En 2024, des films français qui rassemblent des Français divisés

Un p’tit truc en plus d'Artus. © Pan Distribution

Alors que le système politique français n’a jamais été aussi dissolu, l’éco-système du cinéma français affiche plus que jamais sa flamboyante réussite. 

En 2024, la France est le seul grand pays du monde où la fréquentation des salles a progressé par rapport à l’année précédente, notamment grâce à sa production nationale. L’année est pourtant marquée par une incertitude générale et une suite de coups de théâtre : un remaniement du gouvernement en janvier, avec notamment la nomination de l’ancienne garde des sceaux de Sarkozy à la Culture, puis un Printemps du Cinéma au plus bas dans les salles et, autre mauvais signe, deux distributeurs indépendants – Rezo Films et Urban – qui déposent le bilan. En mai, c’est un film français qui ré-enflamme la fréquentation et alors qu’un bel été s’annonce au cinéma, le président de la République annonce, en juin après le choc des élections européennes, la dissolution de l’Assemblée nationale. Deux semaines plus tard, le président du CNC, condamné pour agression sexuelle, démissionne… Deux jours plus tard, la Fête du Cinéma, avec 4,65 M d’entrées en 4 jours, marque un record de fréquentation jamais atteint.

Dans un pays divisé, le cinéma fédère et, tout en étant boosté par le retour des films américains, témoigne d’un modèle unique au monde. Même si, dans un contexte de rigueur budgétaire, la gestion du CNC est scrutée de près, on voit mal qui remettrait en cause son mode de financement. La ministre de la Culture, l’une des rares à avoir été reconduite deux fois, n’a de cesse de se réjouir de ce modèle et d’insister « sur l’accès à la culture partout et pour tous ». Sous l’éphémère gouvernement Barnier, elle a obtenu un budget « stabilisé » dans le PLF 2025 – soit 4,45 milliards pour la culture et 4,03 milliards pour l’audiovisuel – et fait voter un financement pérenne de l’audiovisuel public par une part de TVA. Mais rien n’est encore acté sur le projet de holding et de gouvernance unique qu’elle souhaitait… et pour le moins controversé. Et si elle veut réformer le pass Culture – pour davantage démocratiser et diversifier les pratiques –, reste à savoir de façon générale quel sera son budget… et si celui du CNC fera l’objet de ponctions dans sa trésorerie, comme il était prévu dans le PLF Barnier.

Pour l’heure, la stabilité du CNC est assurée par Olivier Henrard, directeur général et président par intérim… depuis plus de six mois. L’autonomie du Centre a permis de mettre en œuvre le plan de diffusion, appuyé par Rachida Dati, avec de nouvelles aides, notamment pour les cinémas itinérants, ou encore de nouvelles formations, pour l’éco-responsabilité des salles et la prévention des VHSS. Si l’on attend toujours le rapport Cluzel sur la distribution, la réforme art et essai découlant du rapport Lasserre a été adoptée – avec un budget renforcé de 1 M€. Mais la loi « visant à conforter la filière cinématographique », inspirée du rapport Bacchi et approuvée par le Sénat en février… n’a toujours pas été soumise à l’Assemblée. 

En outre, on sait qu’une part de l’action culturelle se joue en régions, et reste dépendante des politiques – et des finances – locales. Quand certaines renoncent, comme les Pays de la Loire, d’autres s’illustrent, notamment en matière de cinéma, en misant sur les tournages mais aussi l’accompagnement des salles, des festivals et de leurs publics… dont l’éducation aux images. En effet, alors que les dispositifs nationaux tels qu’on les a connus sont mis à mal par les réformes du ministère de l’Éducation – où se sont succédé quatre ministres différents en un an ! –, le travail dépend désormais principalement des acteurs de terrain, du volontarisme des rectorats et des collectivités.  

Plus largement, la régulation de la filière se joue au niveau européen, à travers ses directives (SMA, droit d’auteur… et l’enjeu majeur de l’encadrement de l’IA) en cours de discussion. Mais là encore, la couleur du parlement est changeante, et l’on ne sait si l’exception culturelle, définie lors du Traité de Lisbonne, concernera toujours le cinéma et l’audiovisuel.

La France, qui, avec son décret Smad, a su traduire avec succès les directives européennes, est en train de renégocier sa chronologie médias. Si l’ordre des différentes fenêtres ne devrait pas être bouleversé, à commencer par les quatre mois de la salle, de nouveaux équilibres entre les différents diffuseurs doivent être fixés. Entre un audiovisuel public fragilisé – ressources réduites et déficit pour France Télévisions –, des opérateurs internationaux privés repositionnés – Canal+ et Disney en particulier – et les producteurs français, un nouvel accord interprofessionnel doit être trouvé en février… au moment où prendra ses fonctions le nouveau président de l’Arcom, Martin Ajdari. Et alors que le pays n’a toujours pas de budget pour 2025, cet accord sera crucial pour le financement du cinéma français dans les prochaines années. 

[Article initialement paru dans le Boxoffice Pro du 08 janvier 2024]

Un p’tit truc en plus d'Artus. © Pan Distribution

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