Annoncé l’an dernier à Cannes parmi les lauréats de l’appel La Grande Fabrique de l‘image de France 2030, le projet lancé par l’association Ciné passion prend vie.
Il y a cinq ans, un mystérieux Anglais survole en hélico les paysages de Dordogne et le village médiéval de Monpazier en particulier. L’homme n’est autre que Ridley Scott, qui a déjà tourné ici son premier film, Les Duellistes en 1977. Il est alors en repérage pour Le Dernier Duel et explique à Thierry Bordes, directeur adjoint de Ciné passion, qu’il tournera autour de Sarlat si on lui trouve 600 chambres d’hôtel et… des studios et entrepôts. « Nous avons tout de suite pensé à l’immense usine de France Tabac, qui avait fermé un an plus tôt et que nous rêvions déjà d’utiliser », relate celui qui est en charge du Bureau d’accueil des tournages de Dordogne au sein de l’association.
Grâce à cette base logistique, Ridley Scott tournera la majeure partie de son film dans le département, avec 500 techniciens, 1 000 figurants, et Matt Damon, Adam Driver et Ben Affleck qui doivent rester incognito, tout comme cette « production anglo-saxonne se déroulant au Moyen-Âge »… Pour Thierry Bordes et Rafael Maestro de Ciné passion, c’est le déclic. Car si la Dordogne, riche de ses décors naturels et patrimoniaux, accueille des tournages depuis 1928 et séduit de plus en plus de productions internationales, il faut pouvoir leur offrir tous les services indispensables à la réalisation. Ainsi Quentin Dupieux a entièrement tourné son Deuxième Acte dans le département, mais La Nonne 2 y a renoncé faute de studios sur place. Une usine comme celle de Sarlat, qui a été la dernière en France de transformation du tabac, ne demande qu’à revivre de ses cendres encore incandescentes. Ouverte en 1985, elle employait dans ces années-là jusqu’à 250 personnes. À sa fermeture en 2019, elle a été acquise par la Communauté de communes, qui y a installé son siège, mais loin d’occuper les 10 hectares du site, dont un hangar de 15 000 m² et un bâtiment de 6 000 m².
Un triptyque pour un projet unique
C’est ainsi que l’association Ciné passion, dont on connaît aussi l’important travail d’exploitation, de diffusion et d’éducation sur le territoire du Périgord, se lance dans ce projet fou : reconvertir les anciens locaux de France Tabac en studios de cinéma… mais pas que. « Si l’on a des plateaux mais pas de main d’œuvre sur place, ça n’a pas d’intérêt : d’où l’idée d’agréger une école au studio », explique Rafael Maestro, directeur de Ciné passion – et à ses heures perdues responsable des associations territoriales à l’Afcae et représentant de la Petite exploitation à la FNCF. Et puisqu’il y a de la surface, les décors, costumes et accessoires seront stockés et recyclés sur place, pour proposer une matériauthèque à l’échelle nationale, voire européenne.
Le projet, qui a donc l’originalité de réunir ces trois axes sur un même lieu, est soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine, le Conseil départemental de Dordogne, la Communauté de communes Sarlat-Périgord Noir, et coordonné par la Semiper (Société d’économie mixte d’équipement du Périgord). Il répond parfaitement aux critères de l’appel à projet de La Grande fabrique de l’image (éco-responsabilité, formation, retombées économiques sur le territoire…), tout en étant l’un des rares lauréats situés dans le Sud-Ouest.
Une grande fabrique, sans aucune artificialisation des sols
Avec 10 200 m² qui seront réhabilités sans aucune artificialisation des sols, des verrières et de belles hauteurs sous plafond, les locaux offrent de nombreuses possibilités. L’un des hangars, où trône encore la chaîne de montage de l’usine, sera restructuré pour offrir un plateau de tournage mixte de 1000 m² avec 17 m de hauteur, entouré de loges, bureaux, locaux de stockage et salles de réunion ou de projection.
Un autre bâtiment, construit dans les années 30 sur quatre niveaux de 1 500 m² et où l’on faisait sécher le tabac, est parfaitement ventilé et équipé d’un monte-charge, ce qui manque à beaucoup de studios. Sur les murs, on y voit des slogans peints en arabe : c’est là qu’a été tourné, fin 2022, le premier long-métrage de Mareike Engelhardt, Rabia – avec Megan Northam et Lubna Azabal – censé se dérouler à Raqqa. Les décors du film ont été gardés et seront stockés, comme d’autres qui pourront venir de toute la région et au-delà, dans ce bâtiment qui sera la ressourcerie-matériauthèque. Elle sera disponible pour les tournages professionnels comme pour la formation, voire d’autres secteurs artistiques qui en auront besoin, avec la double vertu de s’inscrire dans une économie circulaire et l’éco-responsabilité de la production – à laquelle, pour rappel, sont désormais conditionnées les aides du CNC.
Une école publique, pour les métiers de fin du générique
Un autre bâtiment encore, datant des années 50, abritera donc une école publique et gratuite consacrée aux métiers manuels du cinéma. Menuisier, peintre, coiffeur ou costumier… « ceux du générique de fin » comme les définit l’équipe. « Des métiers qui sont de façon générale en tension, beaucoup de jeunes ne souhaitant pas partir loin pour étudier et exercer ; ils pourront ainsi se former au plus près des équipes, puis travailler directement sur les productions à Sarlat… ou dans d’autres domaines, comme le bâtiment, quand il n’y aura pas de tournages », précise Stéphanie Vigier, déléguée générale de Cina (Cinémas indépendants de Nouvelle Aquitaine) et cheffe de projet France Tabac.
L’école proposera plusieurs cursus en formation initiale, en partenariat avec l’Education nationale et les CFA (formations courtes post bac, modularisation…), et en formation continue, avec des organismes labellisés Qualiopi. Sans oublier de nouveaux cursus qui seront créés par France Tabac, et dans tous les cas intégrés à l’activité du studio et de la ressourcerie, ce dont se réjouit Rafael Maestro. « Des jeunes qui se retrouvaient en CAP technique comme sur une voie de garage, pourront ainsi mettre leurs compétences au service du cinéma. »
Le projet se développera en plusieurs phases dans les six ans qui viennent, avec une aide de l’État de 1,5 M€ dans le cadre de France 2030… plus un investissement de 10,3 M€. Mais surtout avec l’investissement humain d’une équipe aussi passionnée qu’efficace. « Nous avons une fine connaissance de tout le territoire, un accueil des tournages très pro, et des partenaires motivés », résume le directeur de Ciné passion… qui ne manque pas de flamme pour rallumer le tabac à Sarlat.
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