Fermés lors du premier confinement et plus ou moins longtemps selon les continents, les cinémas d’outre-mer peuvent cette fois, hormis en Martinique, accueillir leur public. Mais leur programmation dépend du calendrier national. Comment envisagent-ils les semaines qui viennent ?
Guyane
Après presque sept mois de fermeture de mars à septembre, les cinémas guyanais peuvent cette fois rester en activité, en appliquant le protocole sanitaire national et un couvre-feu fixé à minuit, qui n’empêche pas des séances en soirée. Les établissements gérés par le groupe Elizé, l’Agora de Matoury-Cayenne et l’Urania à Kourou, ont été fermés si longtemps que « l’avantage aujourd’hui est d’avoir une réserve de films qui n’étaient pas sortis et qui rencontrent leur public », explique Alexandra Elizé, directrice du circuit. Ainsi, des comédies comme T’as pécho ou Divorce Club arrivent en Guyane, soutenus par le travail de promotion locale de Filmdis, la société de distribution du groupe Elizé… qui ne peut toutefois pas acquérir de nouveaux films tant qu’ils ne sortent pas en Métropole.
L’association qui gère L’Eldorado, le cinéma art et essai du centre de Cayenne, avait choisi d’attendre le 2 octobre pour rouvrir. Le public d’habitués a répondu présent pour Antoinette dans les Cévennes ou Josep, et l’Eldorado diffuse en ce moment les sorties d’octobre. Pour la suite, « nous avons pu programmer certains films comme Basta Capital », que Destiny devait sortir le 4 novembre en Métropole, détaille l’exploitante Patricia Pastor. Du 5 au 8 novembre, L’Eldorado a participé au festival « La toile des Palmistes », organisé par l’association G-CAM, dont la moitié des séances avaient lieu en plein air et l’autre dans les deux salles du cinéma. Gratuites pour le public certes, mais toutes complètes malgré les restrictions. Et même si les séances scolaires « encore trop compliquées à organiser », n’ont pas repris, « tant qu’on a le droit, on reste ouverts. On trouvera toujours des idées pour satisfaire notre public : c’est lui qui nous fait vivre ! »
Guadeloupe
L’île, qui a enregistré un pic épidémique à la mi-septembre, n’est pas re-confinée contrairement à la Martinique voisine. Heureusement pour les deux salles du D’Arbaud à Basse-Terre, que le circuit Elizé n’avait rouvert qu’aux vacances de la Toussaint. Les jauges des cinémas sont toujours réduites et un couvre-feu oblige à fermer à 22h, mais « nous sommes très contents d’être ouverts, même en modulant les horaires », explique de son côté Christelle Théophile, qui dirige le multiplexe Cinestar aux Abymes, propriété du groupe Caribbean Cinemas.
« Nous avons rouvert le 24 juin, bien sûr sans retrouver une fréquentation normale : moins 70 % à fin août, moins 60 % en septembre et moins 50 maintenant. En novembre, pour la première fois de notre existence, nous fermons les lundis et les mardis ». En effet, si les sorties d’octobre tiennent encore, l’établissement de 8 salles, programmé par Noé Cinémas, n’aura aucun nouveau film tant que les salles de Métropole sont fermées. Mais pour Christelle Théophile, son cinéma reste un lieu de vie où les gens peuvent encore se rencontrer. « Les alternatives de programmation vont dans ce sens : nous avons prévu des animations pour les enfants, en associant des programmes de courts métrages à des spectacles vivants, en particulier pendant les vacances de Noël… si nous avons la chance d’être encore ouverts. Pour les adultes, nous maintenons la diffusion d’opéras et de ballets, et allons continuer à puiser dans les reprises de films cultes, comme nous l’avons fait cet été avec Les Dents de la mer ou Titanic… Par ailleurs, nous développons l’art et essai avec des films que nous n’avions pas sortis cette année. » Une exploitante résolument optimiste pour qui « finalement, cette crise aura peut-être eu du bon en nous incitant à diversifier notre programmation. »
La Réunion
Du côté de l’océan Indien, La Réunion est sous haute surveillance sur le plan sanitaire mais les cinémas restent pour l’heure en activité. Là aussi, comme le souligne Frédéric Drotkowski – l’exploitant du multiplexe Cinépalmes à Sainte-Marie, du Ritz de Saint-Denis et du Rex de Saint-Pierre –, « la situation est particulièrement préoccupante car nous avons le droit d’ouvrir nos établissements aux spectateurs mais n’avons rien à leur proposer comme nouveautés. » ADN, 30 jours max ou Les Trolls 2 sont encore à l’affiche de ses salles, des courts métrages réunionnais sont programmés et « pour essayer de tenir », l’exploitant a lancé une opération à 5€ avec des reprises. Son activité de distributeur sur La Réunion et l’Île Maurice ne change rien à la pénurie de films, dans un contexte toujours très tendu avec son concurrent historique.
Ce dernier, Yves Ethève, distributeur via sa société Mauréfilms et par ailleurs propriétaire du Ciné Cambaie à Saint-Paul, du Ciné Lacaze à Saint-Denis et du Plaza à Saint-Louis, ne peut pas non plus sous-traiter localement des sorties attendues comme celle d’Aline. « Dès l’annonce du reconfinement en Métropole, nous avons contacté Gaumont, mais une sortie partielle est d’autant plus impossible que cela impacterait la chronologie des médias », précise Evelyne Ethève, responsable juridique et du développement du groupe. « Et je préfère quoiqu’il en soit attendre la sortie nationale pour bénéficier de la promotion générale, ni faire d’avant-première trop tôt, pour ne pas altérer le potentiel du film. » Reste que pour programmer ses salles, la famille Ethève travaille de plus en plus en direct avec les distributeurs nationaux, « par exemple Diaphana dont nous avons daté en novembre plusieurs films que nous n’avions pas pu sortir avant : Antoinette dans les Cévennes mais aussi Été 85… puisque l’été chez nous commence maintenant. En l’absence de nouveautés, notre programmation va devenir très art et essai et nous allons axer notre communication là-dessus ». Autres difficultés concrètes liées à l’arrêt du secteur dans l’Hexagone, « il faut que les équipes des distributeurs soient disponibles pour les envois de KDM ou de DCP », explique Evelyne Ethève, sans parler du fait que certains stocks d’affiches, non seulement éloignés, sont actuellement fermés. Or la promotion locale est d’autant plus importante que « notre public a perdu ses habitudes par manque d’offre et certains spectateurs, éloignés des campagnes de promo nationales, ne savent même pas que nous avons rouvert ! »
Nouvelle-Calédonie
Les salles calédoniennes ont été administrativement fermées du 19 mars au 20 avril 2020, une quarantaine stricte à l’entrée de l’archipel ayant enrayé la circulation du virus jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, dépendant du premier confinement en Métropole et de la disponibilité de nouveaux films, les salles du territoire n’ont rouvert que le 1er juillet. Depuis, le public est accueilli sans contraintes particulières… mais là aussi sans blockbuster américain, ce qui a poussé la famille Hickson à fermer ses salles les lundis et mardis depuis le 31 août. Sur la période du 1er janvier au 31 octobre 2020, les entrées ont ainsi chuté de 56 % par rapport à 2019. Pour Douglas Hickson, directeur du Cinécity de Nouméa (12 salles), « il est probable que le contexte politique lié à la question de l’indépendance et les difficultés économiques déjà présentes avant la crise sanitaire contribuent à la situation morose. D’ailleurs, entre les deux derniers recensements, 10 000 personnes sur une population de 270 000 ont quitté le territoire ».
Avec le second confinement en Métropole, les salles calédoniennes maintiennent les films déjà sortis, et proposent des reprises pour rester ouvertes… le plus longtemps possible. Mais sans redémarrage rapide du secteur dans l’Hexagone, le seul exploitant privé de Nouvelle-Calédonie prévoit « une nouvelle réduction des jours d’ouverture, voire une fermeture totale des salles ».
Polynésie française
Dans cet autre archipel du Pacifique Sud, les cinémas ont été contraints de fermer du 10 avril au 22 mai 2020 mais ont choisi d’attendre le 8 juillet pour reprendre leurs activités. Le protocole sanitaire ne semble pas avoir vaincu les inquiétudes des spectateurs et dans un marché particulièrement dépendant des films américains, certaines salles sont, ici aussi, fermées les lundis et mardis. Le couvre-feu instauré le 22 octobre n’est toujours pas levé et le reconfinement est envisagé face à la propagation rapide du virus. Pour les salles du centre-ville de Papeete, gérées aussi par la famille Hickson via sa société Pacific Films, la baisse de fréquentation sur le semestre 2020 est de 72 % par rapport à 2019. « L’économie de la Polynésie française étant dépendante du tourisme, l’impact de la crise sanitaire mondiale sur l’emploi y est d’autant plus fort », souligne Douglas Hickson. Et si les cinémas ont accès aux dispositifs de chômage partiel et au PGE, « leur situation est de plus en plus critique et, comme en Nouvelle-Calédonie, des salles pourraient fermer définitivement en l’absence d’un approvisionnement suffisant en films et en raison d’une fréquentation trop faible qui apparaît s’installer durablement ».
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