Quelles hypothèses de redémarrage après la crise sanitaire ?

Un mois après le début du confinement, les principaux représentants des exploitants, distributeurs et producteurs étaient invités par Comscore et Le film français à évoquer les différentes pistes de travail pour une reprise dont le scénario reste encore assez flou.

Intervenants : Richard Patry (président de la FNCF), François Aymé (président de l’AFCAE), Olivier Snanoudj (président adjoint de la FNEF, président du SFAC), David Grumbach (président de Bac Films, membre du DIRE), Étienne Ollagnier (président du SDI), Gilles Sacuto (président du SPI), Frédéric Brillion (président de l’UPC) et Didier Huck (président de la FICAM).

Lundi 13 avril, Emmanuel Macron annonçait le début d’un déconfinement le 11 mai, précisant que les cinémas devraient de leur côté garder portes closes encore quelques temps. « Un nouveau coup derrière la tête pour les salles », assène Richard Patry, président de la FNCF. « Nous avons pris conscience que la période de fermeture allait durer plus que ce chacun de nous imaginait. C’est pourquoi il apparaît plus nécessaire que jamais que les mesures mises en place aillent plus loin, comme nous l’avons demandé au ministre Bruno Le Maire ».

Malgré « la crainte d’une seconde vague », comme l’observe François Aymé, les représentants de l’exploitation s’accordent pour une réouverture vers la mi-juillet. La reprise sera une période cruciale vis-à-vis du public, qui aura besoin d’être rassuré. « Si les mesures barrières qui concerneront les salles sont similaires à celles du reste de la société, les spectateurs n’auront pas de problème à venir. Mais l’inverse rendra la reprise très compliquée pour les cinémas », note Richard Patry. S’agissant des restrictions, les présidents de la FNCF et de l’AFCAE préconisent une limitation à un fauteuil sur deux.

La perspective de la mi-juillet peut permettre aux distributeurs de repositionner leurs films déprogrammés, bien que subsistent quelques réserves : « Un déconfinement par région, obligeant, par exemple, les salles d’Île-de-France à rester fermées, ou par tranche d’âge, avec des personnes âgées devant rester chez elles, ne sera pas propice à une sortie optimale de nos films », explique Olivier Snanoudj. « Il semble donc important que nous fassions des recommandations aux pouvoirs publics sur les conditions les plus appropriées. » Pour David Grumbach, les nouvelles sorties dépendront des aides : « Il faut que les fonds de soutien et les aides sélectives puissent être majorées pour nous inciter à programmer nos films à la réouverture, avec le risque de faire peu d’entrées, et ne pas attendre l’automne ». Étienne Ollagnier approuve : « Si nous avons des moyens pour limiter la casse, nous sortirons les films car les salles ont besoin de nous, et la reprise du marché passera pas les distributeurs français. »

Reprogrammer les films certes, mais lesquels ? Si pour Richard Patry, « il est de notre devoir d’accompagner les films qui étaient à l’affiche lors de la fermeture », François Aymé souhaite que les salles aient également « accès aux nouveautés, sinon cela aura un effet dissuasif immédiat ». Si certaines « locomotives », à l’instar de Tenet ou Mulan, sont toujours prévues fin juillet, le cinéma français devrait avoir ses chances. Et ce, tout en sachant que la programmation sera sans doute impactée, avec un nombre de séances réduit. Olivier Snanoudj alerte cependant sur « le vrai pari de programmer cet été. J’entends que les petites salles vont avoir besoin des films porteurs et qu’il faudra de la souplesse sur le nombre de séances. Il ne faudra pas toutefois nous faire des demandes qui ne soient pas viables pour nos films alors que le marché ne sera pas à 100 %. » 

La production demande des garanties

Côté production, où environ 80 films en tournage ou en post-production ont été impactés, « une charte des bonnes conduites est en cours d’élaboration », annonce Gilles Sacuto, président du SPI. Si la priorité reste la reprise complète des tournages, Didier Huck, président de la FICAM, évoque la mise en place d’un plan pour fluidifier la chaîne, « notamment au niveau du matériel, pour la reprise mais aussi pour le reste de l’année, où il risque d’y avoir des phases d’encombrement ». Les représentants des producteurs demandent également la tenue de comités de financement afin que des tournages puissent démarrer. Ils souhaitent par ailleurs que le chômage partiel et le report des charges se prolongent jusqu’à la fin de l’année.

La reprise reste toutefois tributaire de la question des assurances. Frédéric Billion, président de l’UPC, pointe « un gros problème structurant. Certains tournages ne pourront reprendre et de nouveaux commencer si les assurances ne suivent pas. Il est essentiel de créer un fonds de garantie qui puisse couvrir les tournages des films qui alimenteront les salles en 2021. » Il pointe aussi le risque d’une seconde vague, celle de la crise économique : « Il faut dès aujourd’hui anticiper la baisse du chiffre d’affaires des chaînes TV. C’est pourquoi il nous paraît primordial de dissocier la transposition de la directive SMA du reste de la réforme de l’audiovisuel, dont on ne connaît pas le nouveau calendrier. Le confinement a porté les plateformes à un très haut niveau et il faut un levier pour les forcer à investir. La transposition doit donc se faire en urgence. » Pour Gilles Sacuto, cette future taxe « doit alimenter le cinéma français et non les projets des plateformes pour leur profit. Sinon ce sera un détournement de cette aide qui n’est pas encore mise en place. » 

Cette interruption des tournages peut-elle entraîner une carence de films français dans les mois à venir ? Frédéric Billion positive : « Il y aura un étalement du calendrier des sorties. Nous avons un stock de films importants qui ne sont pas encore sortis. » Didier Huck explique pour sa part que « la post-production sera le premier segment à reprendre afin d’achever les projets en cours, 90 % des post-productions étant pour l’heure arrêtées ». 

Enfin, le Festival de Cannes, qui a été au centre des discussions la semaine passée, reste essentiel pour la valorisation du cinéma d’auteur et pour l’économie des acteurs du secteur. Si plusieurs ébauches de format sont à l’étude, David Grumbach assure que la profession « poussera toujours pour une sélection Cannes 2020, qui permettra ensuite de rythmer les sorties ». Étienne Ollagnier ajoute : « Tout ce qui permettra de créer de la visibilité pour nos films nous sera bénéfique, car ce sont des œuvres qui sortiront entre l’automne et le printemps prochain. » Y associer les salles serait un signal positif, comme le souhaite Richard Patry. Et François Aymé d’annoncer que les traditionnelles Journées AFCAE ne seront pas annulées, mais décalées durant l’été : « Il y aura assurément un soutien à une sélection de films art et essai. » Une “sélection” que tout le monde attend, plus que jamais…