L’Arabie saoudite mise sur l’or lumière

Sattar d'Abdullah Al-Arak, le plus gros hit saoudien © AlShimaisi Films/Muvi Studios/Telfaz11

Cinq ans après la levée de l’interdiction de salles de cinéma qui aura duré 35 ans, le royaume compte devenir rien de moins qu’un acteur majeur du 7e art mondial, et se donne les moyens de ses ambitions. Tour d’horizon du parc, du public et des films, en compagnie de l’un des pionniers du cinéma saoudien naissant, Faisal Baltyuor*. 

Depuis l’ouverture du premier cinéma (l’AMC Riyadh Park) en 2018, la croissance du marché saoudien a été fulgurante. Il comptabilise désormais 65 cinémas, 593 écrans et 62 000 sièges répartis dans 20 villes et exploités par 6 opérateurs (AMC, Empire, Muvi, Vox, Cinépolis Cinemas et Imax Cinema). Il a généré, en quatre ans, 3 milliards de riyals saoudiens (800 M$) de recettes. « Le box-office saoudien représente près de 45 % de l’ensemble du box-office de la région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord, ndlr.], alors qu’on n’est qu’à un quart du plan de développement de notre parc de salles, », souligne le producteur et distributeur Faisal Baltyuor. « Avec l’objectif d’atteindre 2 000 écrans d’ici 2030, il sera l’un des plus performants du monde arabe comme à l’échelle internationale. » 

De fait, avec 35 millions d’habitants en Arabie saoudite dont 70 % de ressortissants nationaux**, le marché affiche du volume mais aussi de l’homogénéité, « ce qui facilite la promotion et la sortie des films. Comme la population du pays est majoritairement constituée de nationaux, l’intérêt pour les contenus locaux est plus évident que dans d’autres pays ». Ainsi, si les films hollywoodiens et égyptiens sont les plus plébiscités par les spectateurs saoudiens, des films locaux ont récemment rencontré de francs succès, en tête desquels arrive Sattar d’Abdullah Al-Arak. Cette comédie d’action – pour un public « particulièrement friand de films d’action et de comédies » – est restée en tête du box-office saoudien pendant plus de deux mois, pour devenir, avec plus de 900 000 entrées, le troisième plus gros succès “de tous les temps” dans les cinémas saoudiens, générant près de 24 M$ de recettes dans le royaume, auxquels s’ajoutent 8,5 M$ supplémentaires engrangés au Royaume-Uni. Car les films saoudiens s’exportent aussi à l’étranger. Parmi ses succès internationaux, « Scales de Shahad Ameen [inédit en France, ndlr.] a remporté le Prix Verona Film Club au Festival de Venise et le Tanit de bronze aux Journées cinématographiques de Carthage en 2019 », précise Faisal Baltyuor. Sans oublier de citer Haifaa Al-Mansour, la réalisatrice du tout premier long métrage saoudien, Wadjda (prix à Venise en 2012 et une nomination aux Bafta britanniques en 2014) ainsi que son The Perfect Candidate, qui a concouru à Venise et à Londres en 2019.

Les productions art et essai aussi trouvent de plus en plus leur public au sein du royaume,  comme en atteste l’ouverture du premier cinéma art et essai du pays, CineHouse à Riyadh au printemps 2022. 

En tant que dirigeant de CineWaves Film, Faisal Baltyuor détient le gros plus catalogue saoudien de longs et courts métrages (et entre autres partenaire de choix de Netflix au Moyen-Orient et en Afrique du Nord). La structure, qui s’est tout naturellement aussi tournée vers la production locale, travaille sur des films grand public comme des films d’auteur qui ont vocation à « faire le tour des meilleurs festivals internationaux ». Pour preuve, sa dernière coproduction, Goodbye Julia de Mohamed Kordofani est le premier film soudanais à concourir à Cannes, dans la section Un Certain Regard. 

Par ailleurs, le Red Sea Film Festival, devenu en deux éditions à peine l’un des rendez-vous cinématographiques les plus importants de la région, présente et soutient financièrement – via son Red Sea Fund – des œuvres saoudiennes comme internationales, dont Jeanne du Barry de Maïwenn, qui fait l’ouverture de Cannes cette année. 

L’Arabie saoudite réserve de nombreuses autres ressources pour le 7e Art. « La Commission du film offre soutien et formation aux jeunes cinéastes. Le Fonds de développement culturel soutient le secteur cinématographique local à hauteur de plus de 800 millions de riyals saoudiens (215 M$). Et les nouvelles villes de Neom et AlUla [destinées à devenir des destinations touristiques majeures dans le pays, ndlr] ont mis en œuvre des plateaux de tournage capables d’accueillir d’énormes productions internationales », liste Faisal Baltyuor. « Tout cela crée un environnement durable pour l’industrie cinématographique. » D’autant plus que le cinéma peut bénéficier d’un atout supplémentaire, et de taille, dans le royaume : un public jeune – près de ⅔ de la population saoudienne a moins de 35 ans – qui témoigne d’une « appétence unique pour l’expérience  cinématographique. Le marché est en hausse et il y a encore beaucoup à venir ». 

* Bio express
Producteur qui compte plus de 40 longs et courts métrages à son actif depuis 2004, Faisal Baltyor est actuellement PDG de Muvi Studios (la branche de production de Muvi Cinemas, le circuit d’exploitation leader du marché saoudien) et de la société de distribution CineWaves Films dont il est le fondateur.
Le jeune dirigeant a en outre été à la tête du Saudi Film Council, la première entité gouvernementale fondée pour soutenir l’industrie cinématographique saoudienne, et mené de nombreuses initiatives de développement du secteur au ministère de la Culture. Avant ces rôles, il a travaillé comme réalisateur et producteur en Australie pendant 4 ans.

** La part de ressortissants nationaux n’est que de 11 % au Émirats arabes unis qui comptait, en mars 2020, 9,5 millions d’habitants dont 8,5 millions d’immigrés, et de 10 % au Qatar voisin, peuplé de 2,7 millions d’habitants. 

Sattar d'Abdullah Al-Arak, le plus gros hit saoudien © AlShimaisi Films/Muvi Studios/Telfaz11

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