussi de distributeurs indépendants “historiques”, au passé brillant et catalogues prestigieux, qui ont eu beaucoup de difficultés d’accès aux salles cette année.

Les engagements de programmation ont été mis en place en 2017; peut-on déjà en tirer des conclusions ?

C’est sur la session 2019-2021 que l’on pourra tirer des leçons sur ces engagements, que le Médiateur n’est pas chargé de contrôler mais sur lesquels il peut émettre un avis. Ils sont utiles dans le cadre d’une médiation pour appuyer une demande et représentent par ailleurs un enjeu vital pour les “petits films” de moins de 80 copies, que les circuits et ententes s’engagent à exploiter. Enfin, ces engagements de programmation sont capitaux au niveau des CDACi: ils permettent d’éviter, à la racine, la focalisation sur les mêmes œuvres dans une même zone géographique.

Depuis 2001, le Médiateur du cinéma peut faire appel en CNACi contre les décisions des CDACi. Sur les 53 dossiers instruits cette année et les 46 projets autorisés, vous avez formé un seul recours. Pensez-vous que votre rôle au sein des CDACi pourrait être renforcé ?

Le Médiateur intervient après la décision de la CDACi. Cela pourrait en effet être intéressant de donner son avis dès le début d’une commission, mais l’arme du recours et le fait d’être entendue par la commission nationale permet déjà d’enrayer des erreurs manifestes d’appréciation. Et si nous n’avons formé qu’un seul recours en 2018 – mais déjà deux depuis le début de cette année –, c’est que nous les utilisons à bon escient, seulement sur des cas qui créent un déséquilibre flagrant.

Parmi les réflexions en cours pour 2019, vous évoquez dans votre rapport les problématiques liées aux ores “premium” s’appuyant sur de nouvelles technologies : la multiplication des avant-premières et l’apparition de nouveaux labels.

Bien que ces technologies participent de la promotion et du renouveau de l’expérience en salles, vitale pour la filière, les avant-premières massives, parfois sur le week-end, peuvent créer les mêmes effets perturbateurs sur le marché que les sorties anticipées. C’est pourquoi des précisions à apporter à la recommandation de 2017 sur la sortie anticipée d’un film sont en cours d’étude. Quant à l’attribution de certains labels par les circuits, abordée plusieurs fois devant le Médiateur car pouvant aussi fausser la concurrence, une recommandation est en cours de rédaction: octroyer un label ne signifie pas avoir l’exclusivité du film.

De façon générale, pensez-vous que les exploitants connaissent suffisamment le rôle et les recommandations de la Médiation ?

Il faut effectivement faire plus de pédagogie. Le Médiateur du cinéma existe depuis la loi de 1982 mais on constate que ses compétences et les procédures sont parfois ignorées. J’interviens le plus possible dans les organisations et réunions professionnelles, et j’ai changé la présentation du rapport d’activité cette année, en commençant par détailler le rôle du Médiateur.

Laurence Franceschini, à Cannes en 2017 © Isabelle Negre

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