La Cour des comptes pointe le manque de vision stratégique de (et pour) la Fémis

La prestigieuse école de cinéma publique, qui n’avait jamais été contrôlée par la Cour, doit selon elle mieux répondre aux besoins de l’industrie… à condition que le ministère de la Culture et le CNC exercent pleinement leur tutelle. 

« Tirant sa réputation de son histoire, de son réseau d’anciens élèves et de sa capacité à former des chefs de poste dans les métiers du cinéma dès la sortie de l’école, la Fémis est aujourd’hui appelée à relever un triple défi : aller au bout de sa réforme pédagogique, retrouver une soutenabilité économique et se fixer un horizon stratégique ambitieux au regard des besoins de formation du secteur. » Ainsi conclut la Cour des comptes, après avoir passé à la loupe les finances (de 2016 à 2022) et le fonctionnement de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, autrement appelée la Fémis. 

Car si elle a été créée en 1986 sous statut associatif, la Fémis est devenue en 1996 un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), et doit à ce titre, tout en étant sous tutelle du ministère de la Culture via le CNC, avoir une activité économique pour équilibrer ses comptes. Or selon la Cour, l’école pâtit de sa « dépendance financière au CNC et de l’absence d’une tutelle efficiente », alors qu’elle doit prouver sa capacité à se transformer face à la concurrence de nombreuses formations publiques et privées.

Une formation d’excellence mais qui peine à s’adapter aux enjeux du secteur   

La Cour reconnaît la réussite d’une scolarité axée sur la pratique et le travail d’équipe, tout comme l’ouverture de la Fémis en matière d’égalité des chances. Mais « ce modèle, marqué par des taux d’encadrement et un coût très élevés, manque de souplesse ». Les magistrats estiment ainsi que la réforme pédagogique entreprise ne va pas assez vite face aux mutations du secteur, en témoigne la faible participation de la Fémis au plan France 2030 et à La grande fabrique de l’image, qui laisse la voie aux formations concurrentes. L’école devra notamment « transformer en profondeur la formation des réalisateurs » et les accompagner dans leur insertion professionnelle, ou encore développer ses activités à l’international. Quant à la formation continue, elle « obtient des résultats encourageants », mais reste déficitaire et « pèse sur la soutenabilité du modèle économique de la Fémis ».

Une situation financière tendue et une absence de vision à long terme

Un modèle fragile : si le budget de fonctionnement de l’école est de l’ordre de 12 millions d’euros, financé à plus de 75 % par le CNC, « ses résultats sont quasi-constamment déficitaires », et ses leviers d’action limités. « Dépendante des soutiens du CNC, ponctuels et sous-calibrés », la Fémis doit mettre à niveau sa direction administrative et financière et être mieux contrôlée. Mais c’est surtout le manque de vision à long terme qui pose problème à la Cour. En cause, le modèle économique de l’école, mais également « la faiblesse de la tutelle exercée jusque-là par le CNC et son incapacité stratégique à positionner la Fémis comme une école de référence dans un secteur en forte mutation ». Le CNC a laissé entendre récemment qu’il pourrait revoir ses moyens alloués à l’école, notamment dans le cadre d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performance (COMP).

Au-delà, la Cour préconise que le ministère de la Culture, en lien avec le celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, accompagne mieux la Fémis dans son effort de transformation, comme elle l’a fait pour les séries il y a dix ans, pour « imaginer les formations d’excellence de demain ».

Les 5 propositions de la Cour des Comptes

  • n° 1 (La Femis, ministère de la Culture, CNC) : Procéder à une évaluation globale de la réforme pédagogique à l’horizon 2027, comportant des rapports d’étape annuels entre l’école et la tutelle.
  • n° 2 (La Fémis, ministère de la Culture, CNC) : Mettre en place un dispositif de suivi et d’accompagnement renforcé des jeunes diplômés.
  • n° 3 (La Fémis) : Sécuriser toutes les étapes de la chaîne financière, budgétaire et comptable (engagement préalable, service fait, factures explicites, dans le respect de la réglementation en matière de commande publique).
  • n° 4 (CNC) : « Renforcer en le structurant l’exercice de tutelle de La Fémis sur la durée en apportant à l’école un soutien opérationnel et stratégique au quotidien.
  • n° 5 (La Fémis, ministère de la Culture, CNC) : Dans les meilleurs délais, élaborer un contrat d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) fondé sur une analyse stratégique, financière et immobilière à cinq ans (2024 – 2028).

Les réponses de la Fémis

Dans sa réponse à la Cour, par la voix de Michel Hazanavicius, président du Conseil d’administration, et Nathalie Coste Cerdan, directrice générale, la Fémis se dit favorable aux cinq recommandations de la Cour des comptes, à condition que ses moyens soient renforcés. L’école rappelle les ajustements permanents de ses formations, solidement adossées au secteur professionnel et qui sont reconnues – 13 de ses diplômés ont été nommés aux César cette année et 10 les ont remportés, dont Thomas Cailley pour Le Règne animal, Alice Douard pour L’Attente, et Kaouther Ben Hania pour Les Filles d’Olfa.
La Fémis est toutefois limitée par des contraintes lourdes : contrairement au privé, elle ne peut s’appuyer sur les frais de scolarité des étudiants, et ses développements dans la recherche ou la formation professionnelle se heurtent depuis 10 ans à un plafond d’emploi. Sa direction a donc choisi de limiter la prise de risques, notamment dans le cadre de La grande fabrique de l’image.

Elle s’est toutefois engagée dans une réforme pédagogique du cursus principal, avec des objectifs sur 3 ans. Parmi les évolutions, la Fémis est convaincue du bien-fondé de l’alternance (par exemple en distribution/exploitation dont la durée de formation est de 2 ans), même si elle est onéreuse. L’école souhaite renforcer une formation continue en lien avec les besoins du secteur (écriture de documentaires et de séries, direction d’exploitation…). Mais elle reconnaît que cette activité doit être mieux gérée, même si elle a augmenté son chiffre d’affaires de 60 % entre 2015-2018, obtenu la certification Qualiopi en 2021 et le renouvellement de ses titres RNCP en 2023. Par ailleurs l’activité de recherche, lancée il y a 10 ans, doit être réaffirmée, mais souffre de moyens actuellement trop limités.

La Fémis partage aussi le constat de la Cour sur le besoin, toujours sous conditions de moyens, de moderniser sa gestion et d’alléger sa gouvernance, notamment pour resserrer les débats avec ses tutelles, autour de sujets d’orientation stratégique et pédagogique. Enfin, elle confirme avoir amorcé avec le CNC la rédaction d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performance sur une période 2024-2028, qui pourra se compléter d’un schéma prévisionnel de stratégie immobilière.

Les News