Entretien avec Guillaume Bachy, Président de l’Afcae

Guillaume Bachy, président de l'Afcae © Isabelle Nègre

A la veille des Rencontres nationales de l’Afcae à Cannes, Guillaume Bachy revient sur les points de vigilance qui animent les concertations entre le CNC et les salles art et essai, entre la réforme art et essai et la crise des dispositifs d’éducation à l’image, et un premier trimestre difficile en termes de fréquentation.

À l’aube des 70 ans de l’Association française des cinémas art et essai, comment s’annoncent ces Rencontres nationales 2024 ? 

En premier lieu, ce qui est exceptionnel, c’est qu’avec près de mille inscriptions, nous sommes chaque année plus nombreux. L’assemblée générale de l’Afcae, en amont du Festival de Cannes, est le temps associatif le plus important de l’année, durant lequel nous présentons les travaux menés tout au long de l’année, les groupes présentent leurs travaux, les adhérents échangent et procèdent au renouvellement partiel du conseil d’administration. Après les trois jours de nos Rencontres, nous restons présents à Cannes et, comme d’habitude, nous invitons les adhérents et partenaires à se retrouver quotidiennement autour d’un cocktail au Rendez-vous des exploitants, jusqu’au mardi 21 mai.

Traditionnellement, dix films issus des différentes sélections cannoises sont projetés. Parmi les 45 films visionnés, nous avons sélectionné ceux dont la date de sortie (après le 3 juillet) permet de mettre en place nos actions habituelles, puisqu’ils seront soumis aux membres du groupe Actions Promotion, mais également à ceux du Comité 15-25 et au Collège Etudiant·es au cinéma. Nous nous efforçons de montrer la plus grande diversité possible en termes de distributeurs, de genres et nous sommes vigilants à la question de la représentation des femmes cinéastes. Finalement, nous faisons cette programmation comme le ferait une salle art et essai, en mélangeant des films attendus avec des films plus exigeants ou plus confidentiels. Cette programmation cannoise doit donner un aperçu précis à nos adhérents de ce que va être l’année art et essai.

Le temps d’échange avec le CNC est un moment fort et particulièrement attendu cette année, avec les annonces du contour de la réforme art et essai. Quels sont les fruits des discussions menées tout au long de l’année et vos points de vigilance ?

En effet, ce sera le sujet le plus abordé, à la fois lors de notre assemblée générale, mais surtout le lendemain, en plénière, lors d’une session de travail qui l’explorera plus en profondeur. La réforme est la question qui a animé une grande partie de la filière durant toute l’année écoulée, et c’est “chez nous” que le CNC a choisi d’en dévoiler les grandes lignes. C’est un tournant important pour les professionnels français, mais aussi  – et je n’exagère pas en disant cela – hors de nos frontières.  Notre système de classement, unique au monde, va évoluer ; en tant que vice-président de la Cicae, je peux confirmer que les autres pays nous regardent.

Pour rappel, Bruno Lasserre a rendu son rapport en avril 2023. Rapidement, l’Afcae, avec un élan collectif, a questionné deux points. Le premier est d’insister sur l’importance de la sélectivité et la reconnaissance du travail d’animation. Nous souhaitons que le fonctionnement actuel, construit sur 80 % de critères automatiques et 20 % de critères sélectifs, évolue sur une proportion se rapprochant de 50/50. Nous attendons une meilleure mise en avant de la médiation, des animations et de tout le travail d’action culturelle mis en place par les salles pour aider à la diffusion des films. 

Deuxièmement, nous avons très rapidement affirmé notre désaccord sur la notion de pondération des films, surtout si elle est basée sur le plan de sortie nationale. 
Nous comprenons qu’elle répond à des contraintes budgétaires : dans ce cas, appliquons une majoration sur les titres les plus exigeants et les plus fragiles, notamment les films Recherche et Découverte, reconnus pour leurs qualités et pour lesquels le collège de recommandation a attribué le label. Si minoration il doit y avoir, nous proposons qu’elle se fasse sur les entrées. Au niveau économique, les salles ont besoin de moins d’aides pour un film qui a très bien fonctionné sur l’ensemble du territoire : les films art et essai qui fonctionnent à l’échelle nationale, fonctionnent partout. En somme, nous proposons une pondération qui prend en compte une majoration sur les films Recherche et Découverte et une minoration sur les films qui ont réalisé plus d’entrées ; c’est juste économiquement, c’est juste culturellement et c’est juste territorialement. 

Enfin, dans la continuité du travail des salles qui se sont emparées des projets 15-25, dans le contexte du fonds Jeunes cinéphiles, nous prônons la création, dans le cadre de cette réforme, d’un label 15-25 pour continuer de soutenir l’engagement des salles auprès des jeunes.

Concernant le sujet de la sélectivité, comment réorganiser les critères pour la prioriser ?

C’est simple : plus de commissions et des grilles de lecture simplifiées pour les membres. Pour que l’on puisse vraiment échanger sur les salles et leur dossier, avec une vraie connaissance du territoire, il est nécessaire d’augmenter le nombre des commissions régionales de classement de 5 à 8. Les associations territoriales, qui sont les plus à même d’évaluer un travail sur un territoire, doivent aussi être davantage représentées.
Ensuite, nous nous sommes proposés auprès du CNC pour les accompagner dans le grand chantier de la modification du dossier de classement et de sa compréhension. Nous souhaitons que ce dossier permette de mieux comprendre la politique culturelle menée par chaque salle, de mieux catégoriser leurs événements et leur intégration dans la programmation globale. Ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui ; ce sera, je l’espère, le cas demain. 
Cette réforme ne doit pas inquiéter : elle ne consistera pas à demander aux salles d’en faire plus, mais à mieux valoriser leur travail déjà engagé. 

Lors des dernières assemblées générales des syndicats régionaux, le CNC a évoqué un barème plus linéaire, avec moins d’effets de palier. Qu’en pensez-vous ? 

C’est une très bonne proposition, née des concertations et échanges avec le CNC, que nous accueillons avec beaucoup d’intérêt. Aujourd’hui deux salles qui objectivement n’ont pas le même engagement, peuvent recevoir la même aide à cause des effets de paliers.
Un barème plus linéaire, chaque indice menant à une aide spécifique, serait une solution très simple et efficace.

Cette réforme pourra-t-elle répondre aux demandes des salles programmant plus de 80 % art et essai, d’être mieux récompensées pour leurs efforts ?

Que les commissions aient plus de finesse pour évaluer le travail des salles permettra, nous l’espérons, une plus juste répartition de l’enveloppe, qui reste contrainte vu les actuelles restrictions budgétaires. L’Afcae a toujours dénoncé l’insuffisance de cette enveloppe, la dernière étant à hauteur de 18,4 millions d’euros, pour accompagner le travail réel des cinémas. D’un côté,  l’État, les Régions, les Départements, les Villes et les spectateurs demandent plus d’animations, de débats, de lieux d’échanges, de convivialité, d’actions solidaires, d’Education artistique et culturelle (EAC), d’actions auprès des 15-25 ans… et d’un autre côté, l’enveloppe est identique !
Donc, la première de nos demandes est de revoir l’enveloppe à l’aune de ce qu’est vraiment le travail art et essai des salles aujourd’hui, qui est bien plus que la seule diffusion. Entendons-nous, une enveloppe un peu plus importante, une réforme mieux construite nous permettra, et nous l’appelons de nos vœux, de ne plus avoir d’écrêtement.

Dans un monde idéal, à quelle hauteur devrait être l’enveloppe allouée aux subventions art et essai ?

En 2023, il aurait fallu une enveloppe à 21 millions pour ne pas subir d’écrêtement, mais pour demain, je ne sais pas. Si nous regardons les chiffres de ce premier trimestre, qui ne sont pas bons, ni globalement, ni pour les films art et essai ; nous avons beaucoup de mal à faire vivre les films, même les plus évidents. Donc, face à ce tassement des entrées, les salles font encore plus de débats, plus d’animations, proposent encore plus d’actions initiées par les associations territoriales, pour aller chercher le public. Peut-être que demain, l’enveloppe devra être supérieure à 21 millions.

Alors que le CNC a commandé une étude à Jean-Paul Cluzel, ancien président de l’Ifcic, sur le secteur de la distribution, quelles sont les réflexions qui animent l’Afcae en matière de diffusion des films ?

Nous attendons beaucoup du rapport Cluzel, qui va mettre en avant, on le craint, les difficultés de la distribution indépendante. Il faut rappeler que nous avons été parmi les premiers, au moment du Covid et après, à soutenir la distribution indépendante et à demander, au même titre que l’exploitation, qu’elle soit aidée et soutenue. Nous allons continuer à le faire, parce qu’elle est un élément indispensable de la filière et particulièrement pour les salles art et essai. Nous avons vécu deux liquidations de distributeurs indépendants en ce début d’année 2024. Il ne faudrait pas que cela devienne une hécatombe. 

En corollaire à notre soutien, nous espérons que ce rapport ouvre une discussion sur les engagements de diffusion. Il est temps de se mettre vraiment autour d’une table, et que l’on passe d’un système de volontariat à des discussions concrètes avec les distributeurs.
D’autant plus que lors de ce premier trimestre, alors qu’il y a moins de films commerciaux à proposer, les salles grand public se reportent sur les films art et essai les plus porteurs, ceux qui sont absolument nécessaires pour attirer un public large dans nos salles classées. Aujourd’hui, nous ressentons une vraie concurrence sur notre programmation dont la première conséquence est la difficulté d’accès à ces films art et essai porteurs. La deuxième est le nombre de séances demandé. On le dit depuis très longtemps et on le répète aujourd’hui, les demandes des distributeurs sont parfois déraisonnables. Or, dans un objectif de diversité, pour qu’un film plus fragile puisse rentrer dans notre programmation, il faut comprendre qu’il n’est pas possible de demander un plein écran pour les films les plus porteurs. 

Par ailleurs, cette concurrence peut aussi amener à ce que les spectateurs ne se rendent plus compte des spécificités de la salle. Il y a donc un travail de communication et d’éditorialisation encore plus important à réaliser. Nous sommes challengés en permanence.

La profession tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois sur les difficultés des dispositifs d’éducation aux images. Comment la situation évolue-t-elle ?

Nous manquons encore de chiffres au niveau national, mais d’après le retour des adhérents, nous constatons une baisse de l’engagement des enseignants suite aux réformes du ministère de l’Éducation nationale concernant le remplacement de courte durée et la formation hors temps scolaire. Des discussions se sont engagées entre le ministère de la Culture et de l’Éducation nationale pour que des aménagements spécifiques soient mis en place. L’EAC est un levier très important de la vie de nos salles art et essai, et inversement sans elles il n’y a pas 100 % d’EAC en France. Il est primordial que nous puissions travailler avec les équipes éducatives et pédagogiques dans de bonnes conditions.

La deuxième problématique, c’est le pass Culture et notamment sa part collective, dont les  salles art et essai se sont saisies dans leur grande globalité. Elle est utile pour promouvoir ce qui fait le cœur du pass Culture, c’est-à-dire la découverte culturelle et artistique, mais on constate qu’elle est aussi utilisée pour emmener des groupes voir des films ultra commerciaux à des tarifs au-delà de 10 €. Il ne faudrait pas que cette part collective soit dévoyée, au détriment de l’équité territoriale et de la découverte de films qui ont un vrai intérêt culturel et artistique. Nous serons très attentifs à cet aspect.

En parallèle, les associations territoriales remontent un désengagement des collectivités sur l’EAC et, plus globalement, sur l’aide aux établissements culturels. Là aussi, nous tirons la sonnette d’alarme, parce que le maillage culturel que constituent les associations territoriales et les salles en régions, dont tout le monde est si fier, est en danger. 

Pour finir, l’Afcae prépare un autre événement majeur pour l’année prochaine !

En 2025, nous fêterons les 70 ans de l’Association, avec des actions tout au long de l’année, que nous commencerons à dévoiler à Cannes. 70 ans d’art et essai que nous célébrerons sur l’ensemble du territoire, avec l’ambition de porter haut et fort nos valeurs auprès de nos adhérents et de leurs publics. Montrons que notre mouvement a l’expérience de son âge et le dynamisme de sa jeunesse ! 

Guillaume Bachy, président de l'Afcae © Isabelle Nègre

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