Présidentielle 2022 : la directive SMA, la chronologie des médias et la vidéo vues par les candidats à l’élection

© Illustration de Philippe Cosqueric pour Boxoffice Pro et AlloCiné.

Pour AlloCiné et Boxoffice Pro, les candidates et candidats à l’élection présidentielle 2022 partagent leur vision et perspectives sur différentes questions liées au secteur du cinéma.

AlloCiné & Boxoffice Pro, avec la collaboration de Camille Marigaux, journaliste Culture, Politique et International à France Culture et RFI, donnent la parole aux douze candidats et candidates à l’élection présidentielle 2022. Le même questionnaire a été soumis à toutes les personnes en lice dans la course à l’Elysée. Les réponses d’Emmanuel Macron, en troisième position selon le tirage au sort du Conseil Constitutionnel, ne nous sont pas parvenues dans les temps.

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Le grand chantier du quinquennat était la transposition de la directive SMA pour intégrer les plateformes dans notre écosystème, avec comme dernier rouage l’adoption d’une nouvelle chronologie des médias. Dans ce nouvel écosystème, quels sont vos points de vigilance ? Que faut-il déjà modifier ou renforcer ? 

Nathalie Arthaud : Toutes ces directives, qu’elles soient nouvelles ou anciennes, prétendent discipliner la concurrence qui règne dans le marché de la production, commercialisation et diffusion des films et séries. Cette nouvelle chronologie des médias n’empêchera pas que ces sociétés, ces grands médias, distributeurs, plateformes de diffusion, soient dirigés par quelques grands groupes capitalistes.

Fabien Roussel : La transposition de la directive SMA devait être effectuée par le vote du projet de loi « relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique », qui n’a pu être mené à son terme du fait de la crise sanitaire. L’ordonnance à laquelle il est fait allusion tente d’y pallier, notamment en mettant en place un nouveau régime applicable aux plateformes de partage, ainsi qu’une nouvelle chronologie des médias. Il est trop tôt pour en tirer des conclusions définitives, mais on peut déjà noter un allègement considérable des délais de mise à disposition du public au profit des plateformes (passage de 36 mois à 15 ou 17 mois). Les chaînes gratuites ont aussi vu le délai ramené de 30 mois à 22 mois. Il n’est pas sûr du tout que les nouvelles obligations de financement de la création soient une contrepartie suffisante à ce raccourcissement des délais. Il est même probable qu’elles induisent un effet pervers pour la création cinématographique nationale, en la rendant encore plus dépendante du bon vouloir desdites plateformes, Netflix en tête (cf question suivante). 

Jean Lassalle : Il est important de vivre avec son temps et de répondre aux attentes des téléspectateurs. L’ouverture aux plateformes étrangères et la collaboration internationale peuvent être bénéfiques pour notre secteur de l’audiovisuel. Néanmoins je pense qu’il est impératif de le protéger autant que possible. Dans le contexte d’une diminution des moyens des chaînes classiques, le relais que pourrait prendre la SVOD pour financer les programmes français est attendu par les producteurs français mais leurs craintes sont également légitimes. Il faut donner la priorité à notre production nationale, aux acteurs français de ce secteur et privilégier des œuvres françaises. Aussi, la dernière réforme de l’audiovisuel ne va pas assez loin pour le faire et le taux du chiffre d’affaires à investir en France par ces plateformes étrangères devrait être bien de 25%, comme cela a été réclamé par les producteurs français. Je serai très vigilant à ce que les règles européennes de la directive SMA, transposées en droit français, répondent bien à nos attentes et à nos capacités. 

Marine Le Pen : Il y a du bon et du moins bon dans l’adoption de cette directive SMA, par exemple l’accroissement des prérogatives de l’ARCOM. Si cette dernière a une mission de protection des mineurs face à certains contenus, ses régulations sont parfois « inéquitables ». Le fonctionnement de cet organe est en effet soumis à l’impartialité humaine. Or il faut plus que jamais être attentif à la préservation d’une liberté d’expression trop souvent menacée. En ce qui concerne la chronologie des médias, l’évolution des usages impliquait un changement nécessaire des réglementations. Baisser le délai des plateformes en fonction du financement qu’elles apportent au cinéma français est une bonne façon de les faire participer à la production culturelle nationale. Il faut tout de même rester vigilant à ce que les 20% de chiffre d’affaires que les Services médias à la demande (SMAD) doivent consacrer à la production d’œuvre soient principalement utilisés pour les œuvres françaises plutôt qu’européennes. 
De plus, si l’importance des contributions financières au cinéma français offrent à Netflix des droits avantageux sur ses concurrents américains, l’argent ne doit pas non plus mettre tout le monde au même niveau. Les productions françaises doivent garder malgré tout un avantage. Dans la figuration actuelle, les chaînes TV françaises ont un délai de 22 mois après la sortie au cinéma pour le diffuser sur leur plateforme tandis que Netflix n’a qu’un délai de 15 mois. C’est presque la moitié. Bien qu’elles gardent une exclusivité jusqu’au 36e mois, le délai reste abusivement long. Il faut donc envisager de réduire ce temps pour les chaînes TV.
Enfin, les SMAD d’outre-Atlantique participent à cette influence culturelle américaine qui acculture et uniformise les peuples. Ces plateformes, Netflix en particulier, sont souvent accusées de promouvoir par leurs productions la nouvelle idéologie américaine qu’est le wokisme. Des millions de Français et d’Européens, souvent les jeunes, sont soumis à cette influence cachée dans des films et séries. Il faudra être vigilant à ce que la cohésion nationale ne soit pas fragilisée par ce soft power agressif.

Eric Zemmour : A ce sujet, j’ai deux priorités : défendre le cinéma français et le libérer du politiquement correct. Je suis très inquiet quand je vois que l’on supprime des plateformes pour enfants certains grands classiques de chez Disney pour « diffusion de discours racistes », comme Dumbo ou Les Aristochats. Et comment est-on arrivé à censurer ce chef-d’œuvre qu’est Autant en emporte le vent ? Libérer le cinéma de l’influence woke et protéger nos œuvres de la cancel culture est ma priorité dans ce domaine. S’agissant de la chronologie des médias, obliger les plateformes de streaming étrangères à participer au financement des films français qu’elles diffusent me semble être une très bonne chose, à condition que cela ne conduise pas à fermer nos salles de cinéma.

Jean-Luc Mélenchon : Il ne fait aucun doute que la croissance rapide des services de médias audiovisuels à la demande a bouleversé l’écosystème du cinéma français. Ces dynamiques ont été renforcées par la crise sanitaire. Pendant la fermeture des salles de cinéma, les plateformes états-uniennes ont vu leurs nombres d’utilisateurs augmenter. À chaque grand bouleversement, l’État français a légiféré afin de garder l’exception culturelle si précieuse à la création. Il y a eu la création du CNC après la seconde Guerre Mondiale, la Loi Léotard en 1986 sur l’audiovisuel français à la suite de l’arrivée de Canal+. Aujourd’hui, si de nouvelles réglementations sont nécessaires, les réponses apportées ne semblent pas aller dans le sens d’une véritable politique culturelle de soutien aux auteurs et la création. À chacune de ces étapes de l’histoire du cinéma citée précédemment, c’est bien l’action d’un État stratège garant de la diversité et de l’émancipation collective qui a permis le développement de la singularité de l’industrie cinématographique française – et qui a par ailleurs contribué au développement du cinéma de nos voisins. Comme lors de la création du CNC, c’est avec l’optique d’un protectionnisme solidaire vertueux pour l’ensemble du secteur que nous mettrons en place notre politique pour le cinéma. Ne soyons pas dupes sur l’objectif de ces plateformes qui prônent la consommation excessive quelque soit le contenu. Nous ne pouvons laisser des entreprises ayant comme concurrent principal notre sommeil, comme le disait le patron de Netflix, donner le La dans l’audiovisuel. Tout d’abord, nous portons un point de vigilance particulier sur le système de rémunération des auteurs qui ne leur permet pas de vivre de manière décente actuellement avec ce type de diffusion. Dans une tribune publiée le 30 novembre, la Société des Réalisateurs Français pointait qu’un préachat par Netflix permettait à un créateur de vivre entre trois jours et deux semaines au SMIC contre dix-huit mois pour un préachat Canal. Il est important de rééquilibrer les contrats avec ces plateformes pour améliorer la rémunération des créateurs.rices et de mettre en place des nouvelles règles de répartition basées sur la solidarité. En ce qui concerne la diversité des œuvres, ces plateformes nous semblent aussi nuisibles avec des contenus formatés par des algorithmes. Afin de limiter leur impact néfaste pour la création et les usagers, nous obligerons les plateformes de streaming à rendre leurs algorithmes publics et à permettre à toutes et tous de changer les paramètres de préférences de contenus. Les choix éditoriaux devront également respecter des règles de diversité afin que les contenus les plus fragiles ne soient pas invisibilisés. Enfin, nous mettrons la salle de cinéma, lieu d’échange, de partage et de découverte essentiel au cœur de ces négociations et de l’ensemble de notre action.

Anne Hidalgo : Le nouvel écosystème ne doit pas être considéré comme un acquis ; d’ailleurs, deux plateformes ont, pour l’heure, refusé d’entrer dans cet écosystème, ce qui démontre sa fragilité. Il est mouvant et la clause de revoyure prévue dans un an sera d’autant plus importante. En conséquence, notre vigilance doit être totale et permanente. Deux priorités m’animent. Premièrement, intégrer l’ensemble des plateformes à cet écosystème et créer un système juste et vertueux où elles investissent dans la création cinématographique et audiovisuelle française et européenne proportionnellement à leurs bénéfices. Deuxièmement, il est essentiel de porter une ambition plus forte en faveur de la diversité de la création française, en fléchant des investissements plus massifs en direction de la production indépendante, des documentaristes et des jeunes artistes-auteurs qui ont beaucoup souffert de la crise sanitaire. Je considère l’accord sur la chronologie des médias comme une première pierre à l’édifice. Nous devrons également conforter les moyens dédiés à l’autorité régulatrice.

Yannick Jadot : Avec la directive SMA, on a la preuve que l’Union européenne, dès lors qu’elle fait preuve de volonté politique, dispose d’un véritable pouvoir de régulation des marchés. Il était temps d’imposer un cadre et une régulation aux plateformes internationales qui menaçaient les industries audiovisuelles, fortement créatrices de valeur en France. L’audiovisuel en France, c’est plus de valeur ajoutée que l’industrie automobile. Il faudra évidemment être vigilant sur le respect des nouvelles obligations faites aux plateformes. La transparence vis-à-vis des auteurs et des ayants droits – sur le nombre de vues, les recettes – doit être garantie. Second point de vigilance : s’assurer qu’avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs, l’industrie du cinéma ne devienne pas régie par les diffuseurs au détriment de la création. Le troisième risque serait que l’arrivée de ces nouveaux acteurs entraîne une concentration des diffuseurs – on le constate déjà avec le projet de fusion M6/TF1 – c’est pourquoi nous abaisserons les seuils de concentration des médias. Enfin, Il conviendra de veiller au respect du droit d’auteur par les plateformes et à la protection des producteurs indépendants, maillon essentiel au développement du secteur. D’une manière générale, les écologistes mettront au centre du système de régulation les accords interprofessionnels. 

Valérie Pécresse : La transposition de la directive européenne et la nouvelle chronologie des médias vont conduire à un accroissement substantiel des investissements dans la production audiovisuelle et cinématographique en France. Les évaluations sont de l’ordre de 400 millions d’euros annuels à brève échéance, soit l’équivalent des montants investis par France Télévisions chaque année. Ce dont il faut se réjouir, à plusieurs conditions néanmoins. D’abord, il convient de s’assurer que la nouvelle chronologie des médias, notamment à 6 mois après la sortie en salles pour Canal+, ne détourne pas encore un peu plus le public des salles de cinéma, alors que nous sommes au cœur d’une crise de la fréquentation. Ensuite, il faut que non seulement les investissements obligatoires des services de SVOD soient respectés, alors que les dispositions du décret sont considérées comme complexes, mais qu’ils ne détournent pas de l’exploitation en salles des projets ambitieux, privant un peu plus le public de l’envie d’aller au cinéma. Enfin, ce montant d’investissements supplémentaires ne doit pas être synonyme d’une pression inflationniste sur les talents (acteurs, réalisateurs mais aussi producteurs, voire chef-opérateurs ou monteurs), créant un effet d’éviction au détriment des acteurs traditionnels et notamment des chaînes de télévision. Or les exemples venus d’outre-Atlantique et les premiers effets du décret SMAD sur le territoire national sont source d’inquiétude, avec notamment des contrats pour des montants pharaoniques d’exclusivité passés, notamment par Netflix et Amazon, avec des acteurs, réalisateurs ou show-runners. 

Philippe Poutou : Il y a deux pièges à éviter avec la directive SMA. D’abord le concept de licence globale défendue par la Commission européenne. Aujourd’hui, les œuvres circulent parce qu’elles sont exploitées en exclusivité par des entreprises qui en acquièrent les droits pour un territoire national. L’idée que les films devraient être disponibles tout le temps partout revient à détruire l’écosystème audiovisuel. Ensuite, il y a la question cruciale de la chronologie des médias en France. C’est le principe inscrit dans la loi qui sanctuarise la salle de cinéma comme lieu privilégié de diffusion du cinéma. Il est évidemment nécessaire de protéger ce système. Néanmoins, avec les plateformes, il est sérieusement contourné puisque les entreprises massivement américaines ne sont pas soumises aux réglementations nationales (rappelons au passage que Netflix et Amazon ne payent presque pas d’impôt société en France). Le problème majeur avec la chronologie, c’est qu’elle protège les films les plus commerciaux, c’est-à-dire que les réseaux de cinéma refusent de programmer des films, et dans le même temps s’opposent à ce qu’ils soient vu ailleurs. Cette double peine est intolérable. Il faut apporter de la flexibilité et autoriser certains longs métrages à être exploités en VOD et SVOD dans les 2 mois suivants la sortie salle. Il suffirait de mettre des critères de nombre d’entrées et de copies maximum.

Nicolas Dupont-Aignan : La modification des usages et des comportements vis-à-vis des médias audiovisuels et l’apparition de nouveaux acteurs rendaient nécessaire la modernisation de la directive européenne SMA. Pour autant, je reste particulièrement attaché au principe de l’exception culturelle française, qui permet de protéger nos créations, et je resterai particulièrement vigilant quant aux nouveaux délais avant l’arrivée d’une œuvre sur une plateforme : les salles de cinéma restent, comme l’a très bien dit Richard Patry (Président de la FNCF) : « le lieu où une œuvre audiovisuelle devient un film » et il est absolument nécessaire de les protéger et de les préserver. 

La nouvelle chronologie des médias a fortement réduit la place du support physique vidéo, pourtant nécessaire à la préservation des œuvres : quelles mesures pour protéger une filière primordiale à la protection du patrimoine cinématographique ?

Nathalie Arthaud : Je suis pour que le maximum soit fait pour préserver les œuvres quelles qu’elles soient. Maintenant se pose la question du coût et de qui finance. Étant donnés les profits générés par ce secteur, je pense que c’est aux grands groupes capitalistes d’assurer la charge financière de cette préservation.

Fabien Roussel : Je ne suis pas sûr que ces deux questions soient mécaniquement liées… La préservation physique du patrimoine cinématographique passe par tous les supports existants ou à venir. Mais c’est avant tout un problème de service public, dont la solution passe par la préservation et le renforcement des outils publics existants, Archives du film, Cinémathèque, INA, Bibliothèque nationale, etc. 

Jean Lassalle : Les acteurs français de ce secteur doivent pouvoir participer pleinement au débat et aux négociations pour imposer leurs solutions. Nous devons investir plus dans la promotion du support physique vidéo.

Marine Le Pen : Outre les enjeux économiques (l’exploitation des droits vidéos physique pesait près de 400 millions d’euros en 2019) un film peut être vu et revu – ce qui n’est pas toujours possible sur les plateformes dû aux changements réguliers des catalogues ou à la location à l’unité -, exposé dans une bibliothèque pour prêter à la discussion, passer de foyer en foyer. Les éditeurs vidéo permettent un travail de valorisation du film après la salle par les bonus, ce qui lui donne un nouveau souffle. Par ailleurs un DVD peut s’offrir, c’est comme ça que le patrimoine se transmet. Enfin le support physique permet de limiter les inégalités dues à l’accès à internet et à son utilisation, et de contrer le risque de relégation de films moins populaires par les algorithmes des plateformes. Durable, le support physique assure également la pérennité de l’œuvre bien après sa sortie en salle, parfois même des décennies. Cela dit, je ne pense pas que ce soit la chronologie des médias qui a réduit la place du support physique. Nous observons la même tendance dans l’industrie de la musique par exemple. Ce sont tout simplement les nouvelles méthodes de visionnage des cinéphiles, et l’Etat n’a pas forcément vocation à aller à l’encontre de toutes les évolutions de consommation. Pour préserver le secteur physique, nous pouvons imaginer une politique similaire à celle du livre par exemple, où la TVA passerait de 20 % à 5,5 %, incitant ainsi les Français à continuer d’acquérir du support physique. En outre, nous pourrons également nous interroger sur la possibilité pour les plateformes diffusant des films français de soutenir le marché du physique, ou baisser la taxe de 5,15 % sur la vente des DVD par le CNC.

Eric Zemmour : Si le numérique prend toujours plus de place dans nos vies, il ne remplacera jamais l’objet physique que l’on peut posséder, auquel on s’attache et que l’on transmet un jour à ses enfants. La preuve en est avec la musique : on pensait le disque mort et puis le vinyle est revenu en force ces dernières années, presque comme un objet d’art. Croyez bien que, contrairement à beaucoup de candidats, j’ai un attachement inestimable à notre patrimoine culturel et que je ferai tout pour le protéger. 

Jean-Luc Mélenchon : La dématérialisation a ses avantages, elle permet une large circulation des œuvres. Aujourd’hui il est possible de livrer en quelques heures un DCP à un cinéma partout dans le monde moyennant une bonne connexion internet. Il ne faut pas pour autant délaisser les filières d’éditions de support physique. L’industrie de l’édition vidéo (DVD et BluRay) participe au rayonnement culturel de la France par sa diversité et sa richesse cinéphile. Sérieusement impacté par la crise sanitaire, il faut maintenir l’accompagnement à ce secteur dans les années à venir et permettre les initiatives qui offrent la possibilité à ce secteur de se renouveler en touchant de nouveaux publics. Par son histoire, la France a un savoir-faire technique précieux. Si l’arrivée du numérique a eu ses avantages comme mentionné plus haut, il est important de continuer à former des techniciens maîtrisant la technique de la pellicule qui reste un support physique pérenne pour la conservation de notre patrimoine cinématographique. Nous encourageons également les restaurations de films anciens afin de valoriser et rendre accessible la richesse de notre histoire cinématographique et la multiplicité des talents qui l’ont façonnée

Anne Hidalgo : Je sais l’inquiétude des acteurs de la filière mais aussi l’attachement des cinéphiles à l’édition physique, objet de collection qui se possède, se garde et peut se transmettre. Je considère le support physique comme essentiel et complémentaire au dématérialisé. Dans cette phase de transition le secteur doit faire l’objet d’un accompagnement particulier dans le cadre du plan de relance. 

Yannick Jadot : Il est évident que dans la nouvelle chronologie, le secteur de la vidéo a été pris en tenaille entre la fenêtre de la salle inchangée, car protégée par la loi, et les fenêtres des diffuseurs télévisuels qui ont été avancés de deux mois. Comme évoqué précédemment, le raccourcissement de la fenêtre salle à trois mois par exemple, pourrait permettre de rétablir l’équilibre, avec trois mois pour chaque fenêtre. 

Valérie Pécresse : Le désir de possession du support physique vidéo d’une œuvre cinématographique disparaît chez les consommateurs presqu’aussi vite qu’ont disparu les enseignes de location de cassettes VHS puis de DVD. Nombre de producteurs ne souhaitent même plus exploiter les œuvres en vidéo physique, se contentant de la VOD, secteur lui aussi touché de plein fouet par le succès de la SVOD. Dès lors, créer une mesure spécifique à rebours de l’évolution des usages ne paraît pas forcément légitime. En revanche imposer aux producteurs la préservation légale d’une copie de première génération de leur œuvre est une question qui finira par se poser. 

Philippe Poutou : Le DVD ne préserve pas plus une œuvre que sa version dématérialisée. Aujourd’hui, le hardware n’est plus vendu. Les ordinateurs n’ont plus de lecteur. Ce n’est pas un support numérique fragile qui préserve une œuvre. Mais si on parle de protection du patrimoine, il faut surtout s’interroger sur le pacte diabolique qu’on tente de signer avec les plateformes américaines. Aujourd’hui, en échange d’investissement dans la production française (sur une base déclarative de volontariat), on réduit de 36 à 15 mois la fenêtre SVOD de Netflix. 17 mois pour Amazon Prime et Disney. Mais contrairement à Canal + ou OCS qui investissent en achats de droits de diffusion, les plateformes elles accaparent 100% de la propriété des films. Un producteur qui va chercher son financement chez une plateforme doit céder tous ces droits et devenir le prestataire de celui qui le finance. La question patrimoniale est vraiment posée ici. Dans 30 ans, si ce fonctionnement dominait, le cinéma français serait la propriété des américains.

Nicolas Dupont-Aignan : Ce n’est pas la chronologie des médias qui, selon moi, a réduit la place du support physique vidéo mais plutôt l’arrivée des plateformes. Je suis pour ma part attaché à l’idée d’objet que l’on acquiert, que l’on prête que l’on partage, acheter une œuvre plutôt qu’une autre a plus de sens de n’avoir qu’un catalogue dont les ajouts ou suppressions sont parfois discrètes. Je ne pense pas qu’une mesure puisse sauver particulièrement un support mais l’offre qui doit être fournie doit avoir une valeur ajoutée, les disques vinyles ont plus de succès que les CD car le support à plus de valeur sentimentale aux yeux des acheteurs.

© Illustration de Philippe Cosqueric pour Boxoffice Pro et AlloCiné.

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